Chapitre 17
Révélation
Sans regarder son invité, il commença.
— En réalité, nous avons rassemblé bien plus de renseignements que vous ne l’imaginez. Étant militaire, je saisis les motivations de vos forces armées : avec notre nature humaine, nous avons tendance à anéantir toute menace présumée avant d’en étudier la nature. Dans notre cas, cependant, l’étude est déjà en cours et a permis de limiter considérablement le danger. Bien sûr, l’idée d’une attaque « défensive » s’est posée, mais elle a finalement été écartée. Nous vous encourageons vivement à faire en sorte que vos militaires suivent la même voie.
Cette dernière phrase avait été prononcée alors qu’il se tournait vers son interlocutrice. Il fit une pause, lui laissant le temps d’assimiler ces nouvelles informations.
— Vous imaginez bien que j’ai besoin de plus d’information pour intervenir sur la chaîne de commandement ! dit-elle après de longues secondes.
Tout en restant le dos à la fenêtre, le général continua.
— Nous avons eu un contact et nous avons un… il eut une hésitation, un rendez-vous, sur le sol français.
Lors de son briefing avec les militaires de son pays, l’idée d’un premier contact avait été évoquée, le rapport parlait d’un civil qui avait entendu une voix et avait mentionné des aliens. L’histoire de ce rendez-vous avait ébranlé son masque impassible, dévoilant un instant de surprise, cela devenait très concret. Elle se ressaisit aussitôt, masquant à nouveau ses émotions. Et après un bref instant, elle annonça :
— Nous souhaitons vous accompagner !
— Dans une opération française sur le sol français ?
Le général avait un petit sourire narquois, calculé pour calmer les ardeurs de cette personne.
— Et pour quelle raison ferions-nous cela ?
— Eh bien, déjà comme nous venons de le dire, pour convaincre nos militaires de ne pas abattre cet objet !
— Maintenant que vous avez la confirmation de qui est derrière cela, maintenant que vous savez que ce n’est ni Chinois ni Russe, que vous savez que c’est une technologie qui nous dépasse totalement, pouvez-vous vérifier si vos militaires sont toujours prêts à déclarer la guerre à une race extraterrestre pacifique capable de voyager entre les étoiles ? Où encore, s’ils imaginent que nos armes terrestres seront efficaces sur un objet dont nous ignorons tout ?
Le ton avait changé, le général avait retiré le sourire de son visage.
— Disons alors, au nom de l’amitié franco-américaine, nous sommes alliés après tout. Tenta la diplomate.
— Amitié ?! Vous connaissez probablement le dicton : « les Américains n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts » et vous nous l’avez prouvé tout au long de l’histoire !
Le général avait parlé un peu plus vite, signe d’un énervement manifeste concernant le mot « amitié ».
— Un seul agent ! parfaitement bilingue et entièrement à vos ordres. Celui même qui a pris ces clichés ! essaya-t-elle en dernier recours.
Il l’observa longuement, évaluant minutieusement les implications de la situation. La présence d’un seul agent représentait une configuration « gérable ». Une telle disposition semblait alléger, ne serait-ce qu’un peu, le fardeau de devoir contrer une éventuelle intervention américaine lors du « rendez-vous », tout en réduisant le risque d’une tentative de destruction. C’était exactement ce qu’il avait espéré : un gain stratégique substantiel pour un risque minimal.
Cependant, cette victoire apparente ne lui apportait pas une satisfaction totale. Il n’avait aucune envie d’humilier son adversaire. La diplomate, malgré ses compétences, avait commis une erreur en pliant trop rapidement sous la pression. Un manque de fermeté qui ne passerait certainement pas inaperçu auprès de ses supérieurs. Ceux-ci risquaient de lui reprocher l’absence de concessions supplémentaires, une lacune qui pourrait compromettre certains des bénéfices durement acquis jusqu’ici.
