Chapitre 10
Peter Broderick – « And It’s Alright »
Tentant de distinguer la marche de la véranda dans la pénombre, Avril pénétra dans la maison aux lanternes. Elle s’arrêta au pied de l’escalier, réalisant que c’était peut-être la dernière fois qu’elle se retrouvait seule dans cet endroit qui lui était devenu si familier ces dernières semaines. Elle monta en gravant chaque détail dans sa mémoire.
Les marches craquèrent sous ses pieds, rompant le silence. Elle laissa sa main glisser sur la rambarde sculptée, sentant les imperfections du bois sous ses doigts. Arrivée sur le palier, elle observa le vieux fauteuil en cuir posé dans un coin, près d’une lampe en cuivre. Un grand rideau opaque dissimulait la fenêtre. Les couleurs du tapis persan s’étaient fondues dans l’obscurité de la nuit.
Avril s’engagea dans le couloir et examina chaque cadre accroché au mur. La première porte à sa gauche donnait sur une chambre dotée de deux lits simples, occupés par Etienne ainsi que Tim, qui prêtait sa chambre à Avril et Ronan pour la nuit. Une grande fenêtre sur le mur face à la porte laissait voir les ombres de la nuit. Les deux pièces du fond étaient la salle de bain et la chambre de Raphaëlle et Hippolyte.
Après avoir caressé les aspérités du papier peint fleuri, Avril pénétra dans la pièce à sa droite pour récupérer un pull dans son sac. Un lit double occupait la majeure partie de l’espace. Une commode contenait les affaires de Tim qui dormait normalement ici. De rares poils de chien étaient mélangés à la poussière, rappelant les nombreuses tentatives du chien pour monter à l’étage malgré les interdictions de ses maîtres.
Avril fit demi-tour et redescendit l’escalier pour rejoindre les autres. Elle traversa de nouveau la véranda et sortit dans la fraîcheur de la nuit. Ses amis étaient allongés sur des couvertures, les yeux rivés sur le ciel. Bidouille et Ronan, devenus les meilleurs amis du monde depuis leur rencontre tumultueuse, étaient lovés l’un contre l’autre. La jeune femme s’allongea aux côtés de son frère après avoir enfilé son pull. Le petit garçon se colla contre elle, Renard coincé sous son coude.
La nuit était claire, bien que la lune se soit éclipsée. Son absence rendait cependant les étoiles plus brillantes. Elles illuminaient le ciel, tels des milliers de petits diamants flottants dans le noir. Une chauve-souris traversait parfois la nuit, poussant un cri perçant. Mais en cette fin d’été, c’était les étoiles filantes qu’ils tentaient d’apercevoir.
Ronan en avait vu plusieurs, s’exclamant chaque fois qu’une lueur dansait dans le ciel. Etienne pointait parfois une constellation du doigt, racontant son histoire d’une voix détendue. Avril aimait le voir ainsi, reposé et sans retenue. Elle avait alors l’impression d’entrevoir sa vraie personnalité.
Ses pensées la ramenèrent en arrière, elle se souvint d’un autre été, alors qu’elle devait avoir le même âge que Ronan. Cela faisait quelques semaines qu’elle était arrivée dans ce village isolé, chez cet homme qu’elle connaissait si peu mais que sa mère semblait aimer si fort. L’été touchait également à sa fin et elle se rappelait être angoissée à l’idée de faire sa rentrée dans une nouvelle école. Son beau-père l’avait alors emmené dans le jardin et ils avaient observé la nuit, cherchant des étoiles filantes qui n’étaient jamais arrivées.
Ce soir encore, la seule chose qu’elle avait pu voir jusqu’ici était les lumières trompeuses d’un avion. Elle n’avait eu aucune occasion de faire un vœu, non pas qu’elle y croyait. En fait, elle savait qu’il était impossible qu’un souhait formulé au creux de sa tête ne puisse se concrétiser par le simple passage d’un météore.
Pourtant, bien après qu’ils soient montés se coucher, Avril ne put s’empêcher de retourner dans le jardin. Ses pieds nus frissonnèrent au contact de l’herbe fraîche. Son
t-shirt fin n’empêchait pas le froid de gagner sa peau, la faisant grelotter. Elle resta debout, immobile, comme enracinée à la terre. Ses yeux ne quittaient pas le ciel, cherchant une lueur dansante dans l’immensité étoilée.
Quand enfin une météorite traversa l’atmosphère, créant une trainée lumineuse visible durant de brèves secondes, Avril ferma les paupières et fit un vœu. Les pensées se cognaient dans sa boîte crânienne. Elle ne savait laquelle choisir. Elle opta finalement pour la simplicité et souhaita que l’été ne se termine jamais.
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