Chapitre 4

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Ben Cocks – « Curiosity »

Les volets étant fermés et les lumières éteintes, la chambre de Ronan était plongée dans le noir. Dans l’obscurité, il était difficile de discerner le contour des meubles : les murs, la commode, la table de chevet et les draps, tous blancs, se fondaient avec les ombres. Quelques dinosaures en plastique traînaient sur la moquette, près du coffre à jouets, et un cartable était posé dans un coin, oublié depuis la fin des classes.

Une petite lumière chaude s’échappait des portes en persiennes du placard situé au fond de la pièce, comme un accès vers un autre univers. À l’intérieur, adossée au mur, Avril écoutait la musique que le vieux lecteur CD du père Mathieu déversait dans son oreille gauche. Collé contre elle, Ronan tenait l’autre écouteur, trop grand pour sa petite oreille, afin de ne pas perdre une miette du morceau. La guirlande lumineuse accrochée au mur illuminait juste comme il le fallait le petit espace, révélant les nombreuses images qui recouvraient la moindre parcelle de peinture. Une carte du monde, une image de Neil Armstrong sur la lune, une vieille carte postale de la ville, une photo de chats, la planète Terre, des coloriages, des publicités : n’importe quoi pouvait faire office de décoration.

Les écouteurs grésillant crachèrent les dernières paroles de la chanson, mettant fin à l’habituelle écoute du soir. Avril les débrancha, rangea le CD dans sa boîte et le posa sur ceux récupérés dans le grenier du père Mathieu. Ronan se serra un peu plus contre sa sœur et ils restèrent silencieux, les yeux dans le vide. Contre son menton, Avril sentait les cheveux encore humides du petit garçon.

Ils étaient rentrés sous la pluie et avaient foncés prendre une douche chaude dès leur arrivée. Après avoir joué un petit moment avec Ronan, Avril avait aidé sa mère à préparer le dîner. Elles avaient brièvement échangé quelques mots avant que la conversation ne s’essouffle. Comme chaque soir, Avril appréhendait son retour, ignorant de quelle humeur Il serait. Elle espérait toujours voir cet homme doux et aimant passer la porte, celui qui la portait sur ses épaules quand elle était petite ou qui construisait des maisons en Lego pour Ronan. Elle aimait cet homme. Mais sa colère n’était jamais loin. Parfois, elle passait la porte avec Lui et emplissait toute la pièce. Avril savait alors qu’elle finirait par en subir les dommages, quoiqu’il arrive. Parfois, cette colère se cachait dans un recoin et attendait le bon moment pour surgir. Encore une fois, c’est sur Avril qu’elle tombait. D’autres fois, plus rares maintenant, c’était sur Isabelle. Mais cette dernière avait tellement appris à ne plus faire de bruit qu’elle se fondait dans le décor, même ses enfants peinaient à l’entrevoir.

Après un repas qui s’était finalement déroulé dans une atmosphère légère, sans peur ni douleur, Avril avait fait la vaisselle avant de rejoindre son frère dans leur petite bulle.

— On ira les voir ? demanda Ronan, son doudou serré contre lui.

— Qui ça ?

— Les gens de la maison aux lanternes.

— Je ne sais pas, avoua Avril en soupirant.

— Ils sont gentils. Je les aime bien. Y en a un, il a un nom rigolo !

— Hippolyte ?

— Oui ! Ça ressemble à l’oiseau dont tu m’as parlé aujourd’hui, le trapéziste.

— Le troglodyte.

— Oui, c’est ça.

Avril ne savait pas quoi penser de cette rencontre. Ils semblaient gentils, bien qu’Etienne la mette mal à l’aise, mais elle avait toujours été intimidée en présence de personnes qu’elle ne connaissait pas. Elle n’avait aucune envie de retourner là-bas, faire connaissance, faire la discussion, faire des efforts. Sourire. Elle avait peur.

— Bon, c’est l’heure d’aller se coucher. Tu me parles d’un rêve ? murmura la jeune femme.

Chaque soir, avant de coucher Ronan, Avril lui demandait de lui raconter quelque chose qu’il aimerait faire dans sa vie, comme aller dans l’espace, voir des kangourous, faire le tour du monde, voler en montgolfière. La liste était longue. Avril voulait s’assurer que Ronan n’oublie pas ses rêves d’enfant, elle veillait à ce qu’ils ne s’éteignent jamais.

— Je veux voir la mer. Je veux grimper sur les rochers, faire des châteaux de sable et du cerf-volant.

Avril leva les yeux et regarda le pan de mur qui se trouvait face à eux, entièrement recouvert de photos de la mer récupérées dans des magazines ou imprimées sur des cartes postales.

— Un jour, on ira tous les deux à la plage, on marchera dans l’eau, on ramassera des coquillages et on cherchera les plus beaux galets, murmura-t-elle, sa bouche contre l’oreille de Ronan.

— Tu promets ?

— Oui, répondit-elle en le serrant un peu plus fort.

Ronan lui rendit son étreinte et ils restèrent dans les bras l’un de l’autre pendant quelques minutes. Avril aimait sentir ce petit corps plein de vie contre le sien, morne et fatigué. Elle finit par s’écarter en annonçant qu’il était temps de dormir. Ils sortirent du placard après avoir débranché la guirlande et Ronan se glissa sous ses couvertures, tenant Renard, son vieux doudou, contre lui. Avril alluma la lampe de chevet et attrapa l’exemplaire du Petit prince corné et décoloré tant il avait été lu et relu. Chaque soir, Avril lisait un chapitre à Ronan, et lorsqu’ils parvenaient à la fin, ils le recommençaient encore et encore, tant et si bien qu’elle était maintenant capable de réciter l’histoire sans lire le texte.

— Alors, où en étions-nous ?

— Il va arriver sur la Terre.

— Ah oui. Alors. « La septième planète fut donc la Terre. La Terre n’est pas une planète quelconque ! On y compte cent onze rois (en n’oubliant pas, bien sûr, les rois nègres), sept mille géographes, neuf cent mille businessmen, sept millions et demi d’ivrognes, trois cent onze millions de vaniteux, c’est-à-dire environ deux milliards de grandes personnes… »

Les paupières de Ronan s’alourdirent au fil des mots. À la fin du court chapitre, Avril referma le livre et embrassa son frère sur le front.

— Je t’aime, dit-elle.

— Jusqu’à la lune, ajouta-t-il à moitié endormi.

Avril sortit de la pièce et ferma doucement la porte. Le couloir était faiblement éclairé par la lumière de la télévision en provenance du salon. N’y prêtant pas attention, elle alla se coucher à son tour, exténuée par les émotions de la journée.

Plus tard dans la nuit, alors qu’elle dormait, la porte de sa chambre s’ouvrit doucement et se referma silencieusement. Les draps se soulevèrent, un corps se colla contre le sien et une main se glissa sous son t-shirt.

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