Chapitre 11
Oh Wonder – « All We Do »
La table du petit déjeuner était recouverte de confitures, viennoiseries, crêpes, tartines grillées, céréales et fruits frais. Hippolyte mangeait ses œufs brouillés pendant que Tim étalait du beurre sur une crêpe. Etienne écrasa des oranges afin d’en faire un jus rapidement avalé par Ronan. Avril ne savait plus où donner de la tête avec toutes ces assiettes qui passaient d’un bout à l’autre de la table. Quand l’un récupérait le sucre, un autre demandait une cuillère, ne laissant jamais le silence s’installer. Le repas matinal ressemblait à un goûter d’anniversaire jovial.
— T’es pas réveillée ? demanda Ronan à Raphaëlle qui somnolait encore, la tête sur l’épaule de son petit-ami.
— Le môme, t’as toujours pas compris qu’il ne faut pas me parler tant que j’ai pas pris ma douche ?
— Va te laver alors ! déclara le petit garçon, provoquant les rires de la tablée.
— T’es malin. Pour la peine, tu peux manger mes céréales multicolores si tu veux, proposa Raphaëlle en lui tendant son bol.
— Oui ! Merci !
Une fois le repas terminé, ils débarrassèrent et Raphaëlle monta se doucher. Ronan sortit derrière la maison pour jouer avec Bidouille après s’être habillé et Avril s’assit sur les marches de la véranda pour le surveiller. Elle se sentait apaisée, comme si elle était à sa place, à moins que ce ne soit les effets du rire de son petit frère, accompagné du chant des oiseaux. L’idée de rentrer chez elle le soir-même ne l’enchantait guère. Ce n’était pas la première fois qu’ils passaient la nuit à la maison aux lanternes et le retour à la réalité s’était toujours avéré difficile. Mais cette fois, elle ignorait si elle reviendrait, n’ayant toujours pas osé demander à ses amis s’ils s’étaient décidés pour l’anniversaire d’Hippolyte.
La jeune femme se leva en entendant Raphaëlle descendre les escaliers et lui demanda si elle pouvait utiliser la salle de bain, n’ayant pas eu le temps de se doucher la veille.
— Bien sûr ! Fais comme chez toi, répondit-elle en lui adressant un clin d’œil.
Avril monta à l’étage, laissant son frère entre les mains de son amie, et pénétra dans la salle de bain après avoir récupéré ses vêtements dans la chambre. Les vitraux projetaient des reflets colorés sur les murs couleurs vert d’eau et une baignoire sur pieds blanche se trouvait au fond de la pièce. Avril posa ses affaires sur la cuvette des toilettes et se regarda dans le miroir ovale accroché au-dessus du lavabo.
Auparavant, son reflet lui renvoyait une image terne, quelconque. Mais depuis quelques semaines, elle se surprenait à sourire, se trouvait plus … joyeuse. Pourtant, Raphaëlle la complexait, elle était si jolie et semblait si sûre d’elle. À ses côtés, Avril avait l’impression de n’être qu’un assemblage de pièces provenant de différents puzzles. Elle détourna le regard du miroir et commença à se déshabiller, se dénudant petit à petit. Elle aperçut sa peau pâle constellée de taches de rousseur et d’autres marques plus sombres qu’elle fit semblant de ne pas voir.
Alors qu’elle s’apprêtait à se glisser dans la baignoire, la porte s’ouvrit dans son dos. Elle se retourna vivement et découvrit Tim, figé, la main sur la poignée et un casque audio sur les oreilles. Effrayée, Avril attrapa la première serviette qui lui tomba sous la main et s’en recouvrit. Sortant de sa stupeur, Tim partit précipitamment en murmurant un « pardon » presque inaudible. Sans attendre, Avril traversa précipitamment la pièce et ferma le verrou à double tour avant de se laisser glisser sur le sol.
Adossée à la porte en bois, elle se maudit de ne pas avoir fermé à clefs. Elle savait pourtant à quel point il était important de s’en rappeler. Elle sentait sous ses doigts les nombreuses marques que Tim avait amplement eu le temps de voir. Les cicatrices. Certaines plus anciennes, d’autres plus récentes, parfois même pas tout à fait guéries.
Voilà, il avait vu, le mécanisme était enclenché. Avril connaissait la suite par cœur : les questions posées, les mensonges insuffisants, les regards en coin, la peur de la vérité. À chaque fois, elle se promettait de rester prudente. À chaque fois, elle baissait la garde. À chaque fois, elle finissait seule, avec une nouvelle cicatrice dans son cœur. Elle ne le supporterait pas, pas cette fois. Aujourd’hui, c’est elle qui prendrait la fuite.
Prise de panique, Avril enfila rapidement ses vêtements sans se doucher, se passa de l’eau sur le visage et sortit dans le couloir. Elle rangea le doudou de Ronan dans son sac et le ferma avant de descendre au rez-de-chaussée. Tim discutait à voix basse avec Raphaëlle dans la cuisine, ce qui renforça ses craintes. Elle mit ses chaussures et traversa la véranda sans prendre la peine de les regarder. Ronan était toujours dehors, lançant inlassablement la balle à Bidouille.
— Ronan, viens, on s’en va.
— On va au musée ? C’est pas après manger ? demanda le petit garçon.
— Non, on rentre chez nous.
— Pourquoi ? Je veux pas.
— Pose pas de questions, on rentre.
— Non !
— Tu m’obéis, le gronda Avril en l’attrapant par le bras. On rentre, un point c’est tout.
Ronan se mit à pleurer tout en suivant sa sœur à contrecœur. Ils contournèrent la maison pour récupérer le vélo attaché au pied du perron. Avril entendit des pas sur les graviers.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Raphaëlle, inquiète.
— On doit rentrer.
— Pourquoi ? On devait pas aller au musée tout à l’heure ?
— On peut pas.
Raphaëlle semblait déstabilisée par ce brusque changement d’attitude. Hippolyte les rejoignit et interrogea son frère et sa petite-amie tandis qu’Etienne les observait depuis la fenêtre du salon. Avril déposa son sac dans le panier du vélo et installa Ronan qui pleurait toujours dans son siège. Elle se dirigea ensuite vers la route sans prendre le temps de dire aurevoir à ses amis. Presque arrivée au bout du chemin, elle sentit une main lui agripper le coude, la forçant à se retourner.
— Qui t’a fait ça ? demanda Tim.
Se dégageant, Avril grimpa sur le vélo et s’éloigna le plus rapidement possible en s’efforçant d’oublier la réponse.
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