Chapitre 3 : L'Assemblée (Partie 1/2)
Des bruits de pas résonnent à travers les couloirs. L'homme avance avec empressement. Ses cheveux argentés brillent à la lueur des chandeliers et ses iris d'or reflètent la surprise et l'appréhension. Convoqué ici même, il est arrivé il y a peu et déambule seul dans les corridors du château. Seul, il ne le restera plus très longtemps. Car s'il a été convié à venir, il doit sûrement en être de même pour les autres. Combien sont déjà arrivés à l'heure qu'il est ?
Il ne se fait pas d'illusions, il sait pertinemment pourquoi une telle réunion, qui n'avait pas eu lieu depuis des siècles, se tient en ce jour. Ce qui l'inquiète plus précisément, c'est la réaction des uns et des autres. Il les connaît, eux et leur façon de penser. Il se demande encore pourquoi il prend la peine de venir si c'est pour entendre un énième Everest d'accusations et de mépris. Il soupire longuement tandis qu'il tente de se vider la tête, de penser à autre chose. Mais rien n'y fait, son esprit est définitivement troublé.
Tout avait changé. Il l'a compris à l'instant même où cette sensation l'a envahi. Son corps entier s'était mis à vibrer, comme à nouveau en harmonie. Un sentiment qu'il n'avait plus ressenti depuis fort longtemps, et qu'il pensait éteint pour toujours. Son cœur battait comme jamais auparavant, comme si une part de son être était revenue à la vie. Et avec elle, un mauvais pressentiment.
Il arrive finalement devant les portes menant à une salle qu'il ne connaît que trop bien. Après avoir pris une longue et profonde inspiration, il les ouvre et pénètre dans un immense amphithéâtre de pierre, couvert par endroit de luxuriantes verdures. Un trou au plafond laisse entrer un doux et chaud halo de lumière qui éclaire le centre de la pièce, lui conférant une atmosphère spéciale, voire agréable pour ceux qui savent apprécier. Plusieurs personnes y sont rassemblées, parlementant entre elles ou perdues dans leurs pensées. En un coup d'œil, le jeune homme comprend qu'il est le dernier arrivé. À son entrée, tout le monde se tait subitement. C'est dans ce silence médusé qu'il descend les marches, sous les regards à la fois incrédules et suspicieux de ses pairs.
— Il est donc venu…
— Je ne pensais pas cela possible...
— Voilà qui va être intéressant...
— Beran !!!
Au milieu des messes-basses mondaines s'élève ce cri tout droit sorti du cœur. Vêtue d'une robe bleue particulièrement encombrante, la demoiselle s'élance vers lui en bousculant tout le monde sur son passage. Avant même d'arriver à sa hauteur, elle bondit pour l'entourer de ses bras..
— Oh, Beran ! Comme je suis heureuse ! s'exclame-t-elle d'une voix fluette en se serrant contre lui
— Arrête... S'il-te-plaît, arrête, tu me fais mal ! Recule !
Une expression enfantine de réalisation sur le visage, elle réfrène ses élans et s'éloigne de plusieurs pas en s'excusant, sans pour autant s'arrêter de glousser de contentement. Au même moment, une femme adossée au mur s'en détache dans un cliquetis métallique, causé par les grands anneaux d'or enserrant sa chevelure. Ses talons claquent sur le sol dans un rythme élégant tandis qu'elle s'approche, un sourire charmeur aux lèvres.
— Allons, ne lui en veux pas. Comprends-la, cela fait des siècles qu'elle ne t'a pas vu. Comme la plupart d'entre nous.
— Styr, la salue-t-il sobrement avant de répliquer, je ne suis pas en colère, j'aurais juste apprécié qu'elle se montre moins... tactile.
Les yeux de la jeune femme, d'un violet plus sombre que d'habitude, le dévisagent d'un air qu'il ne peut comprendre qu'à merveille. Malgré les années et la distance, leurs esprits restent similaires. Ils pensent tous deux à la même chose.
— Ce n'était donc pas un rêve ou une quelconque illusion, dit-il en regardant autour de lui, c'est réellement en train d'arriver.
— Il semblerait, oui. Mais comment ? Comment cela a-t-il pu se produire ? Et pourquoi maintenant, après tout ce temps ?
— Penses-tu que cela puisse être un signe ? Un nouveau départ ? Un grand changement ? Ce genre d'idioties folkloriques ?
— Compte tenu de ta présence ici, tu as déjà la réponse à cette question. Mais je ne suis sûre que d'une seule chose : cela ne plaira pas à Père.
— Et pas uniquement lui... confirme Beran en observant brièvement les autres.
Des murmures s'élèvent, aidés par l'écho de la salle. Des murmures surpris, songeurs, indignés.
— Je n'aime pas ça, avoue-t-il à mi-voix.
— J'ai un mauvais pressentiment. Pourquoi a-t-il fallu que cela arrive aujourd'hui ?
— Que veux-tu dire par-là ?
Les grandes portes s'ouvrent à nouveau, dévoilant un homme légèrement plus âgé, vêtu d'un kimono rouge et noir. Son visage à la fois doux et sévère reflète la plus grande sérénité, accentuée par la verdoyance de ses longs cheveux. Tous se tournent vers lui, tandis que le silence prend possession de la pièce. Sans un mot, il descend l'escalier et se dirige vers le fond de l'amphithéâtre, où trône un siège dominant par sa hauteur le reste de la salle. Aussitôt, les Incarnations comprennent que leur confusion ne doit pas porter atteinte aux protocoles qu'elles suivent depuis toujours, et se séparent pour prendre place sur divers bancs de pierre selon une répartition bien définie.
