Auteur-Narrateur détaché
Sur l’avenue principale, ce matin-là, tout paraissait étrangement calme, comme si rien ne pouvait laisser présager des événements à venir. La foule, elle, arriva de nulle part et de partout à la fois ; elle s’engouffrait dans l’avenue comme un flot torrentiel ininterrompu, balayant, frénétique, les murs blanchis du centre-ville. À l’avant-garde, une sombre écume déferlait sur le bitume, opiniâtre et enflammée. Son avancée était fulgurante et, une à une, toutes les digues cédèrent. Submergés, les chiens de garde abandonnèrent le front – ne sachant pas nager : il y avait péril en la demeure. Ensemble, l’inarrêtable tsunami humain s’avançait dans les terres qui lui avait été confisquées, récupérant une à une ses possessions légitimes. Il s’élevait alors dans les airs un parfum de triomphe : les chants tumultueux des vagues faisaient cortège à la fureur collective – qui gonfler sans cesse. Tout ce qui n’était pas assez solidement fixé fut emporté par le roulis du sable. Devant le navire d’une thalassocratie à écoper, la déferlante ne tarda guère à rompre les bricolages qui l’avaient maintenue jusqu’alors à flot. Quelques canons tonnèrent, tentant en vain de rompre la dureté du raz-de-marée : un nouveau flux fit rougir alors l’herbe du jardin élyséen. Grondant de colère, la foule ne tarda guère à trouver le capitaine, recroquevillé et bien seul, dans sa cabine pimpante. À bout de force, il fut emporté dans les abîmes.
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