L’âme du temps

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01 - Renaissance


Dallas le 22 novembre 1963 :

    La voiture vient de tourner à gauche pour quitter Main street. John est étonné de ce changement de direction, mais il suppose que la sécurité en est la cause. Les services secrets détestent tout ce qui peut ressembler à un point de passage prévisible. Un endroit ou le président des États-Unis pourrait éventuellement tomber dans un guet-apens. Ils poussent l’équipe de campagne à faire preuve d’improvisation lorsqu’ils prennent ce type d’initiative.

    Cette fois-ci, les conséquences seront minimes. Même si elle est plus clairsemée que sur Main street, la foule qui est en train de l’acclamer son passage sur ces contre-allées de Dealey Plaza est encore assez importante.

    Quelques heures plus tôt, lorsqu’il avait débarqué d’Air-force One, sur l’aéroport de Love field à Dallas, il se demandait s’il n’allait pas passer la journée sous les huées des Texans. À cause des décisions politiques de son gouvernement, qui avaient abouties à la suppression de la ségrégation raciale, les états du sud avaient été le théâtre de nombreux incidents. Des manifestations qui avaient entraîné la mort de bien des individus de part et d’autre de l’échelle colorimétrique humaine. En plus, sa rencontre récente avec le pasteur doit peser dans la balance. La ville des Cowboys est une destination risquée, même pour un président aussi populaire que lui.

    John sait que la ferveur de la foule à Dallas ne peut pas être achetée par son père. D’autant plus qu’il avait décidé de se passer de son appui pour conquérir, cette fois-ci, la présidence de façon loyale. Il allait donc, devoir compter que sur sa popularité et sa bonne étoile.

    Hier à Houston tout s’était bien déroulé et aujourd’hui encore sa bonne étoile s’était montrée à la hauteur de la tâche. En traversant Dallas ce matin, il avait été étonné par l’importance et la bienveillance de la foule qui l’attendait en cette belle journée de novembre. John avait demandé que l’on retire le toit de la Lincoln pour profiter à la fois du soleil et des vivats des citoyens de la ville.

    Ces acclamations étaient un pain bénit politique qui allait faire rebondir sa campagne. Même le sud conservateur apprécie le président. Comment le parti de Nixon pourrait-il contrer les images de cette journée ?  

    — Vous ne pourrez pas dire que Dallas ne vous aime pas, dit la femme du gouverneur, comme si elle lisait dans ses pensées.

    En acquiesçant, John prend une longue inspiration pour profiter pleinement de cette légère pause au cœur de la campagne présidentielle. Mais tandis que l’air frais de Dallas pénètre ses poumons, il sent une forte douleur traverser sa gorge, suivie par une détonation qui résonne longuement dans ses oreilles.  

    Le temps vient de s’arrêter d’un seul coup tandis qu’il lutte pour respirer et essaye d’alerter son escorte de sa détresse. Le monde qui l’entoure ressemble maintenant à l’un de ces ralentis que l’on peut voir à la télévision lors de la retransmission des matchs de la NFL. Le gouverneur Connaly en face de lui est blessé. Son poignet pisse le sang et il se tient le flan.

    John porte ses mains à son cou pour comprendre ce qui se passe lorsqu’il sent sur ses doigts un liquide chaud et poisseux. Une révélation frappe son esprit. Une scène qu’il a déjà vécue pendant la guerre. Ils sont attaqués ! Cette détonation est celle d’un coup de feu.

    John qui s’était affaissé sur son siège tandis qu’il combattait la douleur qui l’assaille tente de se redresser pour mettre sa femme à l’abri des coups de feu. Mais un nouveau choc à la tête expulse un large morceau de son crâne en emportant avec lui ses dernières pensées...



Lieux et temps incertains : Extrait d’une conversation secrète.

    — Il ne doit pas enquêter !

    — Bien, nous allons supprimer ses subventions et mettre fin à ses expériences.

    — Surtout pas ! Il doit au contraire recevoir tous les subsides qu’il demandera et devra continuer à avancer sur son projet. Vous devez juste, l’empêcher de se livrer à son hobby.

    — Son dernier sujet d’expérience pourrait mourir... Ce ne serait pas son premier échec. Il devrait, à ce moment-là, se préoccuper plus de la réussite de ses travaux que de clarifier de vieilles thèses conspirationnistes.

    — Là non plus, vous ne devez pas intervenir dans ses expériences. Il est crucial que chacun de ses sujets d’étude ait toutes ses chances de survivre.

