Chapitre 2

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L’alerte

Après plusieurs redirections dans différentes administrations, la nouvelle arriva au ministère des armées. Devant le caractère pour le moins étonnant de l’affaire, un tampon très secret défense y fut rapidement apposé. Le général de permanence avait entendu parler d’une initiative pilote au sein des armées, un petit groupe d’action rapide, mais utilisant principalement des scientifiques, ils développaient leur propre matériel et ce mélange de science, de technologie et de militaires avaient obtenu quelques réussites qu’un groupe plus traditionnel n’aurait pu accomplir. Il vérifia que ce groupe était toujours actif, la phase pilote était toujours en place malgré des rapports coût-bénéfices défavorables. Théoriquement le projet serait bientôt annulé. Mais tant qu’il était en phase active, c’était l’outil parfait pour ce « problème ».

Le lieu est secret. Il est dirigé par Elise Dubois, une femme ayant, grâce à un travail acharné et irréprochable, obtenu ses galons de commandante. Elle est dotée d’un impressionnant palmarès ; nombreuses missions sur le terrain, gestion de crises, infiltrations, renseignement, doublé d’une qualité de meneuse reconnue malgré le milieu très masculin. Depuis déjà deux ans, la commandante Dubois a été nommée à la direction de cette unité spéciale. Son unité se distingue par l'incorporation directe de scientifiques de diverses disciplines au sein même des effectifs militaires. Habituellement une unité d’intervention classique peut demander l’avis d’expert, ou ramener du travail pour des scientifiques de l’armée, mais il faut bien le reconnaître, une unité classique travaille le plus souvent de manière « classique ». C’est dans des cas où les renseignements manquent, ou une approche plus subtile est nécessaire que son unité prouve sa valeur. Le projet l’avait tout de suite emballée et elle avait elle-même choisi les principaux éléments. Les scientifiques et autres spécialistes s’étaient intégrés en moins de deux mois, se pliant sans rechigner aux entraînements militaires, tandis que les soldats d’élites s’intéressaient et aidaient spontanément à l’élaboration et au test de matériel. Le plus dur dans ce genre de programme était la création d’un esprit de corps, cela passait en général par de la souffrance collective pour que les individus se soudent contre l’adversité. C’était la raison pour laquelle les nouveaux arrivants étaient poussés dans leur retranchement dès le début, enchaînant activités physiques éreintantes avec peu de récupération. Mais ici cela n’avait pas été nécessaire, le choix initial des individus avait créé une émulsion naturelle, sa première réussite.

En ce début de soirée, Élise était assise à son bureau de permanence pour la nuit, elle s’attelait à une énième formalité administrative quand elle releva la tête en direction de la porte. Quelqu’un courait et approchait. Aussitôt on frappa.

— Entrez

Le Lieutenant Kevin Mercier entra rapidement. Il tenait un document sur lequel elle devina un « très secret».

Elle l’avait rencontré des années plus tôt sur des missions à haut risque. Elle avait tout de suite compris qu’il avait un don qui malheureusement ne serait pas mis en valeur dans le service actif et pourtant. Le poste créé pour lui l’avait enfin mis en valeur. Son don c’était… Elle n’avait jamais trouvé le bon mot. Il était leur atout administratif. Il avait une connaissance poussée des règlements et lois et avec le temps il s’était aussi fait un réseau de collaborateurs très complet alors qu’il n’avait pas encore la trentaine. Décidément elle ne trouvait pas comment le décrire, c’était juste un magicien pour qui a déjà eu à faire avec l’administration française et internationale. Plusieurs fois elle lui avait demandé de l’aide sur des difficultés, elle y avait passé des semaines, lourdeurs administratives, renvoyée de bureau en bureau pour des formulaires se contredisant. Et lui, décrochant son téléphone, trouvait une solution en cinq minutes !

