Chapitre 9

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Déplacement

Élise avait attrapé le bras de l’expert avant qu’il ne pollue l’objet. En fait, elle était sûre que ce civil ne respecterait à nouveau pas sa consigne. Après l’avoir retenu la première fois, elle lui avait permis dans un second temps de toucher la roche avec une fourchette, puis c’était arrivé. Tout l’objet s’était effondré, révélant une structure cristalline. Elle se tenait prête derrière lui et elle avait eu raison ! Elle le tira vivement par le bras et pour éviter un autre incident, elle le fit passer devant lui dans le sas.

Le voyant disparaître vers l’extérieur, elle était en pleine réflexion. Était-ce possible, ce spécialiste avait l’air vraiment sûr de lui, et un objet aussi friable ne pouvait pas avoir traversé l’atmosphère. Et si ce n’était pas l’objet de la mission ? Une autre chose tombée fraîchement au travers du toit… mais non.

Au moment de s’engager à la suite de Julien, quelque chose arriva. Elle se retrouva dans un champ, et il faisait jour. Elle était derrière la maison de vacances où, ses parents et elle, passaient tous leurs étés. Des moments heureux. Et devant elle se trouvait son père !

Très surprise, elle demeura figée. Que cela avait l’air réel ! L’air frais lui fit prendre conscience qu’elle ne portait plus sa combinaison. Baissant les yeux, elle remarqua qu’elle était habillée en civil. Elle en profita pour se pincer le dessus de la main. Et cela pinçait.

Son père lui dit « Bonjour ma chérie »

Élise resta muette.

— Ma petite Éli, j’ai besoin de ton aide, veux-tu bien répondre à mes questions ?

Quelque chose en elle voulait qu’elle soit une fille obéissante. Cela paraissait si logique et facile, elle faillit à plusieurs reprises lâcher prise et accepter la situation. Mais à chaque fois elle arrivait à reprendre le dessus. C’était comme le ressac des vagues poussant puis relâchant. Ou encore comme pendant des cours ou pendant une réunion où on essaie de concentrer malgré une terrible envie de dormir, une pression sur son esprit, puis sa volonté qui reprenait le dessus. Un combat mental.

Quand elle eut cette impression de combat, ses années d’entraînement déclenchèrent une réaction chez elle. Il n’était pas possible de perdre un combat ! Un échec avait toujours de terribles conséquences, elle en avait fait les frais à plusieurs moments de sa vie et il n’était pas envisageable que cela se reproduise !

Elle sentit sa colère monter et repoussa de toutes ses forces la vague psychique qui tentait de la submerger. Après quelques instants quelque chose céda, comme un déclic, un voile qui se déchire brutalement.

Elle était dans le champ, son père devant elle. Mais maintenant elle se sentait maître d’elle-même, elle avait retrouvé sa clarté mentale. Elle ne serait pas la fille obéissante. Plus jamais elle ne se laisserait piéger par cette confusion !

Elle regardait l’homme devant elle. Soit elle était complètement folle, soit elle était morte ? L’objet l’avait tué, ou ce spécialiste ! Il avait pu dissimuler un couteau ramassé pendant qu’il récupérait une fourchette au sol et se retourner dans le sas ? Elle ne se souvenait de rien. À part cette dernière lutte et la désagréable sensation de se faire engloutir dans un rêve.

— Papa ?

L’homme devant elle lui sourit.

Elle ne se sentait pas morte, elle respirait, elle avait ressenti le pincement sur sa main, prise d’un doute, elle amena son index sur son cou, elle avait un pouls. Bien sûr personne n’était revenu depuis l’autre côté pour parler des sensations. D’ailleurs elle ne se souvenait pas du tunnel sombre ni de la lumière au fond rapporté par ceux n’ayant fait qu’une partie du chemin. Repassant ses souvenirs, son esprit la ramena à la mission ainsi qu’à la curieuse disparition des habitants. Elle avait été déplacée ! Peut-être que la mère et son fils étaient là eux aussi ? Elle regarda autour d’elle puis revint sur son père. Si elle n’était pas morte, peut être que d’une manière ou d’une autre elle avait été, disons téléportée ? Pourtant elle ne pouvait pas être près de la maison familiale, il faisait nuit sur la métropole, à moins qu’elle n’ait « raté » une dizaine d’heures ? Mais surtout, cela ne pouvait pas être son père décédé depuis plusieurs années.

— Vous êtes censé être mon père ? osa-t-elle.

