Chapitre S E P T

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J'AI L'IMPRESSION D'ÊTRE COUCHÉE SUR UN NUAGE SOYEUX ET DOUX. Quand mes pieds touchent le drap, un son guttural que je n'avais jamais entendu sors d'entre mes lèvres. La douleur des talons rencontre le plaisir de toucher quelque chose de sûr, de tendre, un lit. Je n'ai pas pris la peine de plier la robe, elle s'est retrouvée vite en boule auprès de la chaise au fond de la chambre. J'ai enfilé un vieux t-shirt, laissé par Chris dans mon humble demeure suite à un essayage frustrant de t-shirt taché pour un date....qui en fin de compte n'a pas eu lieu.

Ça a été un enfer. Ne boire que trois verres de champagne, rester percher sur des échasses, les règles douloureuses à certains moments (je veux parler de cette sensation de lourdeur dans les jambes, l'impression de flancher sous une pression), la tension à couper au couteau entre la fille et mère Stevenson.

Je veux arrêter de penser, de sentir... Je veux dormir, compter les moutons imaginaires et m'endormir plus profondément même si le jour semble pointer son nez. Je veux juste dormir cinq minutes de plus... Ou pour l'éternité dans ce lit trop moelleux pour pouvoir penser qu'il soit au même prix que celui chez moi. Mais le tambourinement sur la porte de manière frénétique ne fait que m'énerver de plus en plus. Comme si le bruit emplissait l'atmosphère, ne laissant place à aucune pensée, aucun autre bruit que même le tambourinement de mon cœur contre ma cage thoracique semble modeste par rapport à ce qu'il se passe.

N'en pouvant plus, je marche sur mon lit pour atteindre la porte que j'ouvre brusquement, peu importe la tenue dans laquelle je me montre à la personne derrière cette porte, puisqu'elle sera morte les vingt secondes d'après.

Sauf que bien sûr je ne peux pas me tirer d'un homicide volontaire si en plus il se trouve que la victime puisse n'être autre que le Stevenson qui semble un tantinet surpris que je lui ouvre la porte.

-Que me voulez- vous ? dis-je d'un ton ferme

-On doit partir au boulot.

Le ton de sa voix montre une nervosité que je n'avais pas remarqué avant dans nos échanges. Est-ce le fait de me voir si peu habillé qui le rend dans cet état ? Pathétique. Faisons comme si de rien n'était car au moins il me regarde dans les yeux.

-...On est rentré il y a à peine environ trois heures, vous pouvez pas attendre ne serait-ce qu'une heure ? Vous êtes le boss en plus.

-Certes, mais si je ne l'étais pas, j'aurais perdu mon job, ce qui serait fâcheux car cela voudrait dire pas d'argent pour aller par exemple dans un si bon resto que celui de l'autrefois.

-Ouais c'est fâcheux ça...C'est vrai qu'un Mcdo du coin de la rue ça suffit pas, dis-je avec ironie, mais je ne pense pas que vos employés aient les moyens de se payer "un resto" selon vos normes. De plus, le problème c'est que je ne me sens pas au top de ma forme, ou plutôt pas au niveau du possible pour, comment dire... vous supporter ? Mes jambes sont en feu, mon cerveau en ébullition parce que je n'ai pas pris de médocs et que je n'ai pas assez profité de ce lit, donc concrètement je ne pense pas pouvoir vous accompagner.

Il essaie de me répondre mais je ne lui laisse pas le temps de le faire.

-Bien sûr, ça ne vous fait ni chaud ni froid sur votre productivité si je ne suis pas là, donc occupez-vous bien de votre business et moi je m'occupe de mon sommeil. Peut-être que ce soir si je suis de bonne humeur je vous harcelerai.

Il reste planter là, à me regarder pendant un bon moment que je regrette quand même de n'avoir pas eu l'idée de prendre un peignoir. Peu importe qui est derrière cette porte, il faut éviter les éclaboussures sur ses habits.

-Mademoiselle Fawkes, il se rapproche du bord de la porte en s'appuyant sur celle-ci et je remarque les dix-huit ou vingt centimètres de différence entre nous deux, avez vous fini ?

Je n'arrive plus à parler et ne fait que hocher la tête. Lui en profite pour rapprocher ses lèvres de mon oreille pour susurrer quelques mots. J'essaye de prendre sur moi pour le laisser parler.