    — Nous pourrions peut-être, nous assurer, que, sa… Heu, Chronobulle ne fonctionne jamais. Nous avons un homme dans son équipe qui pourrait s’en occuper.

    — Là encore, il est important qu’il puisse mener ces expériences à leur terme. Ces travaux-là, ainsi que tout autre qu’il pourrait commencer doivent être facilités au maximum. Croyez-moi, c’est l’esprit le plus brillant de ce siècle. Sa contribution scientifique va, sans aucun doute, permettre à l’humanité de faire un bond de géant.   

    — Vous, vous rendez compte que ce que vous me demandez est impossible ?

    — Rappelez-vous que nous avons fait l’impossible pour vous. Le poste que vous occupez, c’est à nous que vous le devez. Vous ne voudriez pas faire la même erreur que votre adversaire ?

    — Non, bien sûr. Ne prenez pas la mouche. Tout ce que je disais, c’est que vous ne me rendez pas les choses faciles. Quel mal y a-t-il à farfouiller dans de vieilles histoires ? Tout ce qu’il risque de découvrir c’est des vérités qui ne peuvent plus faire de tort à personne. Des thèses qui sont de notoriété publique depuis bien longtemps.

    — Je vous ai déjà dit et je vous l’ai fait comprendre. Je ne travaille pas à la préservation du passé. Ce qui m’inquiète c’est le futur. Cette enquête, si elle aboutit, risque de précipiter l’humanité vers le chaos !

    — Holà, comme vous y allez fort. Nous contrôlons tous les médias, il nous suffira d’interdire la diffusion de cette nouvelle. De ridiculiser et décrédibiliser tous ceux qui pourraient la dispenser.

    — Vous ne comprenez pas. Cela n’empêchera pas celui qui va enquêter, de connaître cette information. S’il découvre l’identité de celui qui a réellement commandité le meurtre de John Fitzgerald Kennedy, il risque de tourner le dos à son destin. Les conséquences, pour nous tous, seront incalculables...  



Aujourd’hui :

    Il respire. Il sent l’air qui emplit ses poumons avant d’être expiré. Ce processus se réalise sans qu’il puisse savoir par où il aspire l’oxygène et par où il le recrache. Il ne peut pas bouger. Pour être plus précis, il ne se souvient pas comment il pourrait faire appel à ses membres pour se mouvoir.

    Il se remémore qu’il possède des mains, des yeux, une bouche, un nez, des oreilles. Mais lorsqu’il essaye d’utiliser ces cinq sens, ils sont aux abonnés absents. Il ressent juste le rythme de sa respiration.

    Sa respiration, mais aussi autre chose qui tape doucement dans son torse. Un battement qui résonne également derrière son oreille gauche.

    Un torse, des oreilles ? Je suis en train de retrouver mon corps. Chaque chose se remet en place lentement. Il va juste falloir être patient pour découvrir l’étendue des dégâts.

    Tandis qu’il s’éveille ses derniers souvenirs refont surface.

    On nous a tirés dessus. J’ai été touché à la gorge puis je me suis évanoui.

    Où est-ce que je suis, à l’hôpital ? Ma femme à t’elle été atteinte ? J’ai déjà perdu Patrick cette année. Dieu, s’il vous plaît, ne me prenez pas Jackie.

    Soudain près de lui une voix de femme se fait entendre annonçant ainsi le retour de son ouïe.

    — L’intégration est presque terminée. Nous n’avons jamais été aussi loin dans le processus.

    — C’est parfait, mais je vais quand même attendre la fin de ce cycle avant de crier victoire et distribuer les cigares. Réponds une voix d’homme.

    — Gardez pour vous, vos antiquités cancérigènes, je préfère profiter d’un vrai repas.

    — Quel rabat-joie ! Vous ne savez pas ce que vous manquez.

    — Il nous entend. Il faut rester silencieux pour ne pas le désorienter.

    — Je pense, si c’est possible, qu’il vaut mieux le sédater. Il n’a pas besoin d’être conscient pour la fin du processus. Et nous devons continuer à échanger des informations.

    — Éloignez le dispositif de transfert, je vais le piquer.

    Une légère douleur dans son cou lui indique qu’on est en train de lui injecter un produit.

    Non ! Il faut que je fasse une déclaration publique pour annoncer que je ne suis pas mort. Mes concitoyens doivent être rassurés. Je dois démontrer que je suis toujours dans la course pour la présidentielle... Pense-t-il avant de sombrer dans le sommeil.


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