Le père d’Élise eut l’air un peu surpris et répondit « Qu’appelez-vous père ? »

C’était déconcertant, son cœur et sa respiration s’accélèrent pendant que son cerveau analysait les implications de cette simple réponse. Qui, sur terre, ne comprenait pas la notion de père ? L’objet avait ralenti avant d’entrer dans l’atmosphère, l’hypothèse d’un véhicule, l’absence de destruction typique, les malaises, les disparitions, sa disparition ?

En essayant de calmer les tremblements de sa voix, elle tenta de nouveau : « m’avez-vous amené ici ? ».

— Oui, répondit-il, mais vous n’avez pas répondu à ma question.

— C’est… l’apparence que vous utilisez actuellement ! Répondit-elle

— Cette image semblait la plus adaptée pour vous contacter.

N’y tenant plus Élise enchaîna.

— Qu’êtes-vous ? Et où sommes-nous ? Où sont les deux personnes qui ont disparu ? Indiquant autour d’elle, sont-elles ici ?

— Je m’entretiens effectivement avec deux autres entités de votre espèce.

— Bordel de bordel de… C’est un alien ! pensa-t-elle

Il reprit.

— Nous sommes des voyageurs, nous vous avons détectés et avons décidé de prendre contact pour connaître votre euh… façon d’exister, votre histoire.

Élise prit encore quelques secondes pour stabiliser sa respiration.

— Soit, se dit-elle, si je ne suis pas en pleine crise psychotique… encore que ? Un gaz pourrait faire ça non ? Et que je ne suis pas morte et bien discutons.

— Pouvez-vous changer d’apparence ? Celle-ci me dérange.

— … votre esprit nous est fermé, il nous est difficile de trouver une forme appropriée.

— Et si vous me montriez votre véritable apparence ?

— Nous ne trouvons pas de moyen de vous montrer une forme correcte compatible avec vos dimensions, nous craignons qu’une telle tentative n’endommage votre esprit.

— Rien que ça ! répondit-elle indignée, dans ce cas, utilisez une forme dont vous vous êtes déjà servie !

Aussitôt le père d’Élise prit la forme d’un homme qu’Élise ne reconnut pas.

— Votre présence ici est-elle une forme d’attaque de mon peuple ?

— Non.

— Vous lisez dans nos pensées, pourquoi ce besoin de nous enlever pour nous interroger ?

— Nos différences ne nous permettent que d’effleurer votre mental et seulement à l’aide du…

Élise perçut un léger sifflement aigu, était-ce une tentative de prononcer un mot ? Un peu surprise, elle demanda « Pardon ? »

— Nous cherchons un vocable pour le désigner… Con… scientateur ?!

— Conscientateur ? fit-elle en faisant une grimace, ce vocable n’existe pas !

Dans les phases de négociations, parfois critiques, qu’Élise avait connues dans sa carrière, elle avait appris qu’il fallait toujours utiliser le même vocabulaire que la « cible », c’était devenu un réflexe.

— Oui nous exprimons une pensée. C’est un objet ayant une apparence concrète dans votre dimensionnalité, mais qui résonne aussi dans la nôtre, il possède le moyen de réaliser un pont entre nos consciences et les vôtres.

— La météorite ?! dit Élise comprenant

— Ce vocable ne désigne que sa façon de vous approcher. Il est plus approprié de définir cet objet par sa fonction. Si vous m’ouvriez votre esprit, notre échange pourrait être plus efficace.

— Non ! Ce n’est pas envisageable ! Cela nécessiterait de la confiance entre nous et pour le moment tout vous désigne comme un ennemi.

— Nous ne comprenons pas ce terme !

— Un ennemi est un opposant, quelqu’un qui utilisera tous les moyens à sa disposition pour nuire et faire du mal à quelqu’un d’autre. Manipulation mentale, mensonge, arme… Et pour le moment, vous nous avez montré une grande capacité à manipuler nos consciences, chose que mon peuple considère comme une agression.

— Nous ne sommes pas ennemis, j’ai appris « mensonge » et « arme » avec les deux autres entités, et cela m’a troublé. « Arme » est peut-être nécessaire pour votre survie dans un environnement où vous semblez faible, mais « Mensonge » ?! Vous utilisez la conversation pour nuire à la conversation ! il n’y a pas de logique, peut être que par la suite je pourrai comprendre. Me mentez-vous ?

— Non je ne vous ai pas menti, mais si vous souhaitez nous prouver que vous n’êtes pas un ennemi vous pourriez relâcher les deux autres « entités » de mon espèce, sans leur faire de mal.

Sans une pause l’entité enchaîna.

