Chapitre 11
Rencontre improbable
Après un détour qui lui sembla interminable, elle finit par atterrir sur un chemin, si on peut encore appeler cela comme ça. À deux endroits les ornières laissées par les tracteurs la forçaient à rouler deux roues en dehors du chemin les deux autres sur le terre-plein central. Sa petite voiture n’en menait pas large cahotant, tout en évitant les gros cailloux, ce n’était pas le moment de frotter le bas de caisse, une panne ici serait catastrophique pour sa mission… si la mission existait encore après tout ce temps. Puis enfin, au détour d’un croisement, le terrain se stabilisa et elle put enfin renouer avec un bon soixante kilomètres à l’heure sans prendre trop de risque.
Mais aussi improbable que cela paraisse, en pleine nuit et en pleine campagne loin de tout, là, planté au milieu du chemin, une personne lui faisait de grands signes.
La bonne nouvelle c’est que cela n’était pas un barrage, par contre elle fut quand même obligée de s’arrêter.
C’était un jeune homme qui vint rapidement à sa hauteur sur le côté conducteur. Pendant quelques secondes Émilie hésita à redémarrer pour planter là cet étrange autostoppeur, mais elle descendit sa vitre.
— Oh Bonsoir, vous êtes mon sauveur.
— Bonsoir, euh qu’est-ce qui vous arrive ?
Vincent, qui venait d’avoir les phares en plein visage n’avait reconnu qu’a la voit que son sauveur était une sauveuse. Mais que pouvait-il lui répondre… « des extraterrestres mon déposé dans ce champ, pouvez-vous me dire ou je suis et pouvez-vous me ramener à la civilisation ? » S’il ne se prenait pas un coup de bombe lacrymo, il s’en sortirait bien…
— Ah, madame, c’est une longue histoire. Pouvez-vous me ramener à la ville la plus proche ?
De son côté, Émilie vit en lui une potentielle source d’information pour sa mission.
— Oui, oui, bien sûr, monter.
Pendant que Vincent faisait le tour de la voiture pour prendre place côté passager, elle fit rapidement disparaître son deuxième téléphone laissé sur le siège passager.
À peine installé et pour ne pas perdre le fil de l’excuse qu’il était en train d’imaginer, Vincent attaqua la conversation.
— Je faisais de l’astrophotographie avec un pote au milieu d’un champ et on est tombé en panne de batterie, il est parti avec la voiture et ça fait presque deux heures que je l’attends. De plus mon téléphone aussi est vide ! fit-il en montrant l’appareil. C’est vraiment une chance que vous passiez par là… j’ai cru que c’était lui qui revenait !
— Oh c’est cool ça de l’astrophotographie ! et vous venez de Sainte-Marie ?
Première information pour Vincent, il était bien dans la région de la petite ville. Assez fier de son improvisation, il enchaîna.
— Oui euh non, mon pote oui ! mais moi je suis de passage, je ne connais pas bien la ville. Et vous ? Pour passer par ici, vous devez bien connaître ?
Très naturellement Émilie construisit son histoire.
— Ha non pas du tout, c’est ma première fois, enfin si j’y arrive. Je viens passer quelques jours chez une amie, mais j’enchaîne les catastrophes. J’ai perdu des heures dans les bouchons, plus une panne mécanique et maintenant de foutu GPS qui me fait passer par des chemins complètement impraticables. J’étais en train de péter les plombs quand je vous ai vu au milieu de la route. Sur le coup, j’ai cru que j’étais tombé sur un taré en rase campagne. Cela aurait une continuation du voyage assez logique…
Elle avait prononcé les dernières phrases en le regardant du coin de l’œil, exagérant volontairement le côté soupçonneux.
Elle l’avait rapidement évalué. Physique standard, elle pourrait le gérer en cas d’ennuis, comportement assez banal. Son histoire était assez bizarre, mais pourquoi pas, comment expliquer sa présence ici sinon ? À vérifier quand même, en le mettant mal à l’aise, ce qui donc venait d’être fait.
Vincent rigola nerveusement.
— Ha ha… oh non non, je ne suis pas un taré. Enfin tout est relatif, je suppose. Vous ne risquez rien !
Son histoire n’avait pas fonctionné aussi bien qu’il l’avait pensé ? Il fallait rassurer son chauffeur pour ne pas se faire déposer ici. D’ailleurs elle était super mignonne !
— OK il faut être un peu fou, je suppose, pour partir en rase campagne faire des photos d’étoiles. Cette nuit, il n’y a pas trop de nuages et on s’est éloigné de la ville pour éviter la pollution lumineuse. Moi j’ai toujours mes batteries de rechanges pour l’appareil photo, mais c’est le matériel d’Antoine et il n’a pas vérifié. On est dans la bonne direction là ?
