Pour la gloire

8 minutes de lecture

Notre tour est venu. Les soldats nous donnent les armes qui nous serviront durant ce qui sera peut-être notre ultime bataille. Ces hommes... Dire qu'il y a à peine quelques jours, nous combattions encore côte-à-côte. À présent, moi et mes hommes sommes là, avec ces prisonniers, des rebuts comme nous les appelions, condamnés à combattre pour espérer vivre une journée de plus.

Je ne regrette rien. J'ai fait ce qui été juste, qu'importe que cela fasse de moi un traître aux yeux de l'Empire. J'étais prêt à en assumer l'entière responsabilité, seul, mais mes hommes me sont restés loyaux et ils en payent le prix. Même si, au fond de moi, je les remercie...

Alors que j'enfile de cette vieille armure en cuir usée, je regarde mes braves compagnons. Déchus mais fidèles, ils m'accompagneront donc sur un nouveau champ de bataille.

J'observe les autres prisonniers. Certains semblent avoir soif de sang ou pensent pouvoir s'enivrer de cet affrontement. D'autres tremblent de la tête aux pieds, convaincus qu'ils n'en sortiront pas vivant de l'arène.

En comptant tout le monde, je dirais que nous sommes une cinquantaine. Cinquante potentiels morts en marche.

J'entends nos geôliers nous dire que c'est l'heure. Je range le glaive qu'on m'a donné et j'attrape un bouclier qui traîne avant d'ouvrir la voie pour tous.

On nous a emmenés devant une grande grille. De l'autre côté, l'arène et son public qui réclame du sang et du spectacle. Les cadavres des précédents gladiateurs et des créatures venues des quatre coins de l'Empire gisent encore sur le sable orangé. La foule cris de joie à l'annonce de l'arrivée de la chair fraîche.

-Capitaine Aventus !

L'un de mes hommes pose sa main sur mon épaule.

-Sachez que ce fut un honneur d'avoir combattu sous vos ordres.

-Moi de même, soldat.

Je me tourne vers mes hommes et les regarde, empli de fierté.

-Montrons-leur comment nous allons vaincre ! ai-je crié.

Tous en chœur, ces anciens soldas poussent notre cri de guerre en signe d'approbation. Les autres gladiateurs rigolent de nous mais nous ne nous en préoccupons pas.

La grille s'ouvre. Le temps est venu.

Nous entrons dans l'arène d'un pas assuré, sous les applaudissements de centaines de spectateurs présents dans le colisée, heureux de voir le bétail se diriger vers l'abattoir. Dire que j'étais parmi eux, avant.

Je lève les yeux vers la tribune et j'aperçois l'Empereur et ses yeux d'un rouge écarlate qui inspirent la crainte aussi bien auprès de ses ennemis que de ses sujets. L'Empereur... L'incarnation du divin... Et nous sommes là, prêts à mourir, pour divertir l'être que le peuple a déifié.

La foule hurle de joie quand les jeux commencent.

Les grilles face à nous s'ouvrent lentement. Des bruits de pas lourds se font entendre, accompagnés de grognements bestiaux. J'aperçois alors ce que nous allons combattre sortir de l'ombre : une créature haute de deux mètres avec des cornes aiguisés, prêtes à nous empaler sans pitié. Hurlant de toute ses forces, il fut vite rejoint par l'un de ses congénères. Les soldats leur amènent de gigantesques armes sur un grand chariot : un marteau de guerre et une épée à deux mains. J'entends des voix derrière moi dirent que nous sommes morts.

Les monstres saisissent leurs armes, les soldats quittent l'arène au pas de course, nous nous préparons au combat. Le monstre avec le marteau de guerre décidé d'ouvrir les hostilités et fonce sur nous. La peur en moi grandit en voyant cette monstruosité se précipiter dans notre direction. Mais en rien elle n'égale l'excitation que je ressens à l'idée d'abattre cette chose.

-Pour la gloire ! ai-je hurlé.

C'est mots... Je les hurlais pour annoncer à mes hommes qu'il était temps de charger. Ces mots que je répète pour ce qui pourrait être notre dernier assaut ensemble.

Mes hommes et moi accourons vers le monstre, qui poursuit sa charge. Nous sommes suivis par quelques-uns des autres gladiateurs, avide de sensations fortes.

Celui avec le marteau de guerre a une meilleure allonge. Je dois en prendre compte en élaborant un plan pour le mettre à bas avant que l'autre ne vienne s'en mêler. Mais je n'ai pas le temps de penser à cela. L'autre, celui avec l'épée à deux mains, l'a suivi de près dans sa course, à bondit sur ses épaules pour prendre appui puis a sauté en plein milieu de notre groupe. J'ordonne la dispersion mais trop tard. L'hécatombe débute.

D'un mouvement circulaire, il fauche bon nombre d'entre nous. Ceux qui ont réussi à y échapper se font massacrer par celui avec le marteau. Le bruit du métal brisant les os est toujours aussi atroce à entendre... Si on échappe à l'un, l'autre fait en sorte de briser nos espoirs de survie.

Les spectateurs aiment ce qu'ils voient. Qu'importe qui perd. Au final, ce sont eux les grands vainqueurs...