-Restez, et harcelez-moi plus tard dans une autre tenue. Je n'ai pas envie d'avoir une grincheuse en manque d’eau-de-vie collée à mon cul.

Et il part, descendant les escaliers comme si ce qu'il venait de dire n'était pas provocateur, comme si c'était la chose la plus anodine du monde. Est-il en train de montrer qui il est petit à petit, en train de se dévoiler ? Avec ce sourire malicieux qui pointe beaucoup plus souvent son nez. Le truc c'est qu'il n'arrive pas à comprendre à qui il doit avoir affaire. Pas d'importance pour l'instant, je me mets en danger toute seule dans cette situation. Je ne suis pas chez moi, cet homme n'est pas Chris pour que je puisse me dévoiler ainsi.

Mais alors pourquoi ? Pourquoi n'ai-je pas envie de crier à plein poumons, de me cacher dans un coin pour essayer de contrôler une crise d'anxiété, d'angoisse beaucoup trop forte.. Pourquoi n'ai-je pas peur de lui ?

Les rayons du soleil font un reflet sur le miroir. Une lueur dans mes yeux que je peux traduire sans problème apparaît sur le miroir. Je soulève lentement le bas du t-shirt pour voir ce que je me suis fait il y a quelques années de ça. Dieu soit loué qu'il n'ait pas pu les voir.

Dieu soit loué qu'il n'ait pas vu cette lueur dans mes yeux ni ait pu trouver des choses sur mon passé.

***

Il s'est passé six heures depuis ma conversation avec le maître des lieux, une douche et une sieste , et ce n'est que maintenant que je me décide à sortir de mon hibernation. Ne jamais croire qu'une sieste restera une sieste, une sieste cache un coma.

J'essaye d'attraper à l'aveugle mon carnet et le stylo allant avec posés préalablement sur la table de nuit, mais ma main rencontre de petites pillules et un verre qui risque de verser le contenu si je ne l'attrape pas à temps. Bien sûr j'ouvre les yeux pour voir que ce n'est autre que des cachets pour les maux de tête et un verre d'eau. Comment je sais que ce sont des comprimés pour les maux de tête ? On a laissé en évidence la boîte pour que peut-être je ne m'en fasse pas, mais je préfère n'en prendre qu'un, on ne sait jamais.

En ce qui concerne la journée qu'il reste, je ne compte pas rester les bras croisés alors qu'une mine d'or se trouve juste là. C'est-à-dire son bureau, la bibliothèque et potentiellement sa chambre. Dans la perspective d'en savoir plus sur lui, je commence par vérifier beaucoup plus minutieusement la décoration de cet appartement, et jouer à la mentaliste. Le salon se coupe entre deux thèmes de couleur, l'un plus cosy que l'autre allant vers la piscine avec une touche plus sophistiqué.

La cuisine gris anthracite-noir charbon aussi donne cet effet de sérieux, comme on imagine souvent les entrepreneurs en avoir. C'est rare de penser qu'il y en aurait un avec une cuisine rouge pimpante. Elle donne vue directement sur la bibliothèque débordant de livres. A-t-il lu tous ces livres au moins?

-Mademoiselle ?

Je sursaute au son de la voix de la brune aux pointes vertes. Il faut que je lui demande son nom maintenant que je suis condamné à vivre ici les mois restants.

-Excusez-moi, je ne vous avais pas vu. Et appelez-moi Hayden, on doit avoir presque le même âge. Quatre ou cinq ans d'écart au moins.

-C'est pas grave, vous voulez manger quelque chose ? Pas trop compliqué car je ne suis pas le chef de la maison.... Je peux vous proposer des légumes sautés avec des lamelles de poulet, une moussaka d'aubergine et un curry ou plus léger, des œufs pochés accompagnés de stries de bacon sur un lit de croûtons comme les aime Mr Stevenson ?

Il aime les œufs pochés, à noter.

- C'est déjà très bien. Je vote pour les œufs pochés, dis-je en m'accoudant sur le plan de travail. Au fait, ce n'est pas très poli mais je ne vous ai pas demandé vôtre prénom.

