Chapitre 20
Sleeping at last – « Uranus »
Les coups de tonnerre semblaient étouffés maintenant que l’orage s’était éloigné. Allongée sur les coussins aux côtés du jeune homme, Avril écoutait sa respiration. Ils contemplaient les gouttes de pluie tomber sur la vitre de la lucarne. Elle avait perdu toute notion de temps et de lieu.
— J’ai pas envie que tu partes, murmura Tim. Je peux pas te laisser rentrer chez toi.
Avril ne dit rien. Elle se sentait bien et pouvait rester là encore des heures, mais que dirait-elle à son beau-père ? Elle ne pourra pas se cacher indéfiniment, il faudra bien qu’elle finisse par retourner chez elle. Mais plus elle attendra, plus la punition sera lourde à supporter. Non, le mieux à faire était de rentrer à l’heure prévue et de revenir un autre jour. D’ailleurs, quelle heure était-il ? Des bruits en provenance du rez-de-chaussée la tirèrent de ses pensées.
— C’est nous ! cria une voix féminine.
Sautant sur ses pieds, Avril s’empressa de descendre l’échelle et dévala les marches de l’escalier pour se retrouver nez à nez avec le trio.
— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Raphaëlle, surprise.
— Vous l’avez déposé ?! s’écria Avril en cherchant son petit frère du regard.
— Euh oui. On pensait que t’étais rentrée.
— On a pas vu l’heure passer, expliqua Tim en descendant à son tour dans l’étroit couloir.
— Qui vous a ouvert ? poursuivit Avril en attrapant son blouson.
— Ronan a dit qu’il était grand et qu’il pouvait rentrer tout seul, déclara Raphaëlle, désemparée. On a juste attendu qu’il referme la porte pour partir. C’était ouvert.
Avril se dépêcha de sortir en les bousculant pour accéder au perron. Tandis qu’elle marchait douloureusement dans la boue, Tim lui cria de monter dans le van. À peine eût elle fermé sa portière qu’il démarra en trombe et prit la direction du village. Bien que l’orage fût passé, la pluie tombait fort et rendait la route floue à travers le pare-brise. La lumière des réverbères se réfléchissait sur les gouttes, seul repère dans la nuit.
Tandis qu’elle indiquait le chemin à suivre à Tim, Avril priait pour que rien n’arrive à son petit frère. Jusqu’ici, elle avait réussi à tenir sa promesse et Ronan ne s’était jamais retrouvé seul avec son père. Jamais. Elle tenta de garder la tête froide et évita de s’attarder sur les images qui envahissaient son esprit à la perspective de ce qui pouvait lui arriver. Son être tout entier lui criait de retrouver sa moitié qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Arrivée devant chez elle, Avril sauta du van avant même qu’il ne soit complètement arrêté et courut jusqu’à la porte, sans un regard pour Tim. Elle s’arrêta après avoir franchi le seuil et tendit l’oreille. Les gémissements d’une femme lui parvenaient de la chambre parentale, accompagnés de ceux plus grossiers de son beau-père. Avril traversa le couloir pour se rendre dans la chambre de Ronan. La pièce était plongée dans l’obscurité et elle ne distinguait aucune silhouette. Elle se dirigea vers le placard et y découvrit Ronan, recroquevillé, les mains sur les oreilles et les joues inondées de larmes, portant toujours son blouson et ses chaussures.
— T’étais pas là, gémit le petit garçon entre deux sanglots. T’étais pas là.
— Je suis là maintenant. Je suis là, le rassura Avril en le prenant dans ses bras.
Elle respira profondément et emplit ses poumons de cette odeur de pomme et de pin. Une fois les pleurs de Ronan apaisés, elle s’écarta et plongea son regard dans ses yeux de givre.
— Pardonne-moi, murmura-t-elle. Je ne te laisserai plus. C’est promis.
Elle se pencha pour déposer un baiser sur son front avant d’aller récupérer Renard sur le lit.
— Tiens. Je reviens tout de suite, d’accord ?
Ronan hocha la tête et essuya la morve qui coulait de son nez avec sa manche. Avril lui tendit une paire d’écouteurs pour qu’il n’entende plus les bruits en provenance de la pièce d’à côté, alluma la guirlande pendant qu’il choisissait un CD, et ferma la porte du placard.
Une profonde fatigue l’envahit soudain et elle dut s’asseoir afin de faire le tri parmi toutes les émotions qui la submergeaient. Pendant quelques minutes, elle avait imaginé le pire. Pendant quelques minutes, elle avait cru avoir échoué. Elle comprit alors combien elle s’était trompée.
Avant Ronan, elle avait accepté, n’avait pas posé de question car rien dans les yeux de sa mère ne laissait penser qu’il faille en poser. Mais Ronan était arrivé et Avril avait eu quelque chose à protéger. Alors elle n’avait plus pensé à elle, uniquement à lui. Elle avait surveillé chaque interaction qu’Il avait avec son fils, elle avait donné tout l’amour et tous les bisous qu’elle n’avait pas eu de sa mère.
Pendant cinq ans, elle avait étouffé sa haine envers Lui, s’était pliée à ses désirs, pensant ainsi protéger son frère. Pendant cinq ans, elle avait laissé Ronan vivre en présence de son père, pensant que c’était la meilleure chose à faire. Mais elle avait fait exactement la même chose que sa mère. Bien sûr qu’il n’était pas en sécurité. Bien sûr qu’il n’était pas heureux. L’idée d’avoir cultivé un désespoir grandissant et des souvenirs éprouvants, alors qu’elle avait cru le préserver, lui tordait le cœur. L’idée d’avoir failli échouer la terrifiait. Mais elle ne serait pas toujours là. Et alors, qu’adviendra-t-il du petit garçon, seul avec l’ombre ?
Avril se rendit dans sa chambre et attrapa un sac dans son armoire pour y fourrer quelques habits. Après avoir récupéré des affaires de toilettes dans la salle de bain, elle revint dans la chambre de Ronan et attrapa des vêtements dans la commode, quelques jouets qui traînaient par terre et vida ses affaires d’école dans le sac avant de le fermer. Dans la pièce voisine, les gémissements s’intensifiaient et s’accéléraient. Comprenant que le temps viendrait rapidement à manquer, Avril prit Ronan dans ses bras avant de traverser la maison à toute vitesse pour sortir dans la nuit.
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