Le lieutenant Mercier lui tendit le document qu’elle saisit immédiatement. Très secret défense ! La procédure voulait que cela soit imprimé en version papier depuis le service communication et immédiatement scellé. Élise étant la seule accréditée, personne ne savait encore ce que pouvait contenir le dossier. Cependant, les rumeurs se propageaient rapidement : l'arrivée d'un pli urgent ne signifiait qu'une chose - une mission imminente sur le terrain. La procédure voulait qu’elle reste seule pour prendre connaissance du document. Mais avant qu’il ne sorte, elle lui sourit et dit :

— Lancez la phase Un.

Dans un grand professionnalisme, le lieutenant Kevin Mercier répondit en faisant claquer ses talons.

— À vos ordres, fit-il avant de quitter la pièce en affichant lui aussi un large sourire.

La phase 1 était la phase de préparation. Une cinquantaine de personnes allait être prévenue durant les dix prochaines minutes ainsi que la vingtaine d’agents de permanence déjà sur le site, sans oublier les pilotes d’avions et d’hélicoptères, toujours prêts pour un déploiement sur tout le territoire métropolitain.

Le dossier de mission

Élise prit une profonde inspiration. En ouvrant le dossier, elle commença à lire les informations de mission qui comportaient toujours les mêmes types d’information : un contexte, les enjeux et les difficultés à prévoir et enfin l’ordre de mission.

Ses yeux parcoururent rapidement les premières lignes :

« Contexte : Un radiotélescope a détecté un objet. Les astronomes en charge du projet ont évalué que ce petit corps céleste devrait s’écraser en métropole. » Élise devant la liasse de documents fronça les sourcils. Pourquoi son unité était-elle concernée par une simple météorite ? Et cette mention « Très Secret » semblait exagérée. Intriguée, elle poursuivit sa lecture.

Le document précisait l’intérêt scientifique de retrouver une potentielle météorite avant les chasseurs privés. Élise parcourut rapidement les explications sur le système de traque automatisé, suivant tous les objets en orbite. Ces premières informations étaient décevantes ; elle s’imaginait déjà devoir annuler la mobilisation d’une grande partie de l’équipe.

Cependant, la page suivante retint son attention. Elle relut le passage plusieurs fois pour s’assurer qu’elle ne se trompait pas : « Sauf erreur de calcul, l’objet aurait “ralenti” entre plusieurs mesures. »

« Peut-être un choc » se dit elle, en le ralentissant, il lui permettrait d’atteindre la terre ferme en un seul morceau. En effet, les objets trop rapides entrant dans l’atmosphère sont soumis à un tel stress thermique, qu’ils explosent souvent avant de toucher le sol.

« Une météorite qui aurait subi une collision ? » se demanda-t-elle. Mais il ne semblait pas avoir d’information impliquant un autre objet. La lecture de la suite indiquait un objectif simple, « identifier l’impact et sécuriser le périmètre », le responsable ayant rédigé cette note reconnaissant que son unité était largement surqualifiée pour cette tâche. Ce premier scénario était néanmoins possible, deux cent trente météorites de plus de dix grammes tombaient sur terre par jour.

Le document proposait ensuite une autre hypothèse : « L’objet pourrait être un satellite étranger ». Cette fois, le savoir-faire de son groupe serait précieux, le satellite en question n’apparaissait sur aucune liste officielle ni officieuse, l’orbite d’où il semblait venir était censée être vide.

Le petit jeu des satellites-espions existait depuis de nombreuses années. Dans le début des années de la conquête spatiale et pour des raisons de sécurité, les Américains avaient dressé une cartographie de tous les satellites et débris potentiellement dangereux pour leurs fusées. Ce faisant, ils avaient détecté de nombreux satellites non répertoriés… à l’époque, seuls les Russes et les Français étaient capables de placer des objets en orbite. Avec quelques recoupements, ils en avaient déduit une liste de satellites secrets français et russes. Cette liste avait même servi d’objet de négociation, le terme politique pour « chantage ». Nos « amis » américains menaçant de dévoiler les orbites au reste du monde. Cette situation n’avait pas duré longtemps, car la France avait elle aussi commencé le recensement pour protéger son lanceur spatial. Et elle aussi avait trouvé des satellites « inconnus » rétablissant ainsi l’équilibre diplomatique.