La partie gauche de la tribune est dédiée aux signes d'Automne et d'Hiver, tandis que la partie droite accueille ceux de Printemps et d'Été. Chaque rang est espacé d'une certaine distance, car s'il y a une chose que même les Dieux des Étoiles ont tendance à oublier, ou plutôt, à ignorer, parfois jusqu'à l'abus, c'est qu'ils ne peuvent pas rester proches les uns des autres très longtemps. Dans certains cas, la proximité ne dure pas plus de quelques secondes. C'est triste, mais c'est comme ça : leur intégrité physique en dépend. C'est donc à la partie droite Beran va s'asseoir, tandis que Styr rejoint le côté opposé. Peu à peu, chaque siège finit par recevoir son propriétaire, à l'exception du rang de l'Hiver qui en compte deux vides. Et l'un d'eux appartient à celle qui en ce jour occupe tous les esprits, celle qui en ce jour occupe le cœur d'Ophiuchus du Serpentaire au moment où il se lève, prêt à entamer son discours :
— Mes enfants. J'ai ressenti ce que vous avez ressenti. Je sais ce que cela implique. Après cinq-cents ans d'absence, son aura s'est réveillée. La dixième constellation, autrefois disparue, brille à nouveau parmi les étoiles. L'Incarnation du Capricorne... votre sœur, ma fille... Kozoro est revenue parmi les divins.
Une telle nouvelle devrait réjouir l'assemblée, mais le silence pesant et les visages sombres indiquent au maître de la treizième constellation qu'il n'en est rien.
— Je sais ce que vous pensez. Je sais que la rancœur occupe toujours vos êtres. Mais je vous en prie, abandonnez-la. Pardonnez votre sœur. Elle a fait une erreur, et elle en a payé le prix. Trop de temps s'est écoulé sans son soutien. Ce qui est en train de se produire est une seconde chance, nous devons la saisir ! Les futilités passées importent peu désormais.
Une jeune femme aux yeux fermés hoche la tête en désapprobation, et lui répond avec une once de dégoût dans la voix :
— Si par « futilités passées » vous voulez parler de sa tentative de meurtre à votre encontre, alors je refuse de lui pardonner, Père. Je ne pense même pas pouvoir en être capable un jour. C'est au-dessus de mes forces !
— Panna a raison, intervient un homme assis en tailleur, elle ne mérite pas votre pardon, ni le mien, ni le nôtre à tous.
— Elle a trahi notre famille ce jour-là... alors comment pouvez-vous être sûr qu'elle ne recommencera pas ? renchérit la première en serrant les poings.
À nouveau les voix s'élèvent, exprimant chacune l'indignation, l'appréhension et le mépris, au grand dam d'Ophiuchus.
— Mes enfants, je vous en prie, calmez-vous ! Kozoro n'a jamais été une mauvaise personne, et vous le savez pertinemment. Elle a seulement... fait une erreur. Je regrette toujours ce qui est arrivé.
— Vous n'aviez pas le choix, s'adoucit Panna, il fallait vous défendre. Il valait mieux la perdre elle, que vous perdre vous. Sans vous, notre monde, le monde des humains, la galaxie toute entière serait dévorée par le Néant.
— Et sans elle, la Barrière s'affaiblit. C'est ce qui se passe à chaque instant depuis cinq-cents ans, parce que le vide laissé par la mort du Capricorne ne peut pas être comblé. Nous avons beau essayer, puiser dans nos propres ressources pour offrir à la Barrière l'énergie qui lui manque, c'est un fait. Si nous persistons dans cette voie, c'est le Néant qui l'emportera, chacun d'entre vous en est aussi conscient que moi. Tous nos efforts auront été vains. C'est ensemble que nous sommes forts ! Nous avons tous un rôle à jouer dans la protection de l'Univers. Tous. C'est ainsi que nous avons été créés, et c'est ainsi que nous devons rester.
Devant les regards sceptiques, le Dieu du Serpentaire soupire longuement avant de continuer.
— La Kozoro qui m'a attaqué n'est plus. Une nouvelle Kozoro est née, libre de l'emprise des machinations des humains. Dans chaque société, chaque peuple, il y aura toujours des fruits pourris, même parmi nous. Mais votre sœur aimait trop l'Humanité pour le voir, c'était là sa seule faiblesse. Ceux qui l'ont retournée contre nous étaient mauvais, habiles et vicieux. Ils ont trouvé le moyen de faire de son amour une arme de guerre. Je ne peux pas la blâmer d'être tombée dans leur piège, et vous ne devriez pas non plus. Nous n'avons pas le droit de la priver plus longtemps des siens ! En dépit de ce qu'elle a fait, elle est ma fille, et je l'aimerai toujours.
— Et s'il lui prenait l'envie de recommencer ? De nous trahir une fois de plus ? Comment pouvez-vous nous assurer que nous serons en sécurité avec elle ? lance d'une voix forte la voisine de Beran, une femme à la peau sombre et d'une taille imposante.
— Je le peux, pour une raison simple que vous semblez tous avoir oubliée, tant vous vous perdez en conjectures : elle n'a plus aucun souvenir de son ancienne vie. Et tant mieux ! Ainsi, elle n'aura pas à rougir de ses actes passés, car ces actes sont l'œuvre d'une autre personne. Ouvrons-lui nos bras, montrons-lui que nous sommes présents pour elle. Si elle a fini par céder aux plans des humains, c'est parce qu'à un moment ou à un autre, elle a perdu foi en nous... et j'en suis profondément attristé. Ce genre de choses ne devrait jamais arriver, encore moins aux Incarnations. Regagnons sa confiance, et à cet instant seulement nous redeviendrons forts, unis, la famille que nous étions autrefois, que nous aurions dû rester... que je voudrais que nous redevenions.
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