Ulberth
-Debout, Mikhail ! Debout ! Le jour ne va pas tarder à se lever. Il faut qu'on parte maintenant, si on veut revenir avant que nos parents se réveillent.
Le petit Mikhail se levait doucement de son lit. Pendant ce temps, sa grande sœur, Abigail, chapardait de la nourriture qu'elle fourrait dans son sac alors que les parents dormaient.
Le village était encore plongé dans le noir et les premiers rayons de soleil allaient darder sous peu. Sans bruit, les deux enfants quittèrent la maisonnette, pour s'aventurer dans les bois, lieu interdit par les anciens du village.
L'endroit n'avait pourtant rien d'effrayant. Une forêt on ne peut plus ordinaire, aux premiers abords. Mais plus ils s'y enfonçaient, plus celle-ci devenait touffue, sombre, inquiétante. À ce moment de la journée, le soleil devait être assez haut et aurait dû commencer à diffuser sa lumière réconfortante, mais les branches et les feuilles des arbres filtraient les rayons. Mikhail commençait à avoir peur, à l'inverse de sa sœur qui semblait gaie comme un pinson au fur et à mesure qu'ils s'enfonçaient dans ces bois.
Ils finirent par arriver devant une cabane aux planches pourries. Le lierre grimpait jusqu'au toit et une forte puanteur indescriptible s'en échappait... Aucune chance qu'une personne saine d'esprit puisse vivre dans cette ruine. On aurait dit qu'elle était abandonnée depuis des années.
Cela n'empêcha pas Abigail de toquer à la porte, toujours aussi rayonnante comme si de rien n'était. Pas de réponse. Ce qui rassura un peu Mikhail, en son for intérieur. Si quelqu'un vivait vraiment ici, il s'imaginait que ce devait être une personne effrayante ou qui n'aimait pas vivre avec les autres. Après tout, cette personne vivait dans une cabane dans les bois. Personne aux alentours pour l'embêter.
Mikhail tremblait de plus en plus et l'attitude de sa sœur n'arrangeait rien. Elle se mit à cogner violemment contre la porte quand elle n'obtint aucunes réponses. Toujours rien. Mikhail n'arrêtait pas de trembler, effrayé par cet endroit isolé encore plongé dans la pénombre. Il en vint à se demander s'il était normal qu'il fasse si noir, alors que le jour devait être bien levé maintenant.
-Abigail ! J'ai peur... Viens, on rentre ! lui souffla-t-il tout en reculant un peu.
-Arrête, tu n'es plus un bébé ! lança Abigail en frappant de plus en plus fort à la porte. On a promis qu'on viendrait donner à manger à Ulberth ! Tu es toujours son ami, non ?
-Mais j'ai jamais vu Ulberth. C'est toi qui m'as demandé si je voulais un nouvel ami...
Rien que les ululements des hiboux suffisaient à faire sursauter de terreur le pauvre petit. Il accourut vers sa sœur aînée et lui tira frénétiquement sa robe, alors qu'elle continuait à taper contre la porte.
-Viens, on rentre ! suppliait-il en tirant sur sa robe, manquant presque de la lui déchirer.
Abigail se retourna et poussa subitement son petit frère, qui tomba en arrière dans l'herbe haute humide. Elle se mit ensuite à le frapper avec rage.
-T'as promis ! T'as promis, morveux ! hurla-t-elle. T'as promis de lui apporter à manger ! Tu veux plus, hein ? Tu veux te défiler, comme tous les autres !
-Aïe ! Arrête ! Je suis désolé ! Je suis désolé !
-Tu sais ce qui est arrivé aux autres ? Tu le sais ? Ulberth les a attrapés ! Et ils ne sont jamais revenus ! Tu ne veux plus jamais revenir ? C'est ça, hein ? C'est ça !
-Abigail ! Arrête !
Elle le frappa encore et encore, de plus en plus fort. Mikhail demandait pardon, suppliait qu'elle arrête de le frapper. Il tenta même de fuir en rampant, mais en vain. Sa sœur en furie était trop forte pour lui. Elle continuait à le frapper comme si plus rien d'autre ne comptait à cet instant. Ce qui avait commencé avec des claques continuait maintenant avec des poings. Tout ce qu'elle voulait à présent, c'était lui faire du mal. Mikhail pleurait sous les coups et prévint sa sœur qu'il avait l'intention de tout rapporter à leur mère. Mais Abigail n'écoutait pas. Elle ne l'écoutait plus. Prise dans sa furie et entre deux jurons envers son frère, elle frappait encore et encore, toujours plus fort.
Mais au bout d'un moment, il semblait que le frapper avec ses poings ne lui suffisait plus. Elle finit même par se saisir d'une pierre et lui fracassa le crâne avec.
Elle frappa une fois, deux fois, trois fois...
Le sang de Mikhail s'infiltrait dans le sol et imprégnait l'herbe. Il ne bougeait plus. Il ne respirait plus. Abigail reprenait doucement son souffle, tandis qu'elle jetait la pierre couverte du sang de son frère, et le contempla, comme satisfaite de son œuvre.
Un grognement sonore venant de la cabane résonna. Les oiseaux s'agitaient dans la forêt et s'envolaient au fur et à mesure que les grognements gagnaient en puissance. La cabane dans les bois se mit à trembler, les grognements se rapprochaient, accompagnés de pas lourds. Quelque chose de massif se déplaçait à l'intérieur. La cabane ne tremblait plus. La porte s'ouvrit lentement. Une grande main, entièrement velue, se posa sur la porte. Des griffes s'enfonçaient dans le bois. Deux lueurs rouges inquiétantes demeuraient dans une obscurité surnaturelle, à l'intérieur de la cabane. La chose grognait de nouveau et fixer les deux petits êtres près de sa demeure. Abigail lui offrit son plus beau sourire.
-Bonjour, Ulberth. Je t'apporte de quoi manger. Il a la peau sur les os, comparé aux autres. Alors, j'ai aussi pris de la nourriture à mes parents, lui dit-elle en posant le sac en toile à côté du corps sans vie de son petit frère.
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