- Je m'appelle Holly, je m'occupe du ménage ici certains jours car j'ai cours le reste du temps à l'Université.

-Columbia, Université de New York, Pace ou encore Julliard ?

-Columbia, vous y aviez étudié ? C'est grâce à Sam - pardon Mr Stevenson que j'y suis, il aide à payer les frais universitaires.

-Non j'ai étudié à l'Université de New York. Comment cela se fait-il qu'il paye pour vous ? Vous vous connaissez, je veux dire personnellement ?

Relativement à ma mission, il faut bien que j'interroge de manière indirecte comment est le Stevenson et tous genres de relations qu'il peut avoir.

-On peut dire ça, elle s'affaire à mettre les œufs dans l'eau bouillante, mon père est son chauffeur donc...

-Oh Mr Simon... D'accord. Cela fait longtemps que ton père travaille pour lui ?

-Depuis qu'il est revenu de Londres, soit euh... Plus de vingt ans, car il travaillait d'abord pour les parents de celui-ci.

-En gros, ton père c'est l'Alfred de Samuel ?

En raison de ma blague, un sourire apparaît sur ses lèvres comme si elle n'avait jamais remarqué cette ressemblance, le dévouement de son père à cette famille. Il n'y a pas le côté macabre avec la mort des parents de Bruce Wayne et le fait d'imaginer le Stevenson en costume badass de Batman risque de faire manquer un battement à mon cœur dû au dégoût.

- Je reviens dans quelques minutes, je vais voir la bibliothèque.

Les livres peuvent dire beaucoup sur une personne, les livres romantiques à l'eau de rose montrent une certaine tendresse ou sensibilité de la personne. Des polars, thrillers montrent le côté détective d'une personne, quelqu'un qui aime savoir et peut-être donner justice.

Enfin les livres d'horreurs, qui ne veulent pas forcément dire que le lecteur soit sociopathe surtout s'il rigole au moment d'une mort (attendu) d'un personnage. Elle représente surtout un détachement à la réalité, si je me fais bouffer par un zombie ne vous attendez pas à ce que je rigole. Et si c'est quelqu'un d'autre qui se fait bouffer devant mes yeux je ne risque pas de rire mais de rester stoïque, sans voix et perplexe, comme si je n'assimilais pas ce qu'il se passe.

Dans la bibliothèque du Stevenson, on trouve beaucoup d'anciens écrits comme du Shakespeare, du Molière, de la mythologie.

Beaucoup de tragédie théâtrale.

Mais il ne s'arrête pas là. Il y a une immensité de livres devant mes yeux représentant plein de style de bouquins. Des livres techniques sur l'économie, des livres d'arts se comptant par dizaines.

- Vous analysez ma collection de livres ?

Je me retourne en sursaut au son de sa voix, n'est-il pas censé rentrer plus tard, genre avoir du boulot quoi ? Je ne fais pas de remarque et continue mon inspection en lui répondant :

- Vous avez une sacré tonne de livres, les avez-vous tous lus ?

-Une bonne partie oui, j'essaie de planifier ma lecture pour mon temps libre, dit-il avec les mains croisées tout en s'approchant de moi, à caler avec le sport ou encore d'autres sorties pour me sentir... comme les autres.

- Vous n'êtes pas comme les autres ça je peux le dire, pouffé-je, avoir tout ça pour soi sans compter votre empire en construction... Vous n'êtes pas comme les autres.

Il s'assoie sur l'un des fauteuils beiges puis range le tas de livres posé devant lui sur la table basse.

-Je ne parlerai pas d'empire, l'entreprise de mon père est un empire mais moi je n'ai rien à voir avec son travail. Mon entreprise n'est pas une filiale de son empire, ce n'est pas une branche de l'arbre qu'il a fait pousser. Et en ce qui concerne les livres, cela vient de ma mère, elle a toujours aimé lire et m'a refilé cette soif de lire des histoires réelles ou imaginaires. Il s'enfonce dans ses pensées sans s'en rendre compte. A chaque anniversaire je ne recevais pas des jeux vidéos dernier cri mais des livres.

Je le regarde pour savoir si cela était triste pour lui ou peut-être que non. Il remarque que je ne comprends pas si je dois prendre ces cadeaux en bien ou en mal.

