Abandonnée

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Personne ne veut plus vivre ici après le suicide de la fille unique de madame Dubois. Elle a mis fin à ses jours le 25 décembre 2017 en cumulant plusieurs moyens pour s'approcher le plus possible de la réussite. Tous se doutaient qu'elle n'allait pas bien depuis des années, ses écrits en témoignaient. Par deux fois, la police avait été appelée chez elle par peur qu'elle n'exécute ses plans. Elle avait écrit dans son journal qu'elle ne se sentait pas si mal lors de ces deux journées.

Lors de sa dernière semaine, elle avait l'air heureuse. Elle riait, elle souriait, elle rigolait, elle blaguait. Elle agissait comme si tout allait parfaitement bien pour qu'on ne se doute de rien. Ses yeux criaient à l'aide, mais personne ne voulait lui tendre sa main parce qu'elle faisait peur. L'énergie qu'elle dégageait était aussi enivrante qu'effrayante.

Je ne suis pas allée à son enterrement, personne ne s'y est rendu. On se sentait tous un peu coupables de la tournure des événements. On l'avait tous poussée un peu plus près du précipice par notre implication ou notre inaction. Sa petite photo dans l'album des finissants nous nargue quand on le feuillette et le cadeau d'une de ses uniques amies dans la rubrique où ils ont imaginé le futur de certains élèves nous rappelle qu'on a mis fin à son rêve.

Sa mère est partie en abandonnant tout derrière elle. J'ai appris plus tard que la naissance de sa fille avait été la seule raison qu'elle avait pour rester en vie. Quelques textes et dessins ont circulé pendant un moment pour lui rendre hommage. On se doute bien que sa mère avait pris le temps de trier tout ce qu'elle avait écrit pour nous montrer seulement ceux avec une touche d'espoir et de beauté. Je n'ai rien lu, mes yeux n'ont pas voulu se concentrer sur une seule lettre.

Si je me tiens maintenant devant cette maison, c'est parce qu'elle est sur mon chemin. Ironiquement, un arrêt d'autobus a été construit juste à côté de la demeure dont plus personne ne s'occupe. Des fenêtres ont été défoncées par des adolescents attardés, des graffitis crachent sur la mort de mon ancienne camarade de classe et des déchets ornent le gazon depuis longtemps à l'abandon. Des clodos y dorment probablement à moins que la maison soit utilisée pour accomplir des rituels sataniques. Des cahiers décorés de croix inversées ont peut-être été retrouvés et ses écrits se verront publiés sous le nom d'un voleur qui s'attribuera les mérites.

Alice aurait peur de tous ces inconnus si elle était encore parmis nous. Elle n'a jamais invité personne chez elle et ne sortait pas en général, elle serait choquée que des gens rentrent dans son intimité sans lui demander l'autorisation.

Seulement, est-ce que quelqu'un a demandé son consentement lorsqu'elle était encore en vie?

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