La technologie utilisée pour repérer des objets au-dessus de l’atmosphère est celle des radars. Des ondes radio sont émises et des objets les reflètent. Une série de détecteurs permettent alors de connaître la position précise ainsi qu’une évaluation de la taille de l’objet.

Or, dans le cas de cet objet, rien n’avait été détecté avant ce week-end. Une note de la branche stratégie des Renseignements, nom donné aux services secrets, indiquait ceci :

« Le “Renseignement” pense qu’un accident ou une défaillance nous envoie un concentré de technologie à récupérer impérativement. Le satellite était probablement équipé d’un système de camouflage sophistiqué, maintenant défaillant. »

Si son équipe parvenait à récupérer ne serait-ce qu’une seule partie du revêtement furtif de cet objet, cela pourrait offrir un avantage stratégique majeur. Elle imagina que des laboratoires pourraient peut-être reproduire la technologie ou encore pourraient permettre de détecter des engins similaires. La technologie pouvant probablement être reportée sur des missiles ! Une autre crainte lui noua l’estomac, il était possible que la nation ayant créé cette technologie dispose déjà de missiles furtifs. L’aspect « très secret » faisait sens devant de telles implications. Elle comprit aussi que personne d’autre ne devrait récupérer de fragment du satellite, cela n’était pas écrit explicitement, mais un « très secret » impliquait une réussite, quel qu’en soit le prix !

Son cœur s’accéléra en lisant la suite.

Encore mieux, les suggestions suivantes dans le document évoquaient plus qu’un satellite, mais bien un véhicule spatial ! Probablement autopiloté, comme le X-37B américain, schémas et photos à l’appui. Ce drone, capable de décoller et de revenir seul, était capable d’effectuer des missions de plusieurs mois, six mois pour la dernière en date et huit mois pour l’engin chinois. Parmi les différentes théories, celle-ci avait l’avantage d’expliquer la capacité de l’objet à ralentir de lui-même.

À l’origine d’une telle technologie, il y aurait forcément une grande nation spatiale ; américains et chinois ; peut-être russes et indiens aussi ? Et les technologies de pilotage, de communication, de propulsion en plus de la furtivité seraient aussi d’un énorme intérêt stratégique s’il en restait quelque chose.

Enfin, arrivait le plus important du document : la mission principale.

« Identifier et sécuriser le site avant que des agents étrangers ne détruisent ou ne récupèrent les restes intéressants tout en protégeant la population. Les débris pouvant contenir des restes de combustibles toxiques et plus ou moins de radioactivité. »

Elle nota que comme elle l’avait pressenti que la protection de la population n’arrivait qu’en second plan, le « quel qu’en soit le prix ! »

Les explications suivantes lui indiquèrent que la nation à l’origine d’une telle technologie ferait tout ce qui lui serait possible pour empêcher la France ou un autre pays d’entrer en contact avec de simples morceaux de sa technologie. D’ailleurs, une destruction par missile ennemi sol-air de longue portée était toujours possible à l’heure où était diffusée cette mission. L’espace aérien étant français, cela provoquerait des problèmes diplomatiques, mais ça, c’était une autre affaire.

Enfin, le dossier indiquait deux calculs de trajectoire complexes. Avec une représentation graphique sur une carte. Le premier, basé sur les données initiales, prévoyait un impact au nord de l’Égypte. Le second, tenant compte de la décélération observée, était beaucoup moins précis : il indiquait une large zone elliptique d’impact potentielle couvrant un quart du territoire métropolitain français.

Cette imprécision s’expliquait par le manque d’informations sur les capacités de l’objet à se diriger dans l’atmosphère. S’il s’agissait effectivement d’un engin contrôlable, même partiellement, son point de chute devenait hautement imprévisible.

À l’extrémité ouest de la zone, un point indiquait les alentours d’une petite ville de banlieue, Sainte-Marie, petite ville de province de cinq mille six cents habitants. Si l’objet était une météorite, un satellite ou un vaisseau dénué de systèmes de vol, le calcul « balistique » indiquait que cette destination était à privilégier.

Refermant le dossier, Élise se leva d’un bon et se précipita hors de son bureau. L’opération devait commencer immédiatement.

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