-Détrompez-vous, ce sont pour moi les plus beaux cadeaux que je pouvais avoir car ce sont des cadeaux qui ont été choisis avec soins par ma mère, qui venait me les donner en mains propres et non par ma nounou qui est comme une deuxième mère pour moi. Paola, mon ancienne nounou a comblé le vide qu'avait mis mes parents pendant de longues années de mon enfance avant que je ne vienne vivre avec eux ici -

Il s'arrête d'un coup de parler ne laissant plus flots de ses pensées avant de se reprendre après avoir secoué la tête comme pour rejeter un trop profond souvenir. Je fais mine de n'avoir rien vu et recommence (avec mal) à rechercher l'intrus dans cette tonne de livres. Bien sûr, sans oublier que ce que je viens d'entendre doit être écrit au plus vite dans mon carnet.

Et là, le Graal pour les femmes fantasmant sur les entrepreneurs blindés de thunes : 50 nuances de Grey.

-Je rêve, je rêve... Je rêve !

Interloqué par mon exclamation, il tourne sa tête vers moi avec un sourcil arqué. Je sors le tome un et le lui montre.

-Expliquez-vous.

Il ne fait que fixer le tome pendant que je tape du pied. Alors là j'attends impatiemment la réponse qu'il va me donner.

-Euh... Il se racle la gorge. J-je, ce n'est pas ce que vous croyez...Je cherchais des informations.

-Des informations ? Pour quoi faire ?

-Cet engouement autour de ce livre, voir comment on dépeignait les chefs d'entreprises...C'est ce que je cherchais. C'est le seul livre que j'ai de ce genre de toute manière.

Ah oui ? Je sors les deux tomes restants des 50 shades et en plus un tome de Beautiful bastard. Il reste coi comme s'il ne savait pas qu'il y a ces livres dans sa librairie privée.

- Moi, je pense que vous avez un peu trop pris goût à ce genre de lecture... Je tourne autour de son siège prenant un malin plaisir à jouer la policière en plein interrogatoire, cherchez vous à avoir une chambre rouge ?

-La seule chambre rouge que j'aurai sera celle pour développer des phot -

-Photos compromettantes pour vous si on sait ce que c'est ? dis-je en le coupant

- Des photos de paysage, répond-il en appuyant sur "paysage" tout en se retournant vers moi qui suis derrière lui, les paysages que mon neveu prend en photos.

-Hmm je peux vous croire pour les photos, je range les livres à leur place, mais pour la chambre rouge un peu moins. Je trouverai les plans de cette chambre ajouté-je en avançant vers la cuisine.

-Je n'ai aucun penchant sado-maso si c'est ce que vous cherchez à savoir, raille-t-il tout en me suivant et s'asseyant au bar à côté de moi, ce n'est pas mon truc de fouetter les gens.

-Il faut que je demande ça aux victimes, soit une centaine de femmes étant tombées dans vos bras.

Holly met les assiettes devant nous, une assiette pour lui aussi ce qui veut peut-être dire qu'elle savait qu'il était rentré. Merci de ne pas m'en avoir informé.

-Au fait, toutes les femmes que vous "côtoyez" sont des femmes mariées ? dis-je en prenant une bouchée.

- Non, pas seulement. Il y a de très belles mannequins, des femmes d'affaires, des artistes...

-Et tout ça pour les affaires ? Excusez-moi mais si cela est vrai je dirai que vous êtes un gigolo très proche du prostitutionnisme.

Il s'arrête de manger alors que moi je continue de m'empiffrer.

-Ne vous inquiétez pas, je fais cela pour ma vie de débauche débordante et non pour les affaires. Je sais comment faire pour avoir ce que je veux sans donner mon corps et je me désole pour les autres qui ne trouvent que ce moyen ou qui n'ont pas le choix que d'en faire autrement.

-Vous en connaissez, je veux dire des gens comme ça ?

- Non, et de toutes manières même si j'en connaissais personnellement je ne vous dirais rien car c'est moi votre sujet et non les autres, c'est moi que vous aviez menacé de détruire la carrière et non celles des autres.

Il recommence à manger mais pique la nourriture avec plus de poigne que tout à l'heure, euh...l'ai-je énervée ? Pas que ça me dérange, mais là j'ai rien fait.

