Chapitre 5

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Risque d’échec

Émilie roulait très vite sur l’autoroute A6. Dès que possible, elle atteignait les cent soixante kilomètres-heure, enclenchant au passage les flashs des radars automatiques. Sous ses allures modestes, son véhicule dissimulait un moteur d’une bonne puissance. La circulation était très fluide, mais depuis que les voies s’étaient réduites à deux, de pénibles ralentissements arrivaient fréquemment à cause de ces maudits poids lourds. Et c’est en pleine accélération que le problème apparut, elle vit en passant deux motards de la police derrière les piliers d’un pont. Et la seconde suivante, ils étaient à sa poursuite. Obtempérant, elle se fit guider derrière un autre pilier de pont à seulement deux kilomètres. Elle avait dû bien ralentir avant le camion, quand elle les avait repérés, elle devait dépasser le cent quarante, peut-être un peu plus. Il lui fallait une stratégie. Elle se mit à pleurer.

Quand son véhicule fut immobilisé, elle sanglotait et pleurait à chaudes larmes. Elle abaissa la vitre.

— Couper le moteur et garder les mains sur le volant.

Devant l’agent, elle essaya de se reprendre, mais cela ne dura que quelques secondes.

Les deux motards la dévisageaient maintenant. Deux hommes, parfaits !

— Euh, savez-vous pourquoi on vous arrête ?

Son « oui » déclencha aussitôt de gros sanglots.

— Calmez-vous, madame, cela arrive à tout le monde, ce n’est pas la peine de vous mettre dans un état pareil.

Entrecoupée de sanglots et avec difficulté, elle ajouta.

— Non, ce n’est pas ça… c’est ma mère, elle est au CHU de Dijon et ils ont dit qu’elle ne passerait pas la nuit. Je ne sais même pas si je pourrais lui dire au revoir.

Et de nouveau des pleurs à la limite de l’hystérie.

— Sortez du véhicule s’il vous plaît, lui dit le fonctionnaire, mais sur un ton beaucoup plus doux.

Elle tenta de se calmer en respirant profondément.

Debout devant les gendarmes, elle se tint les coudes en faisant des efforts manifestes pour contrôler sa respiration.

Le second agent lui aussi avec un ton très calme la sermonna

— Madame, si vous voulez voir votre mère, il faut arriver en vie. En plus, vous pourriez blesser quelqu’un d’autre ou même pire !

Émilie commençait à se calmer, les sanglots refluèrent et elle sentait que ses yeux devaient être rouges et gonflés.

— C’est ça, respirez à fond et faites quelques pas.

Émilie s’exécuta et s’éloignant de quelques mètres, elle entendit les motards murmurer. Faisant demi-tour, elle revint à leur niveau. Son calme était revenu. Elle s’essuya le visage négligemment avec ses manches de chemise.

— Madame, je veux que vous me promettiez que vous roulerez plus prudemment, pas plus de cent trente kilomètres-heure.

Regardant tour à tour les deux hommes en affichant un air un peu surpris, elle acquiesça.

— Vraiment ! on est sérieux, vous le promettez ?

— Oui, fit-elle d’un ton plus affirmé.

Après un rapide coup d’œil à son collègue qui hocha discrètement la tête, l’agent continua.

— Je sais ce que vous traversez, et nous allons vous escorter sur une trentaine de kilomètres pour vous faire rattraper un peu le temps que vous avez perdu, par contre après vous avez promis de rouler plus calmement.

En affichant toujours de la surprise. Elle répondit.

— Oui oui, je vous le promets, merci, vous êtes vraiment… gentil, sympa, je ne sais pas quoi dire… merci, je suis désolée.

— Allez en route.

À ce signal, tout le monde regagna son véhicule.

Ils roulèrent à cent cinquante devant elle, avec les gyrophares, parfois l’un des motards accélérait pour ouvrir le passage à côté d’un camion. Et après une trentaine de kilomètres, ils ralentirent jusqu’aux cent trente kilomètres-heure réglementaires. Ils se portèrent à son niveau et lui firent un signe de la main. Elle répondit par un petit coup de klaxon.

Une centaine de mètres plus loin, ils prirent la sortie d’autoroute, laissant Émilie seule continuer son chemin. Les yeux encore gonflés, elle se parla à elle-même dans son véhicule.

— Merci messieurs, vous faites honneur à votre profession, c’est formidable qu’il reste des humains comme vous. Ma mère va très bien, mais je suis vraiment pressée.

Et elle réaccéléra. D’autres flashs illuminèrent son trajet et elle espéra que ses chevaliers servants n’en seraient pas informés. Oui, elle les avait trompés, mais elle espérait qu’ils gardent ce genre de comportement.

