C’est sur le quotidien papier local que son décès avait été annoncé en premier, dans l’édition du lendemain. L’encart d’une dizaine de lignes titrait sobrement : « Accident mortel sur la RD191 ». Il faisait état d’un homme retrouvé brûlé dans son véhicule après une sortie de route dans la nuit, avant de pointer le manque de sécurisation de cette chaussée.

Voilà à quoi se résumait sa vie à présent. Un fait divers. Une statistique. Le directeur financier qui avait grimpé les échelons d’une carrière enviable, le mari de la belle neuropsychiatre, le père de famille, toutes ces années réduites à dix petites lignes d’un quotidien local qui serait très vite froissé et jeté à la poubelle. Erwan avait été pris de vertiges en posant le journal, avant d’être traversé par un irrépressible sursaut identitaire, comme si son égo piqué au vif avait encore besoin de défendre son « bilan ».

Il avait cédé quelque temps à la colère, oubliant les incertitudes de l’enquête de police. Il avait repensé à ses prétendus collègues et amis, à sa femme adultère, à ses enfants partis trop loin, tous avec leurs faux-semblants, leurs mensonges, leur hypocrisie. Il avait souhaité qu’ils souffrent à ce moment, pour mettre à l’épreuve leur comédie et voir à quel point ils se ridiculiseraient. Il en avait même jubilé en imaginant ses funérailles dans quelques jours. Car enfin n’était-ce pas ce qu’il était venu chercher en simulant sa mort, le clou du spectacle, l’ultime mise à nu ? Ce qu’il ferait alors pendant la cérémonie, devant tous ces acteurs, dépendrait de leurs performances…