On mange alors dans un silence rempli de bruit de couverts et la vaisselle faite par Holly qui n'a pas eu l'air de tiquer devant notre conversation car à peine avions-nous commencé à discuter, qu'elle a mis ses écouteurs et le son à fond sur son téléphone.

-Vous trouvez comment ces œufs ?

Hein ? La seule façon qu'il a trouvé pour briser ce silence d'enfer et de me parler d'œufs?

-Euh... Bon, ce sont des œufs quoi ?

-Juste des œufs ? Vous ne ressentez rien ?

- Vous êtes sûr que ça va ? Je lance un regard discret vers Holly pour comprendre ce que j'ai dit de si mal en ne disant que la vérité : ce sont des œufs. Des futurs anciens poussins ou l’inverse. Mais la semi-brune évite mon regard.

-Qu'ont-ils de si spécial ? Ce sont juste des œufs que je peux acheter à la supérette.

-Oh que non ce ne sont pas juste des œufs, vous ne pourrez même pas les préparer de cette manière ( Hé qui vous dit !?), ce goût provençal dû aux herbes ne vous titille même pas la langue alors je pense que vous n'avez l'habitude que de manger du papier mâché. Le poivre ne vous pique pas le nez, la viande n'est que de la viande...

Alors là, je reste bouche bée. J'ai l'impression qu'il me parle d'art mais il ne me parle que de ce que je peux prendre à chaque brunch ! Ce n'est pas comme si j'avais dénigré le Guernica de Picasso ou un film de Scorsese. Je ne savais pas que Holly était si bonne cuisinière aux yeux de l’acharné qui se trouve devant moi.

-Pourquoi me faire un sermon sur un ça ?, le coupé-je, je ne suis jamais allée en Provence et je n'ai pas le temps de déblatérer sur le goût de tout ce que je mange. Je vous assure que c'est la pire manière d'essayer de relancer une conversation ! Genre le fou des œufs sous toutes les formes.... C'est creepy.

Je décide de repartir sur le sujet d'avant, avant le sujet des œufs de folie, c'est-à-dire sa vie intime.

-Je...

- Bref, vous n'avez pas peur des représailles ?, coupé-je de nouveau. Vous n'avez pas peur qu'un jour un type avec lequel une de vos "petites copines" est sortie ou sort ou bien soit marié vienne vous mettre une raclée ?

- La vie est faite pour être vécue, et je pense que ce n'est que ces derniers temps que je fais n'importe quoi. Une sorte de crise d'adolescence en retard de quinze ans. Je mériterai toutes les claques de ces exs éphémères et ces coups de poings de maris ou copains de celles-ci, même si à ce jour je n'ai couché qu'avec deux femmes mariées.

Vraiment ?

A vérifier.

-Et maintenant vous allez faire quoi ?

- Dormir, travailler, dit-il en soupirant, et ce soir je suis attendu chez ma sœur que vous avez rencontré hier. Bien sûr vous m'accompagnez, donc rendez-vous à 18 heures. Sur ce, je vous laisse vous amuser à regarder tous les coins de la maison sauf ma chambre.

J'entends ses pas s'éloigner mais sa voix retentit du haut des escaliers comme sans m'y attendre.

-Au fait, la robe d'hier vous allez très bien.

***

A notre arrivée, je ne m'attendais pas à voir des gamins accourir vers les jambes de mon "colocataire" , à part la plus grande d'environ 14 ans si mon analyse est bonne qui lui fait une bise sur la joue. J'ai l'impression qu'il ne m'ont pas remarqué jusqu'à ce que le regard du petit qui se trouve dans les bras du Stevenson me fixe de ses yeux noisettes. Je lui fais donc un petit coucou de la main avant de la ranger dans ma poche, entendant les pas de quelqu'un arrivant.

Pour faire feinter le fait de faire quelque chose, je commence à examiner la déco des lieux pendant que le Stevenson s'amuse avec ses neveux.

-Ah ! Vous êtes arrivés à temps, je pensais que tu allais venir en retard avec une excuse comme j'ai trop de travail ou encore un rendez-vous hyper important et bla bla bla... Elle s'arrête devant nous et étreint son frère comme si ça faisait longtemps qu'elle a eu l'occasion de le faire. Sa tête recouvre l'épaule droite couverte d'une veste bleue du milliardaire (si on rajoute des zéros). Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas pris dans les bras, elle lui donne une petite tape sur l'autre épaule tout en décollant sa tête.

