Chapitre 14
Débriefing
Dans une petite salle au QG, deux enquêteurs des services des armées avaient convoqué le lieutenant Mercier en début d’après-midi. Ils s’étaient présentés comme Pierre et Jaques, sérieusement… il fallait oser.
Pierre Lieutenant Mercier, pouvez-vous reprendre à partir du moment où votre commandante aurait « disparue » ?
Kevin Mercier était assis dans cette salle d’interrogatoire depuis des heures à répéter la même histoire. Avec le côté tellement étrange de la mission, la situation était logique et il ne s’en offusquait pas. Si lui-même avait eu un rapport aussi inhabituel entre les mains, il aurait, lui aussi, « interrogé » ses agents. Le but était de déceler des incohérences dans les détails. Il était prouvé que c’était le meilleur moyen de dévoiler des mensonges, faire répéter une histoire en creusant chaque détail. L’autre méthode qui consistait à isoler et demander à chaque personne de raconter les faits, était aussi très efficace. Son équipe avait forcément été interrogée et l’était peut-être encore actuellement. Mais cette méthode n’était efficace que si les différents témoins pouvaient être isolés rapidement. Or, dans leur cas, ils avaient eu tout le temps nécessaire pour imaginer un scénario sur le trajet du retour. Donc il était assis là, dans cette petite salle, probablement surchauffée volontairement dans le but de le fatiguer, et ce, jusqu’à ce qu’il craque ou que les interrogateurs admettent une potentielle vérité.
Par contre il n’avait pas eu de nouvelle de sa commandante et le fait que son interrogatoire dure aussi longtemps signifiait probablement qu’elle n’avait toujours pas repris conscience.
Kevin Mercier, le regard fatigué mais résolu, s’exprimait devant les deux individus à l’allure neutre, probablement des agents des services secrets. Leur attitude impassible renforçait le caractère intimidant de l’échange. Une caméra, fixée dans un coin de la pièce, enregistrait chaque mot, chaque nuance dans le ton de sa voix. Pourtant habitué aux pressions inhérentes à sa fonction, il sentait la tension grimper à mesure que les questions s’enchaînaient.
— Reprenons, lieutenant, lança le dénommer Pierre, d’un ton parfaitement maîtrisé, presque mécanique. Vous affirmez que la commandante Dubois a disparu… et cela sans laisser la moindre trace visible.
Kevin hocha la tête. Son visage ne trahissait aucun doute, mais son regard indiquait l’épuisement d’avoir répété cette même histoire une dizaine de fois.
— Le civil Julien Bonnet, spécialiste des météorites, a passé le deuxième sas de bâche plastique. Il était mécontent et menaçait la commandante qu’il pensait être juste derrière lui. La commandante n’était toujours pas là. Puis c’est le scientifique de garde qui est sorti, la commandante avait instauré un roulement de surveillance, par précaution. Le civil a demandé où était la commandante. Nous sommes restés quelques secondes surpris tous les deux. Je lui ai expliqué qu’elle n’était pas sortie et lui nous a assuré qu’elle était entrée dans le sas à la suite du civil. J’ai aussitôt couru voir si elle n’avait pas fait une mauvaise chute, mais le sas était vide.
— Et c’est là que la famille est réapparue ? enchaîna le deuxième homme qui se faisait appeler Jaques.
Kevin connaissait cette technique par cœur, poser des questions légèrement erronées pour induire des erreurs dans le discours. Il ne put réprimer un soupir et continua très calmement.
— Non, comme je vous l’ai déjà expliqué, j’ai demandé à l’équipe d’appliquer un protocole de surveillance renforcé. Nos drones ont cartographié la zone à nouveau, nos agents se sont dispersés pour assurer un périmètre. Je pensais à un enlèvement, des hostiles avaient peut-être réussi à s’infiltrer et exfiltrer la commandante. Le temps de visionner l’enregistrement du drone de surveillance centré constamment sur la maison et de confirmer avec les groupes « force de frappe » qui eux aussi surveillaient l’objectif en permanence, nous sommes tous arrivés à la même conclusion : personne n’est sorti de la maison, du moins par l’extérieur. Ensuite avec cinq membres de l’équipe à qui j’avais demandé de rester près de moi, nous sommes retournés dans la maison à la recherche d’un passage souterrain ou d’une cave. J’ai pris la responsabilité de ne pas nous équiper des tenues de protections pour ne pas perdre de temps.
Toujours suivant les techniques d’interrogatoires standards, il fut coupé dans son discours par une question.
— Y avait-il un danger avéré nécessitant ses combinaisons ?
— Nos instruments et les analyses réalisées n’ont rien révélé. Cependant un halo lumineux inexpliqué s’échappait de l’objet par intermittence et un agent a été pris d’étourdissement pendant une surveillance longue de la cible. La commandante prudente nous a demandé de porter nos protections.
