8.2 : Lestaque
Dans le train de retour, le commissaire ne parvenait pas à détacher ses pensées du couple mère-fils. Moret avait probablement eu raison depuis le début en accusant l’ex, même si ça le hérissait d’en convenir.
Lorsqu’il se jeta finalement sur le sandwich de son déjeuner, Audrey, qui lui jetait des regards irrités depuis quelques minutes, s’empara de l’occasion pour l’informer des avancées de l’enquête, à Paris :
— Sam est en train d’interroger les commerçants, les SDF et les paumés, autour du « Paradis » et à Tremblay, avec toutes les photos des suspects. Clara dit qu’il en a pour la journée et qu’il te maudit. Du coup, elle se tape le document à remplir pour la DDASS et elle râle contre l’administration. Tout compte fait, je n’aurais pas été mieux lotie avec eux…
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je veux dire que tu es pénible quand tu as ta tête des mauvais jours.
— Peut-être parce que c’est un mauvais jour ? Peut-être que je l’ai amère d’avoir un coupable qui me balade ?
— D’accord, laisse tomber. Qu’est-ce que tu en déduis de cette cigarette ?
— Quelle cigarette ?
— Fais un effort s’il te plaît. Celle que Sylvie Moret a fumée avec Marie-Odile Demécourt, et qu’on a prélevée à côté du corps.
— J’en redis qu’elles avaient l’habitude de fumer ensemble.
— Oui, mais pas ce soir-là. Moret a bien précisé qu’elle était restée à l’intérieur. Attends, je te ressors son PV, voilà :… nanana… « D’habitude, on décompressait toutes les deux après le show, mais ce soir nous nous étions fâchées »… nanana… « pas revue »… « ne me le pardonnerait jamais… ».
— Et alors, c’était un mégot d’un autre jour ?
— Non, Pierre. Les collègues de la scientifique ont bien spécifié qu’il avait plu la nuit d’avant. Ils n’ont ramassé que les mégots secs.
— Elles ont passé un moment dehors avant le spectacle ?
— Pas moyen. Ta Maud était à la bourre. Elle est arrivée juste à temps pour son numéro. Moret était déjà sur scène. Plusieurs autres « artistes » ont d’ailleurs déploré qu’elle prenne des libertés avec les horaires.
— Ce n’est pas « ma Maud ». Dis, tu y tiens vraiment à ton mégot, ou c’est un moyen de me détourner des Goncalves ?
— C’est un peu faible, je te l’accorde, en revanche cela place Moret sur la scène de crime alors qu’elle a bien pris soin de nous affirmer le contraire. Et comme tu nous serines toujours que des détails jaillit parfois la vérité, je te le redemande : comment la salive de Moret s’est-elle retrouvée sur une des dernières clopes que Demécourt a fumées ?
— D’accord, tu as gagné. Je vais lui poser la question. Je passerai chez elle en sortant du train, j’ai deux trois choses à mettre au clair en face à face.
La commandante comprit l’allusion et approuva. Il ajouta :
— Je me souviens de la rue, elle m’a assez gonflé avec les dégâts infligés à son appart. Tu m’envoies juste le numéro de l’immeuble ? Eh, Audrey… merci de me remettre d’équerre.
Il laissa son regard divaguer loin, au-delà des champs enneigés qui se dérobaient à vive allure. La galerie des suspects s’afficha pour la centième fois sous son crâne. Au fur et à mesure que les visages y défilaient, ses sentiments fluctuaient. Les Goncalves, mère et fils, l’effrayaient. Sylvie Moret l’horripilait. Fontagne le dégoûtait. Mouss ne lui inspirait que du mépris. Rugier lui faisait pitié. Quant à Janovic… Quel drôle de bonhomme ! Tiens, s’inquiéta-t-il, pourquoi la figure de Lulu lui apparaissait-elle au milieu des autres ? Peut-être tout simplement parce qu’il décelait chez lui plus de profondeur, plus d’humanité. Dans la liste, il lui en manquait un, qui ne voulait pas revenir. Bétouni ! il l’avait oublié celui-là !
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