Elle se tourne ensuite vers moi et me sort son plus beau sourire, enfin je pense, un sourire qu'elle doit souvent sortir quand elle fait des affaires.

- Je suis contente qu'il vous ait amené, comme ça je pourrais raconter plein de potins sur lui. Il y en a un paquet qui peut vous intéresser, dit-elle un air joueur.

-Je suis toute ouïe, preneuse de toutes bonnes histoires.

- Bon suivez-moi, on ne va pas rester au milieu du couloir, elle nous montre d'une main la direction du salon aka salle à manger, mon mari nous attend.

Tout en marchant les mains dans les poches, le Stevenson demande à moitié surpris si le cuisinier de ce soir n'est autre que son beau frère. Sa sœur acquiesce tout en le poussant de côté avec un coup d'épaule. Ils s'entendent bien tous les deux, ils n'ont pas l'air de frère et sœur ayant détruit les jouets de l'autre.

Pas comme moi et Chris. Je me souviens qu'un jour, il avait reçu une voiture télécommandée ultra cool à l'époque et moi...Bah faute du sexisme une poupée princesse. J'avais donc décidé de me lever et de casser à coup de pied l'automobile de mon meilleur ami qui était estomaqué, et de lui proposer de jouer avec son action man et ma poupée à un interview de haut vol comme à la télé.

Il est ensuite parti en courant, tout en pleurant.

Sans m'en rendre compte je suis devant la table remplie de choses qui semblent délicieuses...Et de personnes déjà assises n'attendant que moi, à me voir poser mes fesses sur la chaise afin de pouvoir attaquer le repas. Je ne me fais pas attendre et m'assois délicatement sur la chaise ressemblant à une antiquité.

Tout ce qui se présente devant moi a l'air délicieux mais mystérieusement, je n'ai pas faim. Moi qui normalement ne refuse aucune assiette qu'on me propose à part celle qui semble remplie de poison ou encore donnée par un ennemi.

Mais le seul ennemi possible à cette table ne peut être que Stevenson fils... Enfin je pense.

-Vous pouvez vous servir vous savez, Harold se débrouille très bien en cuisine. En une dizaine d'années de mariage je n'ai pas eu besoin d'aller aux urgences pour intoxication alimentaire, seulement pour mes accouchements.

Je me dis quand même que ce n'est pas poli de venir à un dîner pour en fin de compte ne pas manger, alors j'attaque les pommes de terre sautées.

La conversation tourne autour de plusieurs thèmes comme la politique, l'entreprise, les enfants... Des trucs barbants quoi, même si cela peut montrer un peu la façon de penser du milliardaire. Je décide de quand même mener la danse en demandant comment était l'enfance des deux Stevenson.

-Samuel était un gamin sympa qui était la tête enfoncée dans ses bouquins et qui voyait notre père comme une sorte de superhéros dû au fait qu'il soit un banquier réputé qui a réussit dans le monde des affaires,une sorte de Elon Musk avant qu'Elon Musk soit à ce niveau-là. Il avait tout le temps les cheveux en bataille quand je le voyais, avec une moue boudeuse ou un je-m'en-foutisme comme on en a jamais vu. Même s'il a maintenant 33 ans... Je pense que cet état d'esprit n'a pas disparu ! dit-elle avec gaieté avant de poser ses lèvres sur son verre de vin.

- Vous ne le voyez pas beaucoup ?

D'un coup sa gaieté d'avant laisse place à un sourire amer et un regard gêné envers son frère.

- Je vivais aux Etats-Unis pendant que lui vivait à Londres jusqu'à ses 7 ans. Il est né là-bas alors que mes parents étaient en voyage d'affaires et moi ma vie était à New York. Je suis venue le voir à ses trois mois, en Juillet. Puis je venais le voir toutes les vacances possibles afin de passer du temps avec lui... Je n'ai jamais compris la décision de nos parents de le laisser à Londres, elle n'ose plus regarder son frère dans les yeux et s'affaire à déchiqueter la viande qui est dans son assiette, enfin maman a quand même passé près de quatre ans à ses côtés mais après il l'ont mis dans un internat à un si jeune âge jusqu'à ses 10 ans...

