Chapitre 16 Deuxième partie

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Convocation

Une voiture noire se gare devant un petit pavillon. La ville n’a pas d’importance, juste un pavillon parmi d’autres, dans un petit lotissement. Un homme en costume sombre descend du véhicule. Sa posture laisse penser à un officier. Il s’avance devant la maison et sonne. Après quelques instants et une nouvelle tentative infructueuse, il tente de faire le tour de la demeure.

À l’arrière, une femme est affairée dans un petit jardin.

— Commandante Dubois ? dit l’homme.

Relevant la tête, la femme le regarde. Elle est grande, a une allure sportive et les cheveux courts. Elle a quelques gouttes de sueur sur le front et les tempes.

— Commandante à la retraite ! finit-elle par répondre.

— Bonjour, reprend l’homme, j’ai pour ordre de vous remettre cette lettre.

S’essuyant grossièrement les mains, Élise fait quelques pas dans sa direction et récupère le pli.

— Bonne journée ! fait l’homme avant de se retirer.

Cela faisait huit mois depuis son « accident ». Les deux premiers jours avaient été surréalistes, ensuite les premières semaines avaient juste été perturbantes, puis les effets s’étaient dissipés. Elle avait ensuite été entendue pour la remise de son rapport concernant le bilan d’activités de son unité spéciale. Bien que positif, celui-ci ne justifiait pas suffisamment les dépenses. Elle avait été félicitée, son équipe aussi. Durant deux mois supplémentaires, elle s’était appliquée à planifier et superviser la fermeture de ses installations. Ses différents agents et proches collaborateurs avaient été redéployés, et elle avait tout fait pour leur trouver des postes en parfaite adéquation avec leurs talents et leurs aspirations. Puis, ce fut le matériel ; mise au rebut, réaffectation des ressources… C’est cette phase déprimante qui l’avait conduite à prendre sa retraite. Elle en avait l’âge, et en tant que militaire, on avait cette chance d’être retraité « jeune ». Sa pension n’était pas énorme, elle envisageait de se trouver un emploi dans le civil pour compléter ses revenus, mais elle n’était pas pressée.

Une fois rentrée chez elle, elle se servit un verre de thé glacé. Il faisait déjà chaud en cette fin avril ! Puis elle s’installa à son bureau. Elle savait déjà qu’il y avait un aspect confidentiel, peut-être une demande de complément sur ses précédentes missions, cela pouvait aussi concerner ses anciens collègues. C’était potentiellement important. L’armée ne faisait pas livrer les messages par coursier sans raison. Mais par principe, elle était retraitée après tout, elle avait pris le temps de s’installer confortablement pour en prendre connaissance.

C’était une convocation à Paris, ministère des armées associé à une réintégration en service actif pour une seule mission.

— Intéressant, se dit-elle.

Entretien avec le Général

Cinq jours plus tard, elle se présentait avec sa convocation. Après les vérifications d’usage, elle se fit conduire directement dans un des bureaux des généraux.

En face d’elle, derrière un lourd bureau de bois, un homme aux épaules aussi carrées que sa mâchoire lui demanda de s’asseoir. Quatre étoiles sur ses épaules, un grand chef donc. Des cheveux blancs assez rares et une tête plutôt sympathique.

— Bonjour, commandant Dubois.

— Commandante à la retraite, mon Général.

— Vous avez de la chance, je suis moi-même à quelques mois de la retraite, je pense à écrire mes mémoires, vous n’avez jamais songé à raconter vos exploits dans un livre ?

— Oh ! ça me tente bien, mais ce qui me gêne c’est d’avoir à éliminer tous ceux qui l’auront lu.

Un silence. Élise avait tenté de détendre l’atmosphère et son statut de retraité lui permettait quelques libertés.

— Je plaisante mon général. La plupart de mes missions étaient classifiées, reprit Élise.

— Oui, bien sûr. Bon, je serais direct. Nous avons une situation ou votre expertise est requise. Pour cette mission, nous vous proposons de vous réintégrer temporairement en service actif comme vous avez pu le lire dans le courrier. En plus du service rendu pour votre pays, nous vous octroierons une prime exceptionnelle…

Élise savait qu’il n’était pas dans les habitudes des services de l’état de distribuer des primes sans raison. Cela sentait la mission potentiellement dangereuse, très sensible, voire secrète.