— Vous avez donc désobéi.
— La commandante étant absente, j’étais le plus gradé, j’avais donc toute autorité pour donner de nouveaux ordres. Et dans ce cas l’urgence le justifiait ! Nous avons refouillé toute la maison sans trouver le moindre passage.
— Nous avons noté d’après votre rapport et vos précédentes déclarations que la porte à l’arrière de la maison n’était pas surveillée. De la même façon, un civil est arrivé sur le site malgré votre soi-disant bouclage de la zone.
Le ton et la question étaient plus agressifs cette fois. Ils n’allaient pas oser jouer au bon flic, mauvais flic avec lui ?! Kevin était persuadé qu’aucune faute n’avait été commise, répondit d’un ton assuré.
— La porte arrière donnait sur une zone évacuée, la surveillance aérienne couvrait cet accès en continu et aucun ennemi n’avait été repéré. De plus notre déploiement sur le site a été d’une rapidité exemplaire. Compte tenu de cette situation et avec notre effectif réduit, aucun homme n’a été posté à l’arrière du bâtiment. Concernant le jeune Vincent, il a déclaré être sur place avant nous, ce qui en soi est étonnant, il déclare aussi avoir tenté de « communiquer ». Il est persuadé que l’objet était « alien ». Il aurait été « déplacé » à plusieurs kilomètres dans les champs derrière la ville. Malgré le faible danger que représentait cette zone, les équipes, force de frappe l’ont tout de même repéré avant qu’il n’atteigne la zone d’intervention.
— Pourtant, le coupa Pierre, cette zone semblait plus fréquentée que vous ne le dites. Ce Vincent vous a dit avoir rencontré une femme en voiture !
— Effectivement, comme je vous l’ai déjà mentionné, nous avons retrouvé une voiture stationnée à quelques kilomètres au beau milieu d’un chemin de campagne. Lorsque l’hélicoptère d’évacuation est arrivé, je n’avais pas encore eu de retour des agents envoyés pour vérifier l’identité de cette personne.
— Reparlez-nous de l’apparition miraculeuse, reprit le mauvais flic.
— Nous étions trois à revenir dans la maison, toujours à la recherche de la commandante, quand la mère et son fils sont simplement sorti, en déclarant venir du canapé… Je sais de quoi cela a l’air…
— Et de quoi cela a l’air d’après vous ?
— À de la science-fiction ! Vous vous dites que d’une façon ou d’une autre nous avons été sous influence et que la mère et son fils étaient là tout ce temps. Mais nous avons tout enregistré, la fouille de la maison à notre arrivée, les halos lumineux. Et même si pendant leur réapparition les civils étaient hors champ, toutes les issues étaient surveillées ! et l’extérieur aussi était filmé. Regarder les vidéos, cela nous fera gagner du temps à tous !
— Nous le ferons, en attendant, Poursuivez !
— Je les ai fait prendre en charge par notre médecin, ils étaient tous les deux légèrement désorientés et se sont laissé faire facilement. Nous les avons éloignées de la maison. Il n’a rien détecté d’anormal. J’ai ensuite pu les interroger rapidement sur ce qu’il s’était passé. Le fils pense qu’il s’est endormi et qu’il a rêvé qu’il était à l’école. La femme quant à elle cherchait quelqu’un autour d’elle. Elle nous a dit avoir passé du temps à répondre à des questions avec un policier pour tester une machine, c’est un peu flou. Elle n’a pas été capable de nous le décrire à part qu’il était « mignon ». Par contre elle a affirmé être allée au poste de police, ce qui n’est pas cohérent. Il s’est ensuite passé vingt minutes durant lesquelles nous avons poursuivi les recherches de la commandante. J’ai personnellement contacté les personnes sur les barrages filtrants, ils n’ont rien vu et personne n’est entré ou sorti du périmètre.
Pierre le coupa à nouveau.
— Excepté Vincent et la femme mystérieuse.
— Je vous parle des barrages filtrants assurés par la gendarmerie locale. Le dénommé Vincent était déjà dans le périmètre et la femme, si sa présence est avérée serait arrivé par des chemins de campagne. De toutes les manières aucune entrée ni aucune sortie de la maison n’a été permise sous notre surveillance.
— J’ai appelé aussi le capitaine Gabriel Girard pour l’informer de la situation, lui et son équipe étaient encore à deux heures de route avec leur véhicule pour extraire et transporter la cible. J’étais en train d’expliquer aux civils, Isabelle, son fils Léo, le spécialiste en météorite Julien Bonnet et le jeune Vincent que nous allions les emmener par hélicoptère que j’avais déjà appeler, quand j’ai entendu des cris.