Donc, trois ans d'internat aux Etats-Unis.

-Mais je m'en sors très bien maintenant aucune séquelle venant d'un internat lugubre, les fantômes tout ça... dit le principal intéressé avec un ton se voulant réconfortant avec une volonté de rendre l'atmosphère meilleure qu'avant.

- C'est vrai que vous vous portez comme un charme. Je me demande si vous étiez aussi chiant dans le passé que ce que vous êtes aujourd'hui.

Ma mine amusé semble le divertir aussi car le coin de ses lèvres se lèvent pour former un léger sourire narquois.

- Vous devriez enlever ce sourire Mademoiselle Fawkes.

-Sinon quoi ?

Je joue avec le feu, je sais mais je ne serai pas moi si je ne le provoque pas.

-Je vous assure qu'il était un peu moins chiant, cela ne fait que cinq ans qu'il est un trou du cul pareil. Avant je dirai qu'il était un casse-noisettes !

-Et toi Ayanna, t'es qu'une fille coincée ne voulant que l'attention des autres.

-C'est pas ce que dit mon mari en tout cas.

Ils continuent de se narguer tout le long du repas. Je m'étonne même d'apprécier ce moment avec eux. Il a l'air d'être plus à l'aise que quand il est avec sa mère. Aucune cravate à l'horizon, la chemise avec trois boutons déboutonnés, les cheveux plus en bataille que ces derniers jours.

Car oui, au boulot quand quelque chose le trouble ou que les choses commencent à se corser, il a l'habitude de passer sa main dans ses cheveux et de se retrouver avec une chevelure dans tous les sens. Ou encore le fait de tirer sur sa cravate quand il lit un document important ou complexe... Enfin j'imagine.

Tout d'un coup en voyant qu'il fait nuit noire à travers les fenêtres, mon corps se tend et je ne pense plus qu'à l'heure qu'il est. L'envie de rentrer urgemment monte comme si je suis au bord de l'implosion tel un volcan.

-Quelle heure est-il ?

Ma voix est plus sèche que je ne le pensais et je n'arrive pas à regarder autre chose que les couverts qui sont sur la table. Mes yeux font des allers-retours sur les fourchettes et les couteaux, autant dire que j'agis comme si je regardais un match de tennis, mais ce n'est autre que l'angoisse.

Il a dû remarquer mon attitude puisqu'il penche sa tête en avant pour mieux regarder mon visage, puis me donne l'heure. 23H30. Il reste trente minutes avant que je m'enfonce encore plus.

Comment ai-je pu oublier quel jour on est ?!

Moi qui pensais que tout s'était réglé, plus aucune crise, un petit coup à boire par-ci, par-là... Mais tout ce que je pensais disparu va réapparaître comme une malédiction à cause de ce jour maudit, ce jour dégoûtant !

Je ne remarque même pas qu'on est parti et qu'on est déjà à la porte de l'appartement, je me réveille de mon absence que quand j'entends le bruit de verre et de liquide versé dans ceux-ci par le Stevenson.

-Vous en voulez un ? demande-t-il

Il reste la main tendue avec le verre au bout, attendant que je lui prenne, mais je ne fais que le regarder dans les yeux. Veut-il accélérer ma chute ? Je ne veux pas qu'il me voit dans l'instant de faiblesse qui m'attend dans...dix minutes. Il lâche l'affaire et ne s'occupe pas du fait que je sois étonnamment silencieuse, ne lui lançant aucune vanne.

- Je vais me coucher, soupire-t-il, je suis rincé. Même ce verre de cognac ne me donne pas envie. Il fait tourner le liquide dans son verre puis repose la coupe en s'enfonçant dans le fauteuil, tout en fermant les yeux et mettant sa tête en arrière.

-Vous devriez vous coucher, demain sera une longue journée...

Ma voix n'est plus qu'un souffle qui semble pouvoir se couper à n'importe quel moment. Tout va trop vite ensuite. Le moment où il se lève pour aller dans sa chambre, le dernier regard qu'il me lance avant de fermer sa porte, l'attente des dix dernières minutes...

Les coups de minuit sonnant une descente aux enfers annuelle.

Le verre qui se brise, une main coupée et des larmes.

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