Les services américains accepteraient-ils réellement de se contenter d’un seul agent sans aucun renfort à proximité ? Lui, en tant que général, aurait sans hésitation organisé une équipe de soutien secrète, une perspective qu’il souhaitait absolument éviter. L’équipe qu’il s’apprêtait à déployer serait réduite, disposant de ressources limitées, et incapable de résister à une éventuelle intervention « amie ». Rien que gérer l’objet et les imprévus extérieurs se relèverait déjà d’un défi colossal.
Devait-il vraiment s’en tenir là ? Elle aurait dû négocier davantage, mais dans les circonstances actuelles, sa position de faiblesse était évidente. Le lieu du « rendez-vous » resterait confidentiel jusqu’au dernier moment, mais une question cruciale persistait : combien de temps leurs « amis » mettraient-ils pour déployer une équipe sur place ? D’autant plus dans une zone aussi difficile d’accès.
La base américaine la plus proche se trouvait en Colombie, à près de mille cinq cents kilomètres. Si des V-22 Osprey étaient stationnés sur place, ce qui était fort probable, une équipe pourrait atteindre la zone en à peine plus de trois heures. Ces appareils, grâce à leurs rotors basculants, alliaient la vitesse d’un avion à la maniabilité d’un hélicoptère, leur permettant de faire du surplace et de faciliter un parachutage rapide. Les satellites détecteraient sans doute leur déplacement, mais il était impératif de ne pas en arriver à une telle escalade.
— D’accord pour votre agent. En signe de coopération et de transparence, je vous accorde également une liaison directe avec les États-Unis. Si nécessaire, un technicien supplémentaire, non armé, pourra être affecté au camp de base pour gérer cette communication. Toutefois, nous exercerons un contrôle strict sur tout le matériel avant son déploiement.
Légèrement surprise de cet ajout sans contrepartie, elle accepta.
Le général reprit.
— Je dois aussi vous informer que les aliens ne seront pas physiquement présents dans la « boîte ». Cependant, un canal de communication est possible avec eux, et c’est là que réside le problème. Cette communication se fait sans contrôle ni consentement préalable. Ils semblent capables d’accéder à notre conscience, et probablement à nos souvenirs. Nous n’en sommes pas encore certains, mais il est possible qu’ils puissent « altérer » nos esprits. Je vous conseille donc d’informer les deux personnes que vous choisirez pour cette mission et, surtout, d’éviter de leur confier des informations sensibles…
— Oh euh, je vous remercie pour cette information. Je vais faire mon rapport et je vous recontacte.
— Une dernière chose, l’équipe part dans quatre jours, envoyez-nous les identités de vos agents aussi rapidement que possible et qu’ils se présentent devant ce bâtiment à neuf heures le jour du départ.
Petit Debriefing
La diplomate était repartie après avoir repris le protocole d’accord et laissé les images. Elle était rentrée à l’ambassade avec une grande quantité d’informations : l’accord permettant à un agent de les accompagner, une liaison de communication directe avec son pays, et la possibilité d’ajouter un deuxième agent si nécessaire… En réalité, il semblait évident qu’il y aurait deux agents. Le Français avait laissé transparaître une certitude à ce sujet. C’était un bon compromis.
De son côté, le général avait obtenu ce qu’il recherchait : de véritables clichés de l’objet initial, probablement des copies de tirages analogiques, incluant une image inédite des derniers instants de l’objet sous la forme d’une boule lumineuse. L’ambassadrice savait pertinemment qu’il ne pouvait détenir cette image, ce qui en faisait une offrande stratégique pour engager la conversation.
De plus, il avait acquis la certitude qu’aucune fuite ne provenait de ses hommes, ce qui lui épargnait une longue et pénible enquête interne. Enfin, il avait désamorcé le risque d’escalade que l’attaque du pavé aurait inévitablement déclenché. Cette issue marquait une victoire stratégique pour lui. En contrepartie de deux agents qui seraient surveillés de près. Le plus coûteux pour lui, et en plus il l’avait offert ! c’était l’information en lien direct, mais en situation de crise, ses agents pourraient toujours la couper.
