Bonheur familial
Ses chers parents étaient libraires. Ils habitaient, tous trois, un superbe village du pays de Caux sur la côte d'Albâtre dont même le nom est romantique... Veules les Roses ! N'est-ce pas le plus charmant de tous les noms de village ? Et que dire des ruelles où les gens de passage se mêlaient aux habitants pour remonter le plus petit fleuve de France ? La Veules...
Fermez les yeux et imaginez une eau claire et pure sur laquelle les feuilles des arbres se reflètent, créant un coin d'ombre se mêlant à la lumière du soleil passant entre le feuillage des boulots. L'eau remontant doucement à travers la terre où la Veules prend sa source. En suivant doucement le cours de l'eau, les cressonnières s'offrent à vous de leur vert luxuriant. Vient alors la pièce maîtresse du village, l'abreuvoir. Une chaumière au colombage si typique des magnifiques maisons normandes, surmontée d'un toit de chaume et mise en valeur par cette jolie étendue d'eau réconfortante et joyeuse agrémentée d'une nature batifolante et de ses trois petits ponts de pierre. La balade continue vers les Champs Elysées ou devrais-je dire les champs d'Elysée car d'après la légende, ce chemin s'appellerait comme ça car il y a bien longtemps, il était bordé de champs dont le propriétaire se prénommait Elysée. Cette ruelle, maintenant bordée par la Veules et les bois, mène tranquillement au bord de mer. Le fleuve y suit son cours, par ici un moulin, par là un pont de pierre ou même une arche de végétation. De très belles propriétés se nichent tout le
long du fleuve apportant ce charme et cette douceur qu'aucun autre village ne peut revendiquer.
A Veules les Roses, tout est romantique. La plage, les falaises, l'estacade, les rues et les commerces. Comment habiter cet endroit et ne pas être nostalgique... Camille ne dérogeait pas à ce sentiment.
Les parents de Camille vivaient de leur passion. Leur but n'était pas de gagner beaucoup d'argent mais de faire aimer les livres à chacune des personnes qui passaient devant leur boutique.
La librairie était une invitation à lire. La vitrine était douce, les couleurs beiges étaient si apaisantes que les passants s'arrêtaient toujours quelques instants pour s'y ressourcer. Quelques livres ouverts et cette phrase inscrite dans la vitrine les invitaient à entrer : "Chaque mot est un plaisir, chaque livre est un désir."
Cette accroche si voluptueuse donnait, selon leurs clients, l'envie d'entrer dans la librairie.
Lorsqu'on y pénétrait, il était très rare d'en sortir avant une bonne heure. Il y avait dans cette boutique comme un sentiment d'ensorcellement. Les étagères étaient disposées de-ci, de-là dans la librairie. Quelques fauteuils et coussins enveloppant étaient parsemés dans des coins calmes et apaisants. Rose et Martin se faisaient discrets, ils n'étaient là que pour conseiller si on les
sollicitait ou pour proposer une boisson à ceux qui s'attardaient dans les livres.
C'était une des rares librairies qui autorisait les gens à se plonger dans les œuvres. Leur commerce fonctionnait bien pourtant, grâce à leur gentillesse et à leur discrétion, la clientèle présentait autant de gens de passage que de gens du village.
Un jour, alors qu’elle feuilletait un livre dans un fauteuil moelleux près d’une étagère remplie d’œuvres classiques, son père Martin s’approcha doucement :
« Ma princesse… Tu as trouvé ton trésor pour cette semaine ? »
Elle leva vers lui ses yeux pétillants :
« Oui, papa ! Je vais lire L’Écume des jours cette fois… Tu crois que je vais aimer ? »
Il sourit tendrement :
« Comment ne pas aimer Boris Vian ? Il a cette poésie absurde qui te fera rêver autant que réfléchir… »
Camille adorait ces moments partagés avec son père ou sa mère Rose, qui lui parlaient des livres comme on parle d’amis précieux.
L'hiver, il lui arrivait de rester dans la boutique après l'école afin de lire avant de rentrer faire ses devoirs. Le plus souvent, ses parents devaient la rappeler à ses obligations.
Lorsque les beaux jours s'installaient, elle changeait souvent de décor préférant, au printemps, la grotte de Victor Hugo ou la terrasse des cabanes de plage et l'été la pelouse des cressonnières ou le jardin de la maison sous les pommiers ou le cerisier.
Durant les vacances et les week-ends, elle ne rentrait que pour dîner ou pour aller chercher Martin afin de profiter de leur bain quotidien.
Pendant ce temps, Rose remontait le cœur joyeux vers leur maison, pensant à ses deux amours profitant de leur baignade quotidienne pour vivre ces moments intenses de complicité. Elle pensait à leur dîner durant lequel ils débattraient sur quelque sujet pris au hasard de leur journée. Ils se fâcheraient tendrement, ils riraient à gorges déployées puis ils débarrasseraient dans la bonne humeur et inventeraient un nouveau jeu ensemble dont les règles changeraient à chaque instant au bon vouloir de chacun.
Ainsi avaient-ils décidé de vivre. Martin et Rose s'étaient exclusivement consacrés à leur fille et à leur librairie. Il n'avait qu'une enfant et Camille ne s'en plaignait pas. Ils étaient heureux tous les trois, ils se suffisaient. Le couple était très amoureux, ils s'aimaient de façon inconditionnelle et il en était de même pour leur fille. Ils acceptaient tous trois chaque manie, chaque trait de caractère de leur trio. Leurs rares disputes terminaient en rires. Martin et Rose avaient assez soufferts durant leur jeunesse, ils voulaient que leur Camille n'en pâtissent pas, ils lui avaient donc construit une vie de rêve.
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