Chapitre 17 - Première épreuve

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8 heures 20. Je suis bloqué. Vingt minutes que mes yeux refusent de se détacher du bâtiment qui me fait face. Vīian avait dit: le Colosseum peut accueillir jusqu’à trois mille participants et plus de cent mille spectateurs. Décidément, le maître ne gonflait pas ses dires.
La façade s’élève sur plus de soixante mètres et s’étend sur près de trois-cents, jusqu’à s’arrondir pour former l’ovale de l’arène. Les murs extérieurs marient pierre et métal, sous forme d’une structure apparente soutenant les arches d’accès au rez-de-chaussée, jusqu’à l’attique, qui occupe tout le dernier étage. La symbiose entre ces matériaux projette une atmosphère singulière, tant antique que mystique. Les monuments de pierre appartiennent à l’Ancien Monde tandis que le métal est une mode contemporaine qui envahit les nouvelles constructions.
Une ceinture de soixante-dix arches, soit soixante-dix entrées, entoure le monument, d’ici je n’en vois qu’une vingtaine. Des centaines de jeunes se pressent face à leur porte respectives.
Un brouhaha atroce s’échappe de la masse. Il finit par briser ma rêverie. Je n’aime pas le monde.

La file devant moi se vide au fur et à mesure que les Aptes s’enregistrent auprès des d’intendants postés à chacune des entrées. Je ne suis pas le seul resté en retrait, quelques autres participants prennent le temps de contempler l’édifice avant de se hâter vers leur rangée désignée.
Je presse le pas pour rejoindre ma porte, la 10B. Je remarque une retardataire vers la 10C. À bout de souffle, elle dépose une petite malle à ses pieds, se redresse et scrute son EPM, fébrile. Elle est nerveuse d’être en bout de ligne, elle semble perdue. Ses yeux vont de la file, au bâtiment, à son EPM, jusqu’à croiser les miens. Je tente un sourire rassurant accompagné d’un signe de tête. La jeune fille semble se détendre un peu et me retourne mon bonjour.

Les minutes passent lentement et j’arrive enfin près de l’intendant. Il scanne ma convocation sur mon EPM et me fait signe d’avancer. Plus loin, je retrouve les autres de la file 10B. Nous sommes environs cinquante et je suis le dernier. Je lance un rapide « Bonjour » auquel je reçois une ou deux réponses à peine audibles. La pièce empeste le stress.

Ne souhaitant pas plus me faire remarquer, je m’assieds sur un banc dans un coin de la petite salle carré.

Malgré la lumière, l’espace est assez sombre, et nous entendons plus que nous voyons la porte de métal s’ouvrir, alors qu’une intendante nous invite à la suivre.

Elle nous amène dans un immense salon où le reste du bloc 10, 10A et 10C, nous rejoint. L’endroit est bien plus accueillant et spacieux, je m’y sens tout de suite mieux. Il y a des fauteuils pour tous et notre espace vital est respecté.

Ce bâtiment doit vraiment être immense si chaque bloc a une telle salle.

En tout cas, leur organisation est efficace. Ils ont mis à peine quarante minutes à faire rentrer trois-mille-cinq-cents jeunes.

Je regarde notre intendante s’affairer avec ses collègues puis j’observe les alentours, la décoration me rappelle vaguement celle de l’Académie, bien qu’ici elle soit bien plus sobre. Le style est assurément un hommage à l’Ancien Monde.

Enfin, la responsable du groupe 10A, une petite dame brune, prend la parole.
« Bonjour à tous. Tout d’abord, les équipes du Colosseum vous remercient de votre participation au concours cette année. La première épreuve commencera à 10 heures. D’ici là, nous nous chargerons d’installer le public qui afflue déjà à nos portes. Profitez de ce temps pour vous reposer. Des boissons et autres en-cas sont disponibles dans les réfrigérateurs au fond de la salle. Nous vous priions de bien vouloir porter attention au discours de notre bien-aimé directeur, Monsieur Paulhto, diffusé à 9 heures 30 sur les EPMF* que vous voyez à chaque coin de la pièce. Enfin, vous pouvez venir récupérer vos badges avec vos numéros sur les trois consoles devant moi. Attachez-les sur votre vêtement au niveau du cœur. Ne les perdez surtout pas. Pour ceux qui pourront participer aux prochaines épreuves, un sceau a été apposé sur l’insigne et vous permettra de vous transporter directement dans cette pièce chaque matin. Bonne chance à tous. »
Elle avait parlé d’un ton sec et rapide qui contrastait avec sa fausse apparence joviale. Son regard fier n’avait pas cessé de nous fixer et un profond malaise se faisait sentir parmi les jeunes Aptes.

Cette femme nous méprise ...

Vīian m’a expliqué hier que la première étape se déroule en deux jours afin que les Érudits, réunis la veille, puissent éviter de se frotter à la « plèbe ». L’attitude de l’intendante fait sens. Elle n’est sûrement que peu ravie de se retrouver face à tant de Normo. Cette réaction abusive devant des enfants est ridicule. Je souris, amusé par le dernier regard condescendant qu'elle nous offre.

