4. Sacha
Qu’est-ce qu’il me veut encore, Beaux bras ? Il croit que je n’ai que ça à faire, moi, de discuter chiffon avec un journaleux ? Qu’est-ce qui m’a pris d’envoyer ces documents de ma propre adresse électronique ? J’aurais dû confier ça à Pelletier, ça l’aurait occupé, tiens, lui qui passe le plus clair de son temps à en perdre. Maintenant c’est trop tard, il va falloir que je lui réponde moi-même, au gauchiste.
Lisons en diagonale… Je vous remercie… J’ai parcouru les documents que vous m’avez fait parvenir… pas d’indices de discrimination… Encore heureux qu’il s’en rende compte, pour qui me prend-il ? Cependant… Évidemment, il y a un toujours un cependant avec eux. Plan social… Davantage d’informations… Davantage d’informations sur quoi ? Il ne sait pas ce que ça veut dire, un plan social ? Compte tenu de la bonne santé de l’entreprise, on pourrait se demander s’il ne s’agit pas de licenciement économique abusif… Pardon ? Licenciement économique abusif ? Mais tu ne connais pas la loi, ou quoi, mon bonhomme ? On peut effectuer des licenciements économiques pour toute situation liée à une société en difficulté, et la restructuration d’une entreprise entre bien dans ce cadre. Je souhaiterais vous voir à nouveau pour en parler… N’allons pas nous le mettre à dos, il ne faudrait pas que son article soit trop incisif, ce n’est jamais bon pour les affaires. Proposons-lui de nous retrouver demain en fin d’après-midi, je crois que je n’ai rien de prévu à ce moment-là. Vérifions quand même auprès d’Émilie.
C’est bien ce que je pensais, aucun rendez-vous après seize heures. Je ne sais pas comment elle fait pour s’y retrouver, dans son agenda, Émilie. Il y a plus de ratures que sur une toile de Jackson Pollock. Ça ne me regarde pas, après tout, du moment qu’elle m’informe correctement de mon planning. De mémoire, je crois qu’elle ne s’est jamais trompée dans quoi que ce soit. Il faut que je la garde, c’est une perle. Si elle savait à quel point elle m’est précieuse, elle me demanderait une augmentation, et elle l’aurait sur-le-champ. Mais en plus de tout, elle se contente de peu.
Revenons-en à Beaux bras. Comment il s’appelle, déjà ? Ah oui, Samir Adouiri. Et si je lui donnais rendez-vous dans un café, plutôt qu’ici ? À moins qu’il en déduise que je le drague ? Les hommes se font si vite des idées, parfois. À croire qu’ils considèrent que la réalité doit forcément coïncider avec leurs désirs. Mais il n’a pas l’air d’être comme ça, ce petit Samir. Un café, ce sera très bien, moins formel, ça l’adoucira, il en deviendra peut-être moins acerbe. Au Florentin, tiens, ce n’est pas loin de chez moi, comme ça je rentrerai à pied juste après, j’en profiterai pour passer prendre un gratin chez l’épicier d’à côté, Bérénice et Camille adorent celui qu’il fait, et c’est vrai qu’il est bon, sans doute bourré de crème, mais ce n’est pas grave, peut-être qu’elles feront moins la tête que d’habitude. Je ne sais pas ce qu’elles ont, toutes les deux, en ce moment. Ça leur passera, c’est l’adolescence, à ce qu’on dit. Dix-huit heures au Florentin demain, donc. Allez, on clique sur envoyer. Une bonne chose de faite. Où est-ce que j’en étais, moi ? Il m’a fait perdre le fil.
Remets-toi au boulot, ma grande, et ôte-toi donc l’image de sa jolie gueule et de ses bras musclés, à ce Samir. Je sais très bien à quoi tu penses, mais tout ça n’est plus de ton âge, ne va pas te compliquer la vie.
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