Resté seul dans la pièce avec Élise, il lui demanda.
— Alors qu’en avez-vous pensé ?
— Déjà qu’il n’y a pas eu de fuite de mon équipe !
Avec un petit rire, le général acquiesça, en pensant « première chose : défendre ses hommes mêmes si l’équipe n’existait plus »
— Ensuite, vous avez obtenu beaucoup de choses, mais pourquoi lui avoir offert un lien de communication supplémentaire avec un agent ? Elle n’avait plus aucun atout en main !
— Vous vous trompez partiellement. Elle, en effet, n’avait plus aucun levier de négociation, mais les militaires derrière elle auraient été prêts à tout pour obtenir les informations que vous et votre équipe êtes sur le point de récupérer. Je ne voulais pas que vous preniez le risque de vous faire attaquer pendant la rencontre. Avec cet accord, ce risque est désormais minime.
Élise pensa que cette approche illustrait parfaitement la différence entre une commandante et un général. Là où elle aurait peut-être cherché à exploiter chaque faiblesse, le général, lui, anticipait les conséquences à plus grande échelle, trouvant un équilibre entre le compromis et la sécurité.
— Je comprends. Et pour la suite, comment procédons-nous ?
— Installation d’un camp de base à proximité de la cible, mais suffisamment éloigné pour limiter les risques. Vous aurez un technicien en communication, trois militaires lourdement armés et le technicien américain chargé des transmissions. J’ai « omis » de leur mentionner que notre contact intergalactique pourrait générer un champ électromagnétique intense, mais il est probable qu’ils s’en doutent déjà. La transmission en direct devrait suffire à limiter les pertes de données, mais vous disposerez également de matériel analogique pour parer à toute éventualité.
— Des caméscopes avec cassettes ?
— Non, imaginez plutôt du matériel de cinéma ! Il nous faut du film photo, pas de bande magnétique.
— Ensuite, pour approcher de l’engin, je proposerais quatre militaires, l’agent des Américains… et vous. J’hésite encore concernant l’armement. Je ne voudrais pas que l’entité se sente menacée, même si, de toute façon, elle ne sera pas physiquement présente.
— Lors de la première opération, nous étions armés. J’ai même dégainé mon pistolet devant la météorite. Cela n’a eu aucun impact sur le contact.
Puis, changeant légèrement de sujet, elle ajouta :
— L’entité m’avait suggéré que, pour notre prochaine rencontre, je vienne avec Vincent, le jeune homme intercepté pendant la mission. Pensez-vous que cela soit pertinent dans le cadre d’une mission militaire ?
Le général réfléchit un instant avant de répondre :
— Si cela peut améliorer nos relations avec elle, il serait regrettable de s’en priver. Je vais le faire rechercher et lui proposer de nous accompagner. Et vous, pendant ces deux jours, qu’avez-vous prévu ? Si cela vous convient, je peux vous proposer une chambre ici.
– Ce serait parfait. Je pensais également que des scientifiques pourraient se joindre à nous.
— Ah, je vous reconnais bien là. Votre équipe vous manque ?
— Oui, mais je pensais à des spécialistes encore plus pointus : un astrophysicien, un exobiologiste, un expert en véhicules spatiaux… mais pas le spécialiste de la dernière fois ! dit-elle en riant.
— Bonne idée. Vous avez des noms en tête ?
— Non, pas spécialement.
— Très bien, mais avec le délai dont nous disposons, je ne vous promets rien.
— Les sujets de conversation étant épuisés, les deux militaires se séparèrent, chacun absorbé par les préparatifs à venir.
— Pendant les jours suivants, la commandante Élise Dubois utilisa les installations sportives, plus pour se rendre compte de ce dont elle était capable que pour récupérer sa forme physique d’avant. Dingue ce que l’on perdait vite ! mais ce n’était pas catastrophique. Elle eut aussi un rendez-vous avec le jeune Vincent. Le général, lui, fit planifier le voyage en prenant de nombreuses précautions pour que le lieu reste le plus secret possible.