Contact cible

Le courant avait sauté dans la petite maison, et l’inspection extérieure n’avait révélé que peu de choses. Il y avait un trou dans le toit d’environ deux mètres de diamètre, par les fenêtres on ne voyait rien et il n’y avait aucun bruit non plus.

Deux membres du groupe se mirent en position devant la porte, elle était verrouillée, mais s’ouvrit en quelques secondes sous l’effet du mini bélier, petit tube de quatre centimètres de diamètre sur une trentaine de long. Fermement appuyé sur une serrure standard, elle cédait instantanément dans un claquement sonore. Deux agents se ruèrent à l’intérieur, armes au poing et torches électriques allumées. Aussitôt un « cible en vue » raisonna dans tous les casques.

— Cela semble minéral, pas hostile.

Élise suivie d’une partie de l’équipe entra et équipa la zone. Des bâches opaques pour couvrir les fenêtres, créer un sas à l’entrée et des projecteurs pour couvrir tous les angles. Cependant elle resta surprise par ce qui se présentait devant elle. Ils étaient dans un salon assez grand, un canapé d’un côté, délimitant l’espace avec la cuisine, à l’autre bout, un téléviseur qui ne fonctionnerait plus jamais avec de nombreux débris incrustés dans l’écran. Deux fenêtres donnaient sur la rue, dont une cassée pour analyser le risque quelques instant plus tôt, une fenêtre dans la cuisine sur le côté, toutes maintenant obturées. Et beaucoup de débris éparpillés, du bois, des pierres, un peu de laine de verre, quelques fils électriques pendaient, un tuyau de cuivre arraché vidait son contenu près d’un mur et le robinet de la cuisine coulait dans son évier. Un agent qui était parti dans la maison pendant que les scientifiques installaient toute une batterie d’instruments braqués sur l’objet revint lui faire un très court rapport. Il n’y avait personne dans la maison.

En attendant une réaction qui tardait, l’homme demanda

— Commandantes ?

— Oui, finit-elle par dire après deux secondes, se reprenant, elle enchaîna.

— Confirmez que le courant est coupé, vérifiez le gaz s’il y en a et trouvez comment couper l’eau aussi.

Puis elle lança sur le canal de communication

— Lancez l’évacuation à cent mètres et bloquez les routes d’accès dès que c’est fait et… attendez pour la suite. Et euh… mauvaise nouvelle tout le monde, ce n’est pas un satellite ni un véhicule, mais on reste concentré !

Regardant un des scientifiques qui enregistrait déjà des données d’un air perplexe, elle s’approcha.

— Alors ? Ça donne quoi ? demanda-t-elle

— Très peu de radiation, c’est acceptable, je donne mon accord pour retirer les combinaisons, l’objet est à quarante degrés… répondit l’homme.

— Cela ne devrait pas être, euh, différent ? Carbonisé ou tout cassé ? enchaîna-t-elle

Effectivement l’objet devant elle ressemblait à une roche un peu quelconque. La base était bien noircie, comme chauffée par l’entré dans l’atmosphère mais le reste était intacte, un mégalithe de trois mètres de haut sur une forme vaguement circulaire de la même taille.

Le scientifique répondit, un peu embarrassé.

— Si ! Euh… il nous faudrait un spécialiste des météorites pour confirmer, mais ce n’est pas l’idée que je m’en faisais. En plus c’est plus froid qu’attendu, en si peu de temps, cela devrait encore être à plusieurs centaines de degrés.

Évacuation de civils

Élise ressortit et retira son masque et la capuche de sa combinaison, l’air frais lui fit prendre conscience de l’humidité que sa combinaison avait accumulée sur sa peau. Actionnant son micro, elle lança.

— Fin d’alerte NBC, tous les personnels en dehors de la maison peuvent retirer leurs protections, cela rassurera un peu les civiles. On reste équipé à l’intérieur, au moins pour les poussières.

— Lieutenant, informez le maire qu’il n’y aura pas d’évacuation plus large mais annoncez que le risque d’explosion et toujours possible cela évitera les curieux. Il n’y a pas d’incendie, vous pouvez donc remercier les pompiers. Contacter aussi le capitaine Girard de l’équipe Bêta.

Vérifiant sa montre, elle continua, parlant au fur et à mesure que son esprit planifiait la suite.

— Il devrait bientôt arriver sur le tarmac, faites-lui le topo et dites-lui qu’une partie de son groupe restera en alerte sur la base de Lyon cela évitera d’effrayer les habitants. Ici, le site est facile à gérer et la cible moins précieuse que prévue. Il va falloir qu’il trouve du matériel pour l’extraction de la météorite. Il va devoir se débrouiller et vous pouvez l’aider.

Réfléchissant à voix haute elle continua.

