Comme il l’avait appris durant sa préparation, la grande majorité de ceux qui simulaient leur mort choisissait de faire croire à un suicide, dans des conditions telles qu’on ne puisse pas retrouver leur corps. La fausse mort classique consistait à laisser une note donnant à penser qu’on allait sauter d’un pont, sans nécessairement préciser lequel pour compliquer les recherches. Mais pour Erwan, il était hors de question de simuler son suicide. L’idée que son entourage puisse spéculer sur un hypothétique mal-être ou une dépression à son égard lui était insupportable. Il n’avait pas envie qu’on le plaigne, encore moins que ses prétendus amis et collègues s’inventent des histoires larmoyantes ou qu’ils versent dans la culpabilité : « J’aurais dû voir qu’il n’était pas dans son assiette depuis quelque temps », « Si j’avais su lorsque nous avons joué au golf pour la dernière fois… ». Non, non et non. Il n’en était pas question !

Il avait donc entrepris de faire croire à une mort soudaine dans un accident de voiture. Une mort violente et inattendue pour prendre tout le monde par surprise. Mais une mort particulièrement complexe à mettre en œuvre.

Alors que l’heure de la cérémonie approchait, Erwan ressentait une certaine fierté en repensant aux mois de travail nécessaires à l’élaboration de cet accident... La planification étape par étape, le choix d’un lieu suffisamment discret, mais en cohérence avec ses parcours habituels (par chance l’un des trajets qu’il pouvait emprunter pour se rendre à son bureau comportait une route sinueuse à travers la forêt, flanquée d’un escarpement), ses recherches sur la calcination des corps pour que le feu fasse disparaître toutes les matières organiques, le véritable squelette humain qu’il s’était procuré pour une petite fortune via un réseau de vendeurs asiatiques, les doses de sang qu’il s’était prélevées pour en recouvrir les os et l’habitacle de la voiture, le système électronique acheté vingt dollars (plus frais de port) à des hackers, lui permettant de contrôler le véhicule à distance et tous les autres détails à régler pour réaliser sa « cascade », il y a cinq jours – cascade qui avait berné tout le monde, y compris la police… Que tout ait fonctionné comme prévu et qu’il ait réussi à simuler sa mort de cette façon-là tenait sans conteste du miracle, songeait Erwan. Une pensée qui ne manquait pas de sel étant données les circonstances.