Chapitre 18 - Artōk Savirā
L’Astre m’éblouit lorsque nous entrons dans l’Arène. L’air doux de la fin de matinée glisse sur mon visage, comme pour m’accueillir. J’en apprécie toutes les sensations.
La rumeur, s’échappant des gradins, vient rompre ce petit moment spécial avec mon élément. Je reprends ma marche gardant Lyss proche de moi. La tension de la jeune fille ne diminue pas et j’ai peur qu’elle s’enfuie en courant à la moindre occasion.
L’arène est immense. Trois-mille-cinq-cents jeunes, divisés en 23 groupes, s'agglutinent dans leur zone respective.
Comme prévu, les sphères métalliques trônent fièrement aux côtés de chaque examinateur. Assez haute pour contenir un enfant, leur surfaces lisses brillent sous l’Astre.
Il doit faire chaud là-dedans ...
Monsieur Paulhto nous a expliqué que les dispositifs ont tous été créés et modelés à partir de rien par un Apte très puissant.
Création, mineur Manipulation, une spécificité que seul les élites peuvent, dans de rares cas, développer. Ce monsieur trône aujourd’hui au conseil des Six à la tête d’une des plus importantes maisons de Nūna. Artōk Savirā.
Je remarque dans la longueur de l’ellipse que forme le terrain d’examen, une avancée à mi-hauteur, brisant la linéarité des assises. Les six grands conseillers sont en train d’arriver et s'assoient sur de larges sofas.
En dessous du promontoire, une rangée d’une vingtaine de fauteuils attendent, vides. Le reste des estrades de ce côté de l'arène, est rempli par une multitude d'Érudits affichant leur richesse et haussant la voix pour se faire remarquer. À l’inverse, derrière nous les bancs sont occupés par une population plus sobre, des Normos.
Bien plus silencieuse surtout.
Je sens comme une pression à l’arrière du cou, je me retourne et scrute la foule. Vīian, accompagné d’Ooka, affalée sur un siège, m’a repéré et me fait un rapide signe au moment où la voix du directeur s’élève dans le Colosseum. Perché sur un engin lévitant, au-dessus du terrain, le commentateur affable, souris de toute ses dents.
« Bonjour à tous, habitants de Nūna ! Soyez les bienvenues, jeunes Aptes ! Et enfin, veuillez accueillir comme il se doit nos bien-aimés conseillers. »
Un tonnerre d’applaudissement s’élève de la foule. Les conseillers se lèvent un à un et saluent le peuple. La ferveur soudaine a le mérite de sortir Lyss de ses préoccupations. Elle relève la tête et suis le mouvement. Je remarque qu’elle s’essaye à explorer les milliers d’yeux qui nous scrutent. Un frisson la parcours et elle se ramasse sur elle-même en faisant un pas vers moi. Elle agrippe ma manche se redresse un peu et fait la moue quand je la charrie avec malice.
Adorable.
D’une tête plus petite que moi, je ne peux m’empêcher de l’imaginer comme une petite sœur. L’idée n’est pas désagréable. Enjoué, je la bouscule discrètement et nous nous chamaillons jusqu’à ce que le directeur nous interrompe à nouveau.
« Aujourd’hui se continue la première épreuve du concours ! Mais d’abord, accueillons les représentants des vingt-six écoles du pays. Commençons par Umā. Vainqueur, quatre années de suite, du grand Tournoi d’Aptitude, elle a su former des Aptes de légende. Saluons son directeur, Edō Kāa. »
L’approbation du public est assourdissante. Un homme, la trentaine, paraît de l’une des portes liées au galeries intérieures. Il prend le temps de profiter des acclamations puis s’assied sur le premier siège de la lignée. Il lève ensuite la tête vers l’avancée où sont installés les six conseillers. Il les honore d’un signe de tête, puis se carre au fond de son fauteuil et nous scrute tous, un sourire désagréable en coin.
Le présentateur continue ses introductions une à une, trouvant des qualités insoupçonnés même aux écoles du bas du classement.
Les représentants ainsi classés et placés par prestige, Monsieur Paulhto satisfait, nous entrons enfin dans le vif du sujet de manière assez brusque.
« Maintenant que les présentations sont faites, je tenais à rappeler à nos jeunes Aptes l’enjeu de cette épreuve. Ceux qui obtiendront un score de puissance inférieur à 600, serons remerciés, tel est votre objectif pour la première épreuve. Nos Érudits ont très bien réussi les épreuves hier, si vous n’êtes pas à la hauteur, nous n’avons pas besoin de vous. Que les éliminatoires Normos commencent. » tonne la voix imposante. L’homme chaleureux qui nous accueillait il y a tout juste quarante minutes, a complètement disparu. À sa place se tient un individu, impassible et froid, dont le regard ne transmet aucune émotion. Le masque est tombé, l’homme ne joue plus la comédie. Méconnaissable.
Ma première pensée va à Lyss, qui se tiens tremblante à mes côtés. Je presse mon poing sur son épaule, elle sursaute, je lui souris, elle aussi. Ça va mieux.
Je m’intéresse maintenant au public qui ne semble pas avoir remarqué le changement d’ambiance. Pourtant il est plus qu’évident, les jeunes qui jusqu’alors s’étaient détendus, projette à nouveau un climat qui suinte d’angoisse et de crainte.
Le stress me frôle aussi, mais ne s’installe pas. J’étais anxieux en passant les portes, puis dans la grande salle d’attente mais, maintenant que je suis dehors, la fine brise m’apaise et me rappelle mon objectif. La douce chaleur dans mon cœur s’agite.
Je ne suis pas seul.
Rasséréné, je m’obstine à embêter ma camarade pour lui changer les idées.
**
Le numéro 1920 est appelé et une fille aux cheveux ardents, nattés jusqu’au bas du dos, s’avance vers la sphère et l’examinateur.
Il note son nom, son âge et son Aptitude. La rousse pose sa main sur la surface métallique et une fissure nette s’y imprime verticalement. Elle décolle ses doigts et la faille s’ouvre à la manière de deux paupières, si brusquement que la petite sursaute. Elle se reprend en vitesse, sentant les regards des autres Aptes dans son dos.
Elle cherche une approbation de l’examinateur qui lui répond d’un geste mécanique. Monte.
L’œil de fer se referme doucement sur la fille, installée tailleur, le regard alarmé.
Elle se maîtrise rapidement car nous voyons déjà le score, des nombres bleutés fait d’Onde, apparaître sur la surface noire du dispositif. Le compteur démarre doucement, puis s’accélère et les dizaines deviennent presque invisibles. Il se stoppe. 655. Elle est sélectionnée. Son test a duré seulement 1 minutes.
La sphère se rouvre et la petite, essoufflée, s’en extrait. Quelque peu perdue, elle fouille l’arène des yeux, alors que l’examinateur lui répète une deuxième fois de descendre de l’estrade.
Enfin, la rousse repère l’EPMF* géant qui trône fièrement au-dessus des gradins, face aux représentant d’école. Son score, et celui des vingt autres premiers passages, sont affichés.
Elle fond doucement en larme en revenant parmi nous.
Ce n’est pas de la tristesse.
C’est au tour du 1921.
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*EPMF : Écran Portable Multifonction Fixe. Les Anciens le nommaient téléviseur.
*La planète s’appelle Pandore, le pays où se passe l’histoire s’appelle Nūna
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