— Voilà, c’est fait. Nous n’avons pas approfondi notre pression mentale, tout va bien, elles ne montrent pas d’altération à la suite de nos échanges.

— Avez-vous un autre moyen de communiquer avec mon peuple ? Ne pourriez-vous pas apparaître tel que vous m’apparaissez actuellement, mais dans notre « dimensionnalité » ?

— Cela n’est pas possible, le conscientateur est le moyen le plus efficace pour relier nos esprits. Nous ne pouvons pas exister dans la même dimensionnalité que la vôtre et l’inverse est aussi vrai.

— Vous semblez pourtant capable de beaucoup de choses ? D’où vient ce conscientateur par exemple ?

— Nous l’avons… manque de vocables… décourbé à partir d’énergie d’un micro-espace et suffisamment à distance pour ne pas endommager votre monde, nous l’avons ensuite dirigé vers votre puits.

De plus en plus à l’aise dans ce dialogue, Élise savait que les services de renseignement voudraient un maximum d’informations, et elle-même souhaitait en apprendre le plus possible sur cette chose.

— Pouvez-vous être plus explicite ?

— Nous tentons, et continuerons de nous efforcer à vous expliquer. Mais pourriez-vous répondre à nos questions aussi ?

— Si à la fin de notre échange vous vous engagez à me ramener d’où vous m’avez enlevé et sans altération mentale.

— Acceptons ! Mais ce type d’échange étant différent des précédents, nous ne pouvons garantir l’absence d’altération.

— Quel type d’altération ? fit Élise surprise, je risque de ne plus être moi-même ? Notre échange n’a pas d’intérêt si je ne peux le rapporter à mon espèce. Peut-être devons-nous raccourcir notre discussion et trouver un autre moyen ?

— Inutile, la durée n’a pas d’incidence. Notre compréhension limitée de vos esprits et de votre dimensionnalité nous indique un effet probable, mais limité sur votre être. Nous vous présentons nos excuses si cela vous altère de manière désagréable.

Élise accusa le choc. Puis repris.

— OK… je vous propose de poser une question à tour de rôle.

Vincent : Où suis-je

Ce fut la fraîcheur qui réveilla Vincent. Il était étendu dans un champ, de l’herbe d’une quarantaine de centimètres le dépassait. Se relevant rapidement en position assise, il dit à voix haute comme s’il continuait une conversation.

— Comment ça « non » ?

Quelques secondes plus tard, il jura vulgairement ! Qu’est-ce qui venait de se passer ? La découverte d’un OVNI, le matin, quoi qu’en pense sont maître de stage, puis le voyage en fin d’après-midi et la découverte d’un étrange rocher dans un séjour d’une petite maison. Et au moment où il avait approché la main, il avait entendu un « Non ».

Qui avait parlé ? Il n’avait vu personne ! Des aliens ! il avait eu un contact ! Puis il sentit l’humidité froide de la nuit s’insinuer à travers les fibres de son pantalon. La sensation désagréable le força à se lever. Il était debout au milieu d’un champ en pleine nuit, à peine éclairé par la lune.

Il inspira longuement par le nez, en souriant. Et petit à petit il fronça les sourcils.

— Non ? comment ça non ?

Cette phrase tonna dans le calme de la nuit. Pourquoi les aliens avaient-ils pu prendre le temps de s’adresser à lui juste pour cette négation ? « Non » pour quoi ? Pour le contact ? Et seulement à ce moment il prit conscience du lieu où il se trouvait. Il faisait nuit, tournant la tête dans toutes les directions, il n’y avait rien, il devinait une masse plus sombre que le reste au loin, probablement une petite forêt. Il aperçut une faible lueur diffusant dans le ciel. Pour une fois, la pollution lumineuse était utile, il avait une direction à suivre.

N’ayant de toute façon rien d’autre à tenter, il commença sa marche tout en espérant être proche de la ville, Sainte… quelque chose. Marcher dans la nuit ne lui faisait pas peur. Il avait fait de l’astrophotographie en club, et seul aussi. Traverser des bois avec une lampe frontale pour atteindre des clairières était habituel pour obtenir de beaux clichés des astres. Ces amis et certains membres du club lui avaient demandé s’il n’avait pas peur, seul, la nuit, dans les bois. Il en riait à chaque fois ; peur de quoi ? Il n’y avait pas plus de monstres en forêt que sous les lits des enfants ! Et en France les risques au fond d’une forêt étaient minimes. Mais était-il seulement en France, les aliens l’avaient déplacé, il pouvait être n’importe où !

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