Chapitre 11 - Dompter le vent
Je crie à m’en déchirer la gorge quand, enfin, Vīian daigne me rattraper d’un portail habilement créé. J’atterris sur les fesses à seulement un mètre d’où je suis parti. Ooka vole vers moi et se pose sur mon genou.
Je n’arrive à rien. Cinq jours que j’ai commencé cet entraînement, cinq jours, seulement, et j’ai déjà chuté plus de deux cent cinquante fois des falaises qui jouxtent notre espace de travail.
Le maître n’avait pas menti, le vent sur ce sommet est déchaîné. Il mérite amplement l'impression que j’en ai ; je tente de dompter une bête enragée.
Je me remets sur mes pieds, immobile, le vent frénétique, ne fais que me pousser légèrement. Je me place au centre du cercle bleu, tracé à la craie par mon maître. En théorie, je ne dois pas en sortir. Quelle blague... Maître... Je suis aigri, mais je suppose que ça peut se comprendre, mon corps est tapissé de bleus et ma confiance en moi baisse à vue d’œil. Je suis exténué. Je suis énervé. Contre moi-même, incapable, contre le maître, inefficace, contre le vent, farouche.
Ooka pose sa petite tête de renard sur mon épaule et évite mon regard, de peur que je la gronde. Je n’arrive pas, cependant, à décrocher un sourire et après quelques secondes de répit, je lui demande de retourner à sa place et commence ma concentration.
Revoilà la sensation, je ressens les masses d’air en mouvement autour de moi. Je plonge plus profond dans ma transe et là, je les vois. Des dizaines de traînées blanchâtres se forment sur le fond noir de mes yeux clos. J’en ai déduit que ce sont les flux autour de moi que mon esprit mêlé à l’Onde matérialise ainsi.
Je sais ce que je dois faire. Je tends le bras droit, agrippe un de ces flux et, déjà, je le sens m’emporter. Je tente de résister et de prendre le dessus sur le vent, quand soudain mes pieds quittent le sol.
Je sais ce qui va se passer.
J’abandonne.
Je lâche le flux et me recroqueville pour me protéger, toujours emporté par le vent. La rafale suivante arrive une demi-seconde après, et, comme à chaque fois, je la reçois de plein fouet, comme une claque. La gifle me fait voler au-delà la falaise, et je dégringole déjà dans le vide.
Vīian me rattrape aussitôt, son air railleur entièrement disparu de son visage, certainement effacé par les larmes qui mouillent mes joues.
De nouveau assis au sol, je n’en peux plus, je suis à bout. Ooka s’est silencieusement nichée au creux de mes bras et je la serre fort, tandis que mes épaules tressautent en harmonie avec mes sanglots.
J’ai pleuré, là, pendant presque trente minutes avant de demander au maître de nous ramener à la maisonnette. Dès notre arrivée, j’annonce que je n’ai pas faim et me presse vers ma chambre.
Mes yeux sont vides, je n’ai plus de larmes à écouler. Mon corps s’est détendu et la fatigue s’est faite sentir, pourtant, je ne veux pas non plus dormir.
Mon cerveau est en ébullition. Quel gamin pathétique, je fais, même pas capable de me battre un peu plus pour mes rêves. Ces mêmes voix malsaines emplissent ma tête.
Je les laisse dire. Je n’ai jamais été très bon pour contrôler mes pensées. Je sais que quand ce pessimisme se montre, je le subis puis il passera.
Effectivement, vers 3 heures du matin, mon cerveau est de nouveau convaincu de ma future réussite. Je me suis emballé. Ayant reçu un score à faire pâlir un érudit au test des pierres, je crois qu’instinctivement, je m’attendais à tout réussir facilement. Bon, ce n’est pas le cas, mais peu importe.
3 heures et demi, une heure parfaite pour échafauder des théories et élaborer un plan pour demain. Je me retourne dans le lit, Ooka gigote et se rendors, tout mon corps est douloureux. Je pense qu’il est plutôt clair que je m’y prends mal. Vīian a dit que je devais me fier à mon ressenti, et celui-ci me susurre que je finirai en charpie si je m’acharne encore à dompter le vent, du moins, par la manière forte.
6 heure. Je me laisse enfin partir dans le monde des rêves. Demain, j’ai hâte de tester mes idées.
Je m’endors, Ooka entourée autour de mon cou, le sourire revenu sur mes lèvres.
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