Le personnel quitte la salle. Un silence pesant s’installe. Puis un premier, un grand gaillard au cheveux bleus ébouriffés, se décide à avancer vers l’une des consoles. La salle semble se réveiller et, un-à-un, dans une discipline improvisée, nous allons récupérer nos badges.

Je suis le numéro 2020. Avant de l’attacher, je l’observe et discerne une marque, plus petite encore que celle de mon bracelet, le sceau de transport mentionné par la femme.

Je récupère quelques victuailles, un verre de jus d’orange et un morceau de marbré, et me choisis un fauteuil azur, installé à côte du table basse à peine assez grande pour accueillir mon assiette. J’explore la pièce des yeux. De petits groupes de se sont formés çà et là. Je m’attarde sur chaque visage, certains affichent leur angoisse, d’autres sont sereins, d’autres encore ont complètement oubliés le futur test.
J’identifie « monsieur chevelure bleue », qui amuse la galerie en jonglant avec des balles de glace de sa composition. L’ambiance générale s’est apaisée et je me sens à nouveau au milieu de vrais enfants, joyeux et innocent, je me détends. Si bien que je sursaute quand quelqu’un s’assoit dans le fauteuil de l’autre côté de la petite table. La fille.
« Bonjour ! Excuse-moi de te déranger, je voulais te remercier pour tout à l’heure. J’étais en panique totale. Je n’aime pas être en retard. Oh, et c’est la première fois que je viens à la capitale. Je me suis perdue trois fois, je crois. Merci encore. Je n’en reviens pas qu’un simple sourire puisse me rassurer autant. Les gens foncièrement gentils me font toujours cet effet. Tu as dû me paraître amical dès le début. Et puis ... »

Je la regarde, stupéfait, déballer une multitude d’informations improbables. La fille parle beaucoup trop vite sans même faire attention à moi. Je perds vite le fil de son monologue et me permets de la détailler de la tête au pied.
Elle est chou. Chou comme les petites filles de quatre ans déguisées en princesse aux fêtes du village de Sisthe. Elle porte encore les joues rondes de l’enfance.
La jeune fille est blanche, littéralement. Deux couettes sont accrochées sur le haut de sa tête et sa chevelure lui effleure à peine les épaules. Blanches. Sa robe, simple, lui arrive juste au-dessus des genoux et lui serre la taille. Blanche. Sa peau satinée paraît briller à la lumière des lustres. Blanche.
A contrario, ses yeux ne le sont pas, mais, leur ton bleu clair s’en rapproche à tel point qu’on pourrait confondre.

Quelle peut bien être son Aptitude ?

« Oh j’oubliais, je m’appelle Lyss Geōrber, et toi ?» finit elle par demander, me sortant, par la même occasion, de mes pensées.

« Sūta Sintav, enchanté ! » je me présente, avec un sourire. J’ai capté seulement des bribes de son récit. J’ai compris qu’elle vient d’un village au nord de Nūna*, qu’elle s’est perdue en arrivant et qu’elle est très angoissée vraisemblablement. J’espère que ce sera suffisant.

Je ne peux m’empêcher d’ajouter.

« Tu parles beaucoup. »

Je regrette immédiatement cette remarque grossière sortie tout droit de mes réflexions. Je n’ai pas le temps de m’excuser qu’elle me répond, avec une voix posée qui dénote du monologue précédent.

« Oui… effectivement. Excuse-moi, le stress me rend pipelette. Permets-toi de me couper si ça se reproduit.

— Aucuns soucis, je réfléchissais aussi à haute voix. » Nous sourions, puis échangeons des anecdotes sur nos villages respectifs. La conversation est amusante et je suis heureux de pouvoir discuter avec quelqu’un d’autre que mon maître farfelu ou mon renard-chien qui ne me répond définitivement pas.

Les EPMFs, émettent une sonnerie, puis une voix féminine annonce que le discours du Directeur va commencer. Je n’en saurais pas plus sur ma nouvelle camarade pour le moment.

Un bonhomme apparaît sur les écrans, souriant d’un rictus accueillant qui semble sincère cette fois. Il est habillé d’un costume bien trop simpliste pour un Érudit et respire une attachante bienveillance. Il nous remercie encore une fois pour notre participation puis décrit pour la première fois l’épreuve. Enfin, il nous souhaite bonne chance et les EPMFs virent au noir.

Dans quinze minutes, nous pourrons entrer dans l’arène.

Ma nouvelle amie s’est remise à trembler d’appréhension. Pour lui changer les idées, je la questionne sur son Aptitude, ce qui a pour effet d’empirer les choses.

« Je suis de la manipulation, je ... je ne passerai jamais cette étape. » balbutie-t-elle, à deux doigts des larmes.

Désemparé, je ne sais que faire. Je ne peux rien tirer de plus de ses charabias et déjà, il est 10 heures.

**

*EPMF : Écran Portable Multifonctions Fixe. Les Anciens le nommaient téléviseur.

*La planète s’appelle Pandore, le pays où se passe l’histoire s’appelle Nūna

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