Vincent souriait intérieurement. Il se découvrait super bon menteur ! l’histoire d’Antoine lui était venue très rapidement, il ne sait pas pourquoi il avait pensé à son cousin à cet instant, peut-être à cause de ses gaffes à répétition. Il s’était trouvé très naturel. Plus son petit doute sur le trajet pour changer de sujet ! du pur génie !
— C’est ce que dit le GPS en tout cas. D’ailleurs c’est vraiment étrange qu’il me fasse passer par là. Ça m’est déjà arrivé pour éviter des embouteillages, mais là au milieu de la nuit je ne comprends pas ce qui lui prend. Il y a des travaux ? Quand vous êtes parti de chez Antonin, vous avez peut-être remarqué un problème ?
Comme pendant sa formation, Émilie menait un interrogatoire tout en douceur, des questions détournées, tout en créant des moyens de vérification.
— Non, mon ami s’appelle Antoine, et euh, non rien d’inhabituel sur les routes qu’on a prises.
À quelques kilomètres devant eux, les voyageurs apercevaient maintenant pointer le sommet d’un clocher. Émilie avait maintenant un problème. Si son excuse semblait fonctionner sur son auto-stoppeur, il serait plus difficile de répéter le même mensonge à des forces de l’ordre qui pourraient vérifier les noms et les adresses. Elle ne pouvait pas se permettre de tomber sur un contrôle. Les options défilaient à toute vitesse dans sa tête jusqu’à ce que la meilleure prenne le dessus.
— À ça y est on approche ! fit Vincent, je reconnais le clocher.
À peine avait-il fini sa phrase que la voiture eut un hoquet, puis un autre, puis elle s’arrêta.
— Oh non pas maintenant ! On y est presque !
— Quoi ? demanda Vincent, légèrement inquiet.
— Ça recommence ! c’est la même panne que plus tôt
Émilie faisait mine de tenter de redémarrer, mais sans aller jusqu’au bout.
— C’est sûrement à cause du chemin, le réparateur sur l’autoroute m’avait dit d’aller faire contrôler dans un garage au plus vite. Je ne sais même pas comment il a réparé en parlant d’un problème de masse. Vous vous y connaissez ? fit-elle en faisant son plus beau regard.
Cela fonctionnait toujours, le coup de la panne autant que le coup de la pauvre femme démunie…
— Euh moi ben non pas du tout. Bredouilla Vincent qui enchaîna.
— Mais nous ne sommes plus très loin, deux kilomètres au maximum. Et vous pouvez peut-être appeler votre amie ?
— On a été coupé un peu plus tôt dans la soirée et depuis ça ne répond plus. Quand je vous dis que j’enchaîne les catastrophes.
Vincent repensa à la « météorite », elle était tombée sur une habitation, sur le coup il n’y avait même pas réfléchi, mais peut-être qu’il y avait des habitants et peut être… Oh non à tous les coups c’était son amie…
En un instant il eut l’envie de tout lui dire, mais il hésitait. Si lui était convaincu d’un contact du troisième type, la décélération de l’ovni, la drôle de météorite, mais surtout le « déplacement » et le mot qu’il avait entendu. Il se souvenais aussi du regard de son tuteur.
— Euh, quand on est parti tout à l’heure, il y a eu un genre de gros bruit, comme un feu d’artifice ou une petite explosion, peut-être que ça a touché une antenne relais ?
Ces dernières paroles de Vincent intéressèrent au plus haut point Emilie, bien sûr elle n’en montra aucun signe : Une explosion, Intéressant, un début de piste, maintenant il lui fallait se débarrasser de lui.
— Ah bon ? Et votre ami qui n’est pas revenu, c’est peut-être plus grave.
Et voilà, Vincent rageait intérieurement, il s’était coincé dans son mensonge. Ce n’est pas pour rien qu’il détestait cela… Ne préférant rien ajouter sur ce sujet, il reprit.
— Bon ben on y va ?
— Dans la nuit ? minauda Émilie.
C’était vraiment dommage, s’il n’avait pas eu la deuxième et probablement dernière chance d’approcher un alien, il serait bien resté pour réconforter cette jolie fille jusqu’au début du jour.
— Mais oui cela ne craint rien, et a deux, il n’y a aucune raison d’avoir peur.
— Euh… au fait moi c’est Cassandre et vous euh toi ?
— Vincent.
— Je propose… je t’envoie un SMS et quand tu auras rechargé ton téléphone tu m’appelles et tu reviens avec Antoine me chercher ?
Foutu mensonge, pensa Vincent. Il prit un moment pour ne pas gaffer. Il n’avait pas encore dit d’où il venait précisément dans l’agglomération.
— J’en ai pour au moins deux heures peut être trois si je me perds et je ne sais pas pourquoi mon pote n’est pas revenu il a peut-être aussi un problème de voiture… ça risque d’être vraiment long.