— De quoi s’agit-il ?

— Commençons par la paperasse.

Il lui tendit deux feuilles qu’elle connaissait bien, le genre de document à signer avant d’entendre des secrets d’État. Accord de non-divulgation à la sauce militaire, comprendre : en insistant lourdement sur les sanctions possibles. Après les avoir remplis, elle le lui rendit sans un mot.

Le général y apposa sa signature et les glissa sur une pile d’autres documents sur un côté du bureau.

— Attaquons directement. Nous avons détecté depuis quelques semaines un ou plusieurs… objets, une sorte de pavé, mesurant une trentaine de mètres de long. Il y a une dizaine de jours, il a été aperçu dans une forêt du Yémen, trois jours plus tard un objet identique a pu être observé dans le bush australien, et le lendemain une équipe de chercheurs en mission aux îles Kerguelen ont déclaré avoir observé le même genre de… chose, posée en bas d’une falaise, en partie immergée. Nous n’avons pas pu confirmer qu’il s’agissait effectivement du même objet, pas plus que nous n’avons pu valider plusieurs observations simultanément. L’objet disparaît mystérieusement en quelques heures ou jours.

Élise écoutait attentivement, mais ne voyait pas où la discussion menait.

— Nous pensons que ces apparitions sont liées à votre dernière mission. Que votre contact « inter-dimensionnel » est revenu nous faire signe !

— Il avait effectivement parlé de venir sauver la terre ou au moins nous aider. Mais comment peut-on être sûr que c’est cela ?

— J’y viens, la semaine dernière dans un régiment près de Lyon, un message a été diffusé sur les radios, pendant deux minutes, en se répétant en continu sur tous les canaux. Une sorte de piratage très élaboré. La source n’a pas pu être identifiée ni localisée. Ce message disait précisément, recherchant un postit dans un de ses tiroirs il lut :

— « Commandante Élise Dubois 3.583151 - 52. 898351 2804 12 »

— Moi ?

— Il semblerait ! Votre rapport mentionne que vous aviez émis le souhait de poursuivre votre conversation avec cette entité.

— Oui, avant de connaître les effets secondaires, je souhaitais obtenir beaucoup plus d’informations. Et avez-vous déchiffré la suite ?

— Il semblerait que notre « amis » ait fait des progrès avec nos technologies, ce sont des coordonnées GPS, une date et une heure. Nous n’avons pas la certitude que nos récentes observations et ce message sont liés, mais le timing est suffisamment troublant ; personnellement, je parierais que vous trouverez un pavé aux coordonnées indiquées.

— Et où est-ce ?

— Si vous acceptez votre réintégration temporaire, vous avez une mission en Guyane française dans quatre jours ! Et dans un peu plus d’une heure, nous avons une réunion avec l’ambassadrice américaine. Sans trop en révéler, elle a affirmé détenir des informations concernant notre contact extraterrestre, elle est en possession de détails troublants. En étant clairs, nous pensons à une fuite d’information, probablement d’un ancien membre de votre équipe. Si vous acceptez votre réintégration, je vous demanderai de vous joindre à nous pour en apprendre davantage.

— J’accepte mon général. La réintégration temporaire et la tentative pour recontacter l’entité

— Parfait, je n’en attendais pas moins de vous.

— Je suis néanmoins, disons perplexe, concernant une soi-disant fuite d’information.

— Nous y verrons plus clair rapidement.

Le général invita la commandante à patienter au mess des officiers. La « cantine » militaire comportait un bar et des petits salons très agréables. En dégustant son café, Élise se projetait déjà dans la suite de la mission. Les sujets à aborder, les informations les plus utiles à recueillir. Elle avait cependant une crainte et non des moindres. Elle avait repoussé avec succès la tentative de l’entité de s’infiltrer directement dans ses pensées. La discussion avait pu avoir lieu, mais les séquelles qu’elle avait subies ensuite l’avaient terrifiée. Elle avait vécu dans un monde accéléré, tous les sons étaient suraigus, les gens se déplaçaient à une vitesse folle. Elle avait compris, plus tard, que devant son cœur semblant battre au ralenti, elle avait reçu des doses massives de stimulants qui auraient pu être mortelles. Sans parler de son extrême fatigue qui l’obligeait à dormir tous les quarts d’heure ! Elle faisait encore parfois des cauchemars où son état n’avait pas évolué. Et elle dormait nettement plus qu’avant, elle ne savait pas si c’était lié à son passage d’actif à retraiter ou une séquelle persistante. Elle était suivie par un professionnel habitué au traumatisme des militaires, mais elle ne pouvait pas lui confier les secrets de cette mission, ce qui, au final, ne l’aidait pas beaucoup.

