La décision
- Nous devons en parler au plus vite au Conseil, cette trouvaille va révolutionner le monde de la science ! s’exclama l’homme aux cheveux noirs, debout face à ses compagnons. Ils étaient en tout au nombre de trois, mais l’un d’entre eux secouait la tête en toute désapprobation. Cette mystérieuse découverte n’était assurément pas une simple affaire, comme on pouvait le croire. C’est alors que le dernier homme, sortant dans l’ombre, s’avança pour soutenir l’enthousiasme du ténébreux. Son ton avait l’air assuré et confiant, et il prononça ces paroles pleines d’ambition, à voix basse telle une confession:
- Allez ! Non seulement on augmentera l’espérance de vie humaine, mais on sera aussi connu comme des sauveurs. Nous serons tellement riches que nous deviendrons des dieux pour l'humanité toute entière !
Le destinataire de cette révélation le regarda dès lors d’un air mauvais, étant à la fois épris de stupéfaction et de dégoût. Comment osait-il penser de la sorte ? se dit-il.
- Ne dis pas n’importe quoi ! Si nous faisons cela, c’est pour l’avenir de l’humanité, et non pour notre gloire ! Nous sommes parfaitement conscients que nous n'avons aucun droit de faire de telles choses… On n'a aucune chance ! rétorqua le scientifique.
Cette exclamation pleine de vérité, cette fois-ci, valut un regard abattu deux hommes. Il est vrai que cette façon de penser, aussi bien égoïste soit-elle, n’était sûrement pas digne d'un chercheur qui avait travaillé la moitié de sa vie à l’expansion de la durée de vie humaine.
- Vous devriez avoir honte ! renforça-t-il son propos afin de les raisonner. Et leurs yeux ne manquèrent de s’écarquiller, tous deux surpris par le ton réprobateur qu’il employa contre eux. Il est clair que ce n’était pas habituel pour lui de hausser la voix, et ainsi juger ses amis. Cependant, l’homme aux cheveux noirs paraissait plus féroce que celui qui précédemment s’était adressé à leur opposant. Il regarda le scientifique avec défiance de ce fait, tandis que l’autre, plus docile, tenta une nouvelle fois de le convaincre. Ce dernier appuya le pas vers l'indécis calmement. Dès lors, se rapprochant de lui, il posa sa main lentement sur son épaule en signe d’amitié, afin que le scientifique se remémore toutes ces années de collaboration et de soutien mutuel au sein de la même équipe, et dit:
- Je sais que nous ne devons point agir ainsi. Mais Roberto, s’il advenait un jour que ton propre enfant soit atteint d’une maladie grave ou incurable, ne serais-tu pas heureux de savoir qu’il pourra guérir immédiatement et durablement ? De plus, notre gloire ne sera que la récompense de notre dur labeur. N’est-ce pas juste ? Le monde n’aura jamais fini de nous remercier ! acheva-t-il sa dernière tentative, finalement, sans que ses efforts ne se révèlent vains. Pour tout avouer, le scientifique semblait réfléchir longuement, ainsi absorbé par les paroles de ce dernier. Elles ne l’avaient laissées insensible au passage.
En réalité, les trois scientifiques se trouvaient dans une pièce isolée des laboratoires de leur centre de recherche. Seul le bruit d’un robinet mal fermé retentissait dans la salle toute entière, et seule une lampe électrique éclairait uniquement le coin sombre de leur discussion nocturne. C'était alors un rendez-vous dans le secret des dieux.
‘ Personne n’est au courant de ce qui se passe ’
Et non loin, on pouvait apercevoir une chose de couleur étrange qu’on n’aurait su exactement déterminer. Renfermée dans une boîte hermétique et transparente, elle était indéniablement vivante et mouvante. Parfois, elle s’agitait et bougeait même d’un point à un autre. Elle voulait s’échapper, se libérer afin de se répandre tout le long de son cheminement. Seuls les scientifiques étaient témoins de ce spectacle totalement inédit.
- Mais cette chose peut être dangereuse... finit l’homme par répondre d’un air craintif, commençant à se débiner. Cependant, il fut aussitôt coupé dans son esquive par le premier homme au caractère bien trempé.
- Roberto ! l'interpela-t-il furieusement. Toi qui as vu tant de choses dans ta vie, aurais-tu peur ? Durant notre carrière, nous avons tous appris que prendre des risques est ici la seule clé de la véritable réussite. Ne pas l’exploiter, dit-il en montrant la substance du doigt, ne serait que sottise ! Je prends cette contestation comme un retour à la case départ, ainsi qu’une insulte de nous en arrêter là ! énnonça-t-il tout en dissimulant tant bien que mal son agacement. Évidemment, il ne fallait surtout pas qu’ils se fassent repérer par de simples éclats de voix. Calmer la situation était primordial.
- Tu sais Roberto, intervint le gentil homme, on y arrivera pas sans toi. Tu es l’un des meilleurs éléments dans cette institution de recherches. Il faut tenter le coup, et cette chance ne se présentera pas une deuxième fois dans notre vie. Alors, es-tu avec nous ? demanda-t-il en prenant une légère bouffée d’air.
- Ou contre nous ? lâcha l’autre scientifique comme dernière alternative. Cette fois-ci, le regard des deux scientifiques était bien déterminé.
En tout état de cause, que pouvaient-ils bien faire de cette chose ? S’ils l’avaient jetée quelque part, d’autres la retrouveraient à coup sûr et mèneraient les expériences qu’ils auraient, eux, renoncées de pratiquer. C’était du pareil au même. Cette substance semblait indestructible et résistante à toute épreuve. C’était alors de l’absurdité pure et simple.
Roberto était totalement conscient de cette éventualité. Il baissa les yeux sous le poids des paroles de ses deux partenaires. Toutefois, à leur grand étonnement au bout d’un long silence, il les releva avec plus d’intensité: tout était enfin décidé.
- Très bien ! Je vous fais confiance. Et ensemble…, faisant face à l’objet en question sans hésitation, nous arriverons à la dompter !
Et cette phrase valut le sourire triomphant de ses deux compagnons:
“ Nous réussirons, oui ! ”
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