— Ce n’est pas grave, je préfère attendre et dans le pire des cas quand il commencera à faire jour je te suivrais.
— Bon OK, a plus tard et si cela se passe bien pour toi et qu’on ne se revoit pas, on pourrait s’appeler pour boire un verre ?
— Oui, pourquoi pas ! Répondit Émilie.
Dans le même temps, elle prit son téléphone « vas-y, je t’écoute ». Après avoir donné son numéro de mobile, Vincent laissa la femme seule. Si tout se passait bien, ce serait vraiment une nuit mémorable. Premier contact avec forcément une belle notoriété, et une nouvelle amie qui semblait être à peu près du même âge. Tout excité il se dirigea vers l’église d’un bon pas tout en restant sur le chemin, pourtant il le savait, il y avait des chances que tout bascule, l’amie de Cassandre habitait-elle la maison ? « On » lui avait dit « non », est-ce qu’il pourrait négocier ? Est-ce qu’il avait tout faux ? Pour le moment il choisit de rester optimiste, « c’est mignon comme prénom Cassandre ».
Emilie laissa Vincent s’éloigner et après deux longues minutes elle récupéra sa veste sur la banquette arrière, éteignit les phares tout en laissant les veilleuses, et sortis. Refaisant le point rapidement, pour l’instant elle avait une zone bouclée par la gendarmerie et peut être une explosion. Et devant elle un appât pour lui ouvrir la voie. Elle savait avoir perdu beaucoup de temps, mais tout était encore possible.
Suite de la discussion
— Une autre question maintenant : Les autres espèces intelligentes que vous avez découvertes dans notre univers, peuvent-elles être nos ennemies ? Où peuvent-elles devenir nos amies ?
— Non, vos durées de vie et vos technologies ne permettront pas de contact. Une des espèces a peut-être le potentiel de voyager entre les puits, mais c’est encore très incertain. Je crois que je ressens ce que vous nommez « tristesse », devant la durée de la vie dans les puits. Vos existences commencent dans une prison avec des ressources tellement limitées. C’est la première fois que je ressens ce qui ressemble à ce que vous nommez un sentiment. Et j’aimerais vous aider à préserver la vie issue de votre puits. Ma dernière question : pourquoi ne cherchez-vous pas à protéger la vie sur terre ? Cela devrait être votre priorité !
— Je… Il y a de nombreux groupes différents parmi les humains et de nombreuses façons de concevoir notre environnement ! huit milliards d’humains ont besoin de manger, se loger, s’habiller et utilisent des technologies. Notre système d’interaction est trop complexe pour permettre un changement rapide et adapté. Enfin, c’est juste mon analyse.
— Merci Élise. Le conscientateur a terminé sa mission. Son temps dans votre puits va bientôt s’achever. Je vais vous redéposer dans votre temps. Le repli de cet outil est moins impactant que sa « création », mais je vous demande de vous éloigner rapidement pour ne pas prendre de risque.
— Non, s’il vous plaît, attendez ! Vous aviez dit que le temps passé à discuter ensemble était sans gravité ! J’ai tellement d’autres questions
— Oui Élise, j’ai dit que l’impact sur votre esprit ne dépendait pas du temps passé avec cette liaison. D’ailleurs votre inconfort précédent est probablement dû à une modification induite par votre rejet de contact plus direct. J’ai dû ajuster les « vibrations » pour les rendre plus acceptables à votre nouvelle configuration. Le conscientateur, tout comme vous, a des ressources et donc une durée d’existence limitée. La prolonger fait courir un grand danger à tout votre monde.
— D’accord, je comprends. Merci pour ce contact, aurons-nous la chance de nous revoir ? Il suffirait de nous renvoyer un nouveau conscientateur !
— J’ai appris beaucoup de choses avec les connexions des deux premiers esprits et ensuite d’une manière plus difficile et moins rapide j’ai pu aborder des concepts plus complexes avec vous. Des essais sur les mondes abritant de l’intelligence m’ont permis d’améliorer la technologie.
— Déjà ? le coupa Elise
— Oui, les temps de votre espace sont différents de certains de mes espaces, ce qui peut vous apparaître comme rapide a quand même eu une certaine durée autre part. D’ailleurs, après de nombreux essais j’ai commencé à aimer ce que vous appelez technologie, je comprends son grand intérêt pour exister dans cet univers. J’ai déjà créé un autre type de matériel pour préserver l’existence animale des planètes comme la vôtre. Les défis sont nombreux, je vais l’essayer sur une planète où la vie est sur le point de disparaître de manière plus rapide que la vôtre. Je viendrais ensuite vous aider, une part de moi sous une autre forme probablement, sera présente dans cette création. Si vous le souhaitez, il sera possible de nous entretenir à nouveau et proposez aussi à l’être nommé Vincent. Il souhaitait tellement communiquer avec moi, mais ce conscientateur aurait eu des effets terribles sur lui.
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