— Il n’y a pas de régiment du génie à proximité, dans le pire des cas il faudra passer par de l’équipement civil. Ensuite il devrait leur falloir un peu moins de trois heures pour arriver par la route… La météorite doit faire entre une et cinq tonnes, il nous faudra du matériel pour démonter un mur et une partie du toit, des plaques de protection pour protéger la cible pendant ce travail. Une petite grue pour dix tonnes au maximum, avec des sangles larges et un contenant verrouillable pour quatre mètres par deux mètres par deux mètres. Et aussi une escorte pour le rapatriement au QG. Qu’il me tienne au courant quand il sera prêt.

Le lieutenant avait tout noté dans un petit calepin et avait probablement déjà réfléchis à plusieurs stratégies.

Son équipe « spéciale » avait toute autorisation pour réquisitionner du matériel militaire et civil et elle savait aussi que parmi les agents de la deuxième équipe il y aurait le savoir-faire pour piloter les véhicules demandés. De plus, ils avaient de grandes chances de trouver tout le nécessaire dans les casernes de militaires ou de pompier dans Lyon et sa région. Mais à cette heure de la nuit, il faudrait un peu de temps. Au pire, le convoi arriverait en début d’après-midi, se dit-elle.

Elle raccrocha, avisant un petit banc, elle s’assit pour réfléchir.

Au bout de la rue sur la place de l’église, des voitures étaient en train d’évacuer. La petite impasse où ils se trouvaient ne comportait que trois maisons supplémentaires. Toutes éteintes, l’ordre d’évacuation avait été bien préparé et efficace.

C’était un peu décevant quand même, ils avaient espéré un engin spatial avec potentiellement des « hostiles » à gérer. Toujours assise sur le banc, elle n’était pas sereine. C’était décevant et trop facile, mais il y avait autre chose. Élise ne croyait pas à la voyance ni autre théorie mystique. Pour elle, l’esprit humain était plutôt comme un détective infatigable, collectant sans cesse des indices imperceptibles. Ces informations subtiles, bien que non consciemment interprétées sur le moment, s’accumulaient dans les recoins de son cerveau. Au fil du temps, ces fragments s’assemblaient telles les pièces d’un puzzle, formant progressivement une image cohérente. C’est ainsi que ses sensations diffuses avaient commencé à la troubler, jusqu’à ce que, soudain, le tableau complet se révèle à elle, mettant en lumière le problème qui la tracassait. Et c’est là que semblant se rappeler quelque chose, elle ralluma son micro.

— Où est le négociateur ?

Ce n’était ni officiel, ni son grade, juste un petit surnom amical au sein de l’équipe. Elle savait qu’en prononçant ce terme, une grande partie du groupe sourirait, amoindrissant un peu la déception liée à la mission.

— J’arrive à l’angle de la rue commandante. répondit-il.

— Avez-vous gardé un contact avec nos « informateurs/chargés d’évacuation » ?

— J’ai leurs numéros, ils viennent de partir avec les derniers véhicules.

— Contactez-les pour demander si quelqu’un était présent ce soir dans la maison.

Cela se confirma, son impression de rater quelque chose enflait dans son esprit. Elle s’était figée devant l’objet ; une météorite ? Vraiment ? Un agacement… C’était trop chaotique pour être autre chose que de la roche, mais elle avait été troublée. Et puis, cela avait ralenti avant d’arriver sur terre ! Y avait-il eu une erreur de mesure ?

N’y tenant plus, elle retourna dans la maison, oubliant de remettre les protections.

Une bizarrerie

À peine fut-elle entrée, qu’elle se figea à nouveau, quelque chose clochait. Il faisait nuit noire.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? gronda-t-elle.

Un scientifique lui répondit très vite

— Attendez et observez, surtout, ne bougez pas.

À quoi jouaient-ils ? Elle attendit un moment, rien ne se passait, son agacement devenait une angoisse… son équipe n’était composée que de grands professionnels, pas du genre à faire des blagues en service. Quelque chose altérait peut-être les esprits ? Et elle n’avait pas remis son masque !!!

Aux aguets, elle dégaina lentement son arme de service. Respirant calmement et cherchant à localiser les quatre scientifiques qui étudiaient la météorite. Et puis cela arriva.

Une lueur enveloppa l’objet, à peine visible dans le noir complet, elle identifia aussitôt le phénomène que tous avaient vu dans le ciel en arrivant. Cela enfla légèrement, elle recula d’un pas, l’onde se dissipa dans la pièce, disparaissant ou plutôt se diluant tandis qu’elle continuait à grossir. Puis quelqu’un alluma les spots causant des grognements étouffés. Elle détourna le regard et seulement après plusieurs secondes, elle parvint enfin à regarder les membres de son équipe. Tous restaient interdits. Le seul bruit était un léger sifflement des appareils électriques scrutant l’objet.

Avisant son arme dans sa main, elle la rengaina rapidement. Jetant un œil agacé à ses collègues.

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