Est-ce que cette fois, elle accepterait la connexion directe à son cerveau ? Elle vivrait cela comme un viol. Que pouvait faire l’entité dans ses souvenirs ? Y verrait-elle tout son vécu, ses missions les plus sales, les assassinats, la douleur, la guerre ? Pourrait-elle la « reprogrammer », la changer ? Les civils n’avaient pas gardé beaucoup de souvenirs de leurs interactions, mais elle, pour de nombreuses raisons, dont celles liées à la sûreté, avait le devoir de se souvenir !

Les ricains

Elle en était à ses réflexions quand une jolie jeune femme en uniforme vint la chercher pour la guider vers une petite salle de réunion. Devant cet archétype de la jolie assistante qu’elle avait combattue quasiment toute sa vie, prouvant qu’une femme pouvait faire une carrière militaire honorable, elle faisait habituellement des réflexions et tentait de donner plus d’ambition au représentant de son genre. Mais sur le trajet de quelques minutes, son esprit fut trop occupé par l’accusation concernant la fuite d’information. Elle connaissait toute son équipe personnellement, enfin son ex-équipe, et elle n’imaginait personne capable de trahir son pays.

Elle arriva la première. Une porte, une fenêtre, une table ovale entourée de huit chaises. Par réflexes, elle s’assit de manière à avoir la fenêtre et la porte en face d’elle.

Quelques instants plus tard, le général et une femme entrèrent et prirent place.

Le général la présenta sommairement

— La commandante Dubois, elle est autorisée à entendre tout ce que vous avez à dire.

Un bonjour sans accent et un serrage de main spontané. Cette Américaine connaissait très bien la France.

— Vous êtes venue seule ? demanda innocemment Élise ?

— Oui effectivement, ce que j’ai à vous dire est connu par peu de personnes et aucune de l’ambassade.

Le général souriait intérieurement, les états de services d’Élise lui avaient appris qu’elle savait comment obtenir des informations subtilement, et sa question « innocente » n’avait été posée que pour avoir cette information, cela avait même peut-être même été instinctif. Mais il ne se faisait pas d’illusion, cette Américaine était rompue à ce genre de jeu et elle ne dévoilerait rien d’important sans autorisation et contrepartie.

Une fois tous installé et la porte fermée, le général débuta la partie.

— Madame, nous sommes militaires et nous avons l’habitude d’aller à l’essentiel. Si vous pouvez oublier le protocole diplomatique habituel et en faire de même, nous apprécierions.

Élise appréciait l’idée, mais ne l’aurait pas formulé de cette façon. Cela ressemblait trop à une demande de faveur et cela les mettait déjà en position de faiblesse. Mais peut-être était-ce voulu.

— Très bien

La diplomate ouvrit sa pochette et en sortit plusieurs carrés blancs. Elle abattit sa première carte au sens propre comme au figuré.

La photo posée sur la table représentait le salon avec le rocher couvert de cristaux. Élise laissa le général mener la discussion.

— Qu’avons-nous là ? dit-il en installant des lunettes sur son nez.

Il inspecta le cliché pendant quelques secondes puis le tendit à sa voisine. Élise qui avait aussitôt reconnu le cliché n’en avait rien laissé paraître. Elle l’inspecta comme si elle découvrait la scène. Plus précisément, elle cherchait à déceler des indices qui permettraient de déterminer l’instant précis où le cliché avait été pris. Le sable à peine visible au sol et les cristaux déjà révélés ; donc plutôt la fin de mission. Mais rien de plus. Enchaînant l’Américaine posant tour à tour deux autres clichés du même objet sous plusieurs angles.

Élise n’avait pas pu ramener d’images de l’objet, tous les appareils électroniques ayant été détruits ou leurs mémoires effacées. Ses images manquaient donc cruellement à son rapport, et ce qu’elle leur laisserait ? De toute façon, c’était des copies.