Vincent Pesquet
Vincent avait vécu une aventure incroyable l’été précédent. Bien qu’il ait signé les accords de confidentialité imposés par les militaires, il s’était tout de même permis de créer, sur un disque USB externe, un fichier crypté où il avait minutieusement consigné chaque détail de cette soirée extraordinaire. L’OVNI qui avait ralenti à son approche de la Terre, l’étrange silhouette de l’engin, le « NON » retentissant qui l’avait projeté dans les champs… et sa rencontre avec la magnifique Cassandre. Une histoire à la fois fascinante et frustrante. Malgré ses attentes, il n’avait pas eu droit au fameux contact du troisième type, et Cassandre, de son côté, n’avait jamais donné suite. Il ne lui restait plus que ses souvenirs.
Cette année, il s’apprêtait à boucler sa licence, mais son avenir restait flou. Ce qu’il désirait plus que tout, c’était être au plus près des aliens. Maintenant qu’ils avaient pris contact, il était convaincu qu’ils reviendraient. Peut-être même que les militaires n’avaient jamais coupé la communication avec eux. Mais alors, que faire ? Devenir militaire ? Ces derniers semblaient disposer de scientifiques parmi leurs rangs. Devait-il poursuivre avec un master, ou tenter une école d’officier ? Le bon cursus n’était pas évident à trouver. Après tout, il n’existait aucun guide d’orientation pour « aller taper la causette avec les aliens ». Dommage, pensa-t-il en souriant intérieurement.
— Il était en plein TP lorsque son téléphone vibra. D’un rapide coup d’œil, il remarqua que le numéro ne faisait pas partie de ses contacts. Il l’ignora.
Quelques heures plus tard, à seize heures, il était installé dans sa petite chambre étudiante. Assis à son bureau, il s’attaquait à quelques exercices de maths. Son téléphone sonna à nouveau. Le même numéro. Après un instant d’hésitation, il décrocha.
— Oui ?
— Bonjour, je cherche à joindre Monsieur Vincent Pesquet.
— Oui, c’est moi.
Vincent fronça légèrement les sourcils. Hum, peu probable que ce soit du démarchage publicitaire… mais restons prudents, ils sont parfois très rusés.
— Je voudrais vous parler d’une nuit à Sainte-Marie.
— Un test des militaires ? pensa-t-il avant de répondre prudemment :
— Je pense que vous faites erreur, je ne vois pas de quoi vous parlez.
Un bref silence s’installa, assez pour qu’il commence à douter.
— C’est une bonne réponse, Vincent, mais le sujet est tout autre. Je travaille pour la direction des armées et je vous propose de venir rapidement nous rencontrer. Je précise que cela pourrait grandement vous intéresser.
Cette fois, ce fut Vincent qui marqua une pause. Il se retint de laisser échapper un Ils sont revenus et veulent me parler ? Après tout, il ignorait le niveau d’information dont disposait son interlocuteur.
— D’accord, je suis disponible maintenant si cela convient, et je suis en région parisienne, ajouta-t-il, gardant une voix aussi calme que possible.
— Parfait, si vous pouvez venir à Paris, je vais vous transmettre une adresse. Vous pourrez la vérifier par vous-même.
L’adresse indiquait le ministère des Armées. Rien de sensible n’avait été mentionné au téléphone, mais tout cela semblait sérieux. Ça sent bon ! pensa Vincent, tandis qu’une excitation grandissante lui nouait l’estomac.
Il attrapa rapidement ses papiers, enfila un blouson et ses chaussures, puis se précipita vers la station de RER la plus proche, le cœur battant.
Le trajet fut d’une lenteur terrible. Il arriva enfin et après les vérifications de sécurité, fouille, contrôle d’identité, il fut conduit dans une petite salle de réunion. Quelques secondes plus tard, une femme entra.
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