J’ai couru en direction de la maison, un agent était en train d’aider à relever la commandante. Il était en surveillance à cinq mètres du sas, devant la maison quand il a vu la commandante tomber. Quand je suis arrivé pour l’aider, la commandante saignait du nez et avait la joue écorchée. Elle était très raide, elle essayait de courir, mais manquait de coordination. Elle a aussi crié quelque chose, mais c’était incompréhensible. Et j’ai croisé son regard.
Je connais ma commandante depuis de nombreuses années et je ne l’avais jamais vu avoir peur, pourtant à ce regard ! j’ai tout de suite compris qu’elle nous prévenait d’un danger. Nous l’avons porté et nous nous sommes éloignés le plus rapidement possible de la maison. J’ai aussi crié à la radio à tous les agents de s’éloigner.
Et il y a eu le bruit, je pense que je m’attendais à une explosion, mais le son était vraiment étrange, une sorte de « Pop », mais très fort.
J’ai ordonné l’évacuation de tout le personnel qui avait été en contact rapproché avec la cible soit huit personnes avec moi plus les civils, la commandante était inconsciente, mais en vie. Au reste de l’équipe, j’ai demandé de continuer la surveillance et de maintenir un périmètre de sécurité à vingt mètres de la maison en attendant l’équipe Beta.
— Et d’après vous c’était quoi ce « POP » géant ?
— J’ai pensé que l’objet avait explosé ou c’était cassé. Mais je ne suis pas retourné vérifier. De l’extérieur, la maison semblait intacte enfin, comme on l’avait trouvé en arrivant. Les vitres des maisons alentour ont été cassées par l’onde de choc.
— Ensuite vous êtes retourné sur la base de Lyon
— C’est exact. L’hélicoptère avait déjà été appelé, il est arrivé très vite et a pu atterrir devant l’église.
— Et que s’est-il passé pendant le trajet ?
— Nous avons dû menotter Mr Bonnet qui était très agité. Le médecin s’occupait de la commandante.
— Elle était sur un matelas c’est bien ça ?
— Non, sur un brancard d’urgence, il y a bien un petit matelas dessus, mais très fin.
Jaques, en faisant mine de regarder son calepin dans lequel il prenait régulièrement des notes reprit :
— Tout à l’heure vous nous avez parlé d’un matelas au sol !
— Non, vous faites erreur, c’était bien un brancard d’urgence.
— Peut-être… et qu’avez-vous fait d’autre ?
— J’ai informé le capitaine Gabriel Girard des dernières informations et j’ai fait préparer l’avion stationné à Lyon pour notre rapatriement sur la base.
— Et dans l’avion pendant le retour de quoi avez-vous parlé ?
— J’ai reçu un appel du capitaine Girard qui m’a informé qu’il était arrivé sur site et que la maison était vide. Je lui ai dit de récupérer tout notre matériel et tous nos enregistrements, et qu’il était en charge de la situation.
— Qu’a-t-il décidé ?
— Je ne sais pas, je n’ai pas eu de nouvelle de lui depuis. Ensuite dans l’avion je vous ai rédigé et envoyé mon rapport préliminaire.
— Le reste de l’équipe a-t-elle lu ce rapport ?
— Non, c’est contraire au protocole !
— Les avez-vous débriefés ?
— Non
— Comment les passagers de l’avion se sont-ils comportés durant le trajet ?
— Le médecin est resté au chevet de la commandante tout le long, il était très inquiet de sa fréquence cardiaque qui était très basse malgré ses injections, je l’ai autorisé à utiliser la radio pour préparer sa prise en charge à notre arrivée. J’ai écouté la communication, il n’a rien révélé de sensible. Les civils se sont endormis, quelques agents aussi.
— Quels étaient les sujets de discussion ?
— Je vous invite à venir faire un prochain exercice de déploiement avec nous pour vous en rendre compte. Ce n’est pas un avion de tourisme, l’intérieur est très bruyant et il faut se crier à l’oreille pour s’entendre ou utiliser la radio des casques. Et a part pour mon compte rendu au capitaine Girard et pour permettre à notre médecin de prévenir le service de santé, la radio n’a pas été utilisée, pas même sur le circuit interne de l’avion, comme vous pourrez le confirmer avec les informations de la boîte noire.
Les chargés de l’interrogatoire se regardèrent brièvement et se levèrent.
— Nous allons faire une pause, nous vous ferons amener un repas.
— Pouvez-vous essayer d’avoir des nouvelles de la commandante ? demanda Kevin
— Nous allons nous renseigner.
— Je sais que vous le dire ne changera rien, mais je vous jure que je ne vous ai dit que la vérité. Et si vous pouviez aussi baisser un peu la température…
Sans rien ajouter, les deux hommes sortirent.
Dans la pièce, Kevin Mercier ferma les yeux en essayant de comprendre comment la situation avait pu évoluer de la sorte.
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