Chapitre 12 - Envole-moi
Debout au centre du cercle depuis maintenant trois heures, je suis épuisé, mais fier de moi. Je n’ai pas été expulsé par le vent depuis cinq jours maintenant.
J’ouvre les yeux, vérifie rapidement où se trouve Ooka et m’affale sur le quartz lisse. L’entraînement que nous avons mis en place suite à l’épisode quelques jours auparavant, est plaisant malgré la concentration qu’il me demande.
Vīian approche et s’assoit en face de moi. Sourire aux lèvres, je déclare : « Maître, je pense que l’étape un est maîtrisée !
— Je vois ça, gamin. Tu es resté une heure de plus en transe, sans peine ! » me félicita-t-il. « Maintenant, raconte-moi. »
Je commence mon compte-rendu. Après chaque entraînement, je raconte en détails tout ce que j’ai ressenti, afin de ne pas reproduire l’échec précédent. Vīian est pendu à mes lèvres pour ne rien rater et ne manque pas de poser des questions afin de m’enseigner au mieux une Aptitude qu’il ne maîtrise pas. Une bonne écoute est la qualité nécessaire d’un bon maître, et le mien semble excellent. Au fil de ces discussions, nous avons développé une complicité maître-élève rassurante. Je n’ai plus l’impression d’être seul à m’acharner sur un élément que je ne comprends pas.
« La mise en place s’est faite plus facilement encore, cette fois-ci. Je suis entré en transe en une dizaine de secondes et j’ai commencé à voir les flux moins d’une minute plus tard. Puis, je les ai observés longuement. Ils passaient autour de moi sans me blesser. J’ai l’impression que le vent a compris que je ne lui voulais pas de mal. Je me sentais comme une feuille encore accrochée à sa branche, bercée par les vents. J’ai tendu les bras, sans imposer ma volonté, et j’ai laissé flotter mes mains portées par les courants qui passaient, de part et d’autre de mon corps. L’air a doucement soulevé mes membres, au gré de ses humeurs. Le temps défilait à une vitesse folle, puis j’ai ouvert les yeux. L’expérience fut très enrichissante bien qu’éreintante. » je relate au maître.
« Je vois. Ton idée était excellente. En tant que manipulateur, surtout sur un élément comme le tien tu ne peux pas imposer ta volonté. »
Pensif, Vīian ajoute en souriant : « Très bien, demain sera le grand jour. La feuille se détachera de l’arbre, n’est-ce pas ?
— Si, bien sûr, vous êtes toujours là pour me rattraper. » rétorquais-je avec une grimace.
Le lendemain, sur les coups de 9 heures, j’attaque la deuxième étape de mon apprentissage.
Ooka, paniquée, se frotte furieusement à mon cou. La pauvre bête a certainement senti le changement d’ambiance et angoisse. Je la prends entre mes mains, elle est si légère dans sa première forme, et lui dépose une bise sur le haut de la tête, suivi d’un regard entendu. Ma boule de poil cesse de gigoter, m’offre un coup de langue sur le poignet, se dégage de mes doigts et va se poser sur la pierre qu’elle s’est choisie, rassurée.
D’un coup d’œil, je repère mon maître qui a suivi la scène. Il me fait signe qu’il est prêt, non sans cacher un sourire narquois.
Je débute ma méditation et rapidement les flux immaculés s’impriment autour de moi. Je laisse mes mains les caresser, je me sens bien, cette journée est parfaite. Le vent agite délicatement mes cheveux et mes vêtements. Je le sens se glisser entre mes doigts, dans mon cou, le long de mon torse. Alors, doucement, je commence à libérer l’énergie que je ressens en moi, l’Onde. Une chaleur se répand, partant de mon cœur, et, à mesure qu’elle progresse, je me sens de plus en plus léger. Mes pieds se décollent du sol et je commence à suivre l’un des courants qui passait à ma droite.
Je vole.
Je ne touche plus le sol. Mon cœur bat la chamade. Je souris à pleines dents, sans ouvrir les yeux. Bientôt, alors que je me suis un peu élevé, un nouveau courant traverse celui que je suivais. Plus puissant, il m’emporte dans son sens. Le changement de flux est si doux, si naturel, tout l’inverse de mes échecs passés. Je ressens une telle plénitude, comme si je faisais ce que j’aurais toujours dû faire. Peut-être que c’est le cas finalement. Une larme s’échappe de mon œil gauche, oui, je veux être là.
Je prends conscience que je suis assez haut dans le ciel, peut-être à cinq mètres du sol, peut-être à vingt, peut-être à plus. Les flux se sont multipliés autour de moi, et je suis ballotté d’un courant à l’autre. Étonnamment, ce n’est pas désagréable, les fluctuations sont douces. Je n’ai aucun mal à garder mon équilibre et déjà, je veux m’exercer à bouger.
D’abord, je tente de basculer mon corps à l’horizontale, mais ce n’est visiblement pas la bonne méthode. Alors, pris d’un élan de confiance et au risque de briser mon expérience, j’imagine l’Onde délaisser partiellement ma tête, mon buste et mes bras. Aussitôt, je bascule en avant, plus vite que je ne l’avais imaginé. Effrayé, je rétablis rapidement l’équilibre en allégeant de nouveau tout mon corps équitablement. Une sueur froide glisse dans mon cou et je rigole bêtement de ma bêtise.
10 heures 30. Je vole, toujours. Médusé de ne serait-ce que pouvoir penser ces mots, je profite de toutes les sensations que je peux effleurer. Je vole. Un vent descendant m’a amené bien en dessous du niveau du plateau d’où je suis parti. Puis le soulèvement orographique contre flanc de la falaise me permet de remonter à une vitesse folle.
Je suis euphorique. Si bien que je mets plusieurs secondes à percevoir une sensation dérangeante, dans un coin de ma tête. On m’observe et ce n’est pas amical.
Le courant ascendant me porte toujours et il me reste une cinquantaine de mètres à parcourir avant d’être au niveau de Vīian et Ooka.
La sensation s’accentue. Une ombre passe devant l’Astre, si grande, que je la vois même les yeux clos. J’ai peur. J’entends une voix lointaine crier. Vīian certainement. J’ai peur. Si j’ouvre les yeux, ma transe sera brisée, je tomberais. J’ai peur. Je sens que je me rapproche encore de mon maître.
Un hurlement déchire l’espace. Ooka. Soudain, je me sens passer un portail. J’ouvre les yeux. Du coin de l’œil, je distingue une masse immense me frôler. Sa puissance est telle que suis repoussé violemment dans le portail. De l’autre côté, j’atterris sur le flanc, ma tête cogne quelque chose. Le fauteuil de la maisonnette sans doute. Je ne sais plus, je tombe dans le vague. J’entends faiblement la voix du maître, puis c’est le noir.
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