Reprenant le cours de ses pensées, elle analysa : personne d’autre n’était présent dans la pièce, cela n’avait été le cas que pendant quelques instants lors de sa « disparition » et enfin quand ils avaient évacué.

— Un beau cristal que vous nous présentez là, mais où voulez-vous en venir ?

— Ici ! fit-elle en déposant le dernier cliché.

La dernière image montrait la même pièce, mais le rocher était devenu une sphère lumineuse sans contact apparent avec le sol.

Le général regarda la commandante. Dans ce regard elle lut « pourquoi eux ont-ils des images et pas nous ? ». Mais il pouvait tout aussi bien simplement attendre sa réaction. Aucun de ses hommes n’avait parlé de ce moment. Les clichés avaient donc été pris juste après son retour et pendant l’évacuation. Probablement juste avant le « pop »

— J’ai laissé entendre, en vous contactant, que je voulais parler de nos visiteurs. Avant d’aller plus loin, pouvez-vous me confirmer que vous connaissez ce lieu-dit elle en indiquant d’un geste vague les photos sur la table ?

— Oui, répondit sobrement le général.

Il avait vu des clichés de la pièce encore plus détruite et vide et seulement des dessins de la chose disparue.

— Pouvez-vous aussi me confirmer que vous avez détecté un objet aux déplacements, disons pour le moment « étrange » qui se promène depuis un mois un peu partout sur terre ?

Un mois ?! Les moyens de surveillance américains avaient été plus efficaces, le premier signalement datait d’une vingtaine de jours. Élise comprit, elle aussi, que cette information était différente que celle annoncée plus tôt dans le bureau.

— Oui ! dit le général sans montrer aucune surprise.

— Savez-vous de quoi il s’agit ?

— Non ! avoua-t-il sans honte.

— Très bien maintenant que nous sommes sur la même longueur d’onde, j’espère que vos réponses seront un peu plus longues.

À la surprise d’Elise, le général confirma en précisant quelques points. Probablement pour montrer sa bonne volonté.

Assister à ce genre de joute était très intéressant et très différent de ce qu’elle avait pu vivre jusque-là.

— L’objet sur les premiers clichés a « atterri » en France il y a quelques mois, il a ensuite disparu, ne laissant quasiment aucune trace. Le pavé aperçu à différents endroits de la planète nous fait effectivement penser à une même origine sans que nous puissions le confirmer. J’en parlais justement à la commandante peu de temps avant votre arrivée.

— Eh bien voilà ! vous voyez quand vous voulez, dit la diplomate en souriant.

Le général sourit en retour sans relever la pique.

Toujours focalisée sur la sphère lumineuse de la dernière image, la commandante osa ;

— Votre agent s’en est tirée indemne ?

Avec un petit sourire en coin, la femme lui répondit.

— Oui, juste un petit traumatisme auditif passager, comme vous pouvez vous en douter !

Parfait, se dit Elise, elle a confirmé devant le général qu’il n’y avait pas eu de fuite de mon équipe et que la prise de vue avait bien été faite juste avant l’explosion.

La femme reprit.

— Nos militaires n’aiment pas plus que vous, j’imagine, que cette chose se promène chez nous, ils ont décidé de l’attaquer dès que ce sera possible sans provoquer d’incident diplomatique. Si l’objet est détruit sur le sol américain, nous vous proposons de vous fournir du matériel récupéré et un partage des technologies trouvées. Nous vous proposons, dans ce but, de créer une unité de recherche américano-française. Dans le cas où l’objet serait détruit sur le sol français, nous vous proposons notre aide militaire pour le détruire et attendons le même partage de technologie avec le même genre d’unité de recherche, mais avec une direction française évidemment. Si l’objet était récupéré ailleurs, en mer ou dans un lieu discret, nous resterions sur le même genre d’accord. Nous pouvons décider et mettre par écrit tout ceci, j’ai ici une première version. Fit-elle et récupérant un dossier d’une vingtaine de pages dans sa pochette. Le principe étant que cette opération soit la plus secrète possible et reste entre « amis » ajouta-t-elle.

Le général prit le document et le feuilleta sans conviction puis le reposa sur la table. Il prit une grande inspiration, se leva et fit quelques pas pour se placer devant la fenêtre.

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