Je dois me concentrer. Me concentrer sur cette situation alarmante. Je dois la retourner à notre avantage. Une idée me vient. Je rassemble d'abord ceux qui reste, tandis que les deux monstres continuent leur petit massacre entre amis, entre deux rugissements bestiaux.

J'envoie la moitié d'entre nous attaquer l'un pendant que je prends la tête d'un deuxième groupe pour attaquer l'autre. Nous les blessons mais n'arrivons pas à porter de coups fatals. Ce n'est pas grave. Nous devons les épuiser, nous montrer réactif et patient. Celui avec le marteau de guerre perds patience et tournoie avec son arme pour repousser ses assaillants. Nombreux sont ceux qui tombent. Mais pour notre grande joie, il ne fait pas attention à où il frappe. La tête du marteau finit par atterrir dans la tête de son congénère, qui explose sous le choc, répandant le contenu sur le sable. Celui avec le marteau d'arme titube. Il a le tournis ! Avec ceux qui reste, nous en profitons pour le frapper de toute part avec nos armes, l'envoyant finalement au sol. Ses rugissements ont laissé place à des complaintes d'un animal agonisant. Je l'achève donc en lui enfonçant profondément mon glaive entre les deux yeux.

La foule hurle de joie devant pareil spectacle. Mes compagnons d'armes lèvent leurs armes et saluent le public. Certains piétinent les cadavres de ces monstres, fier de leur prouesse.

Mais je ne suis pas dupe. Notre Empereur ne va pas se contenter de cela. Je peux le sentir en voyant son regard. Il a encore faim.

Je le vois lever son pouce. Le public se tait de suite et retient son souffle, se demandant s'il allait accorder sa grâce ou nous condamner à mourir.

Il pointe son pouce vers le bas. La sentence est claire.

La foule exprime sa joie dans un hurlement. Le massacre continue.

Les grilles s'ouvrent de nouveau. Mais cette fois, nous n'entendons rien. Pas un bruit. La foule s'est tus de nouveau. J'essaie de distinguer ce que nous allons affronter mais je ne voie rien.

Un sifflement retenti.

Quelque chose fend l'air. J'entrevois quelque chose qui file à toute vitesse et frôle mon oreille. J'entends des cris dans mon dos. Je me retourne et vois l'un de mes camarades au sol, un épieu planté en plein milieu du torse. Je redirige mon regard vers les grilles et je les entends. Des pas lourds et métalliques.

Je vois quelque chose sortir. Un homme. Un seul. Vêtu d'une armure aussi noire que la nuit et d'un casque dissimulant son visage. Dans une main, il tient une claymore et d'une autre, une dague, toutes les deux aussi sombres que son armure. Il est dangereux ! Quelque chose au fond de moi le hurle et m'incite à faire preuve de prudence.

Mes compagnons chargent, sans prendre en compte mon avertissement. Ils se laissent diriger par la rage d'avoir perdu l'un des leurs. Imbécile ! Je leur ai pourtant appris à garder la tête froide dans ce genre de situation ! J'essaie de les rattraper mais ce que je vois m'horrifie. L'homme en armure les repousse. Il manie sa claymore, une arme à deux mains, comme s'il s'agissait d'une épée à une main. Il profite de la moindre ouverture pour frapper avec force et agilité, sans compter sa célérité. C'est impossible ! Aucun humain ne peut combattre ainsi ! Je le vois se jeter sur moi. D'un coup violent, il me désarme. L'espace d'un instant, je ne sens mes bras. Il s'apprête à me pourfendre mais l'un de mes hommes s'interpose et se fait déchirer à ma place. Un autre tente une attaque à revers mais ne réussit qu'à se faire planter par la dague. Je me jette sur mon glaive au sol et le saisit. Mais à peine cela fait, je sens la lame de sa claymore s'enfoncer dans ma jambe, faisant fi de mes protections. La douleur me fait hurler. J'ai été blessé de nombreuses fois dans ma vie et je connais la douleur d'une lame d'acier qui transperce la peau. Mais la douleur que je ressens maintenant n'a rien à voir avec tout ce que j'ai vécu.

-Capitaine !

Ceux qui restent se jettent sur mon assaillant, pendant que l'un d'eux profitent de cette distraction pour m'éloigner du combat en traînant sur le sable chaud qui s'infiltrait un peu dans ma plaie. Il me redresse et m'aide me lever. Je peine à tenir debout mais je refuse de rester au sol pendant que les autres...

L'horreur me frappe.

Le reste de mes hommes se fait tailler en morceau comme s'ils n'étaient rien face à ce surhomme. Son armure est couverte du sang de ces braves qu'il a abattu avec une facilité presque insultante pour les vétérans qu'ils étaient. Il n'y a plus que moi et un dernier compagnon qui m'aide à tenir debout.

La foule hurle « À mort ! À mort ! ». Ils chantent presque cette envie de nous voir à terre. Je ne me fais plus d'illusions sur notre sort. Un fossé trop grand nous sépare. Résigné au fond de mon cœur, je regarde le dernier qui se tient à mes côtés. Je lui souris puis je lui dit :

-Pour la gloire...

Il hoche la tête puis nous chargeons ensemble pour notre dernier assaut. Une fois à portée, nous frappons. D'un geste, l'homme à l'armure abat sa claymore et tranche en deux mon compagnon à la verticale. La lame de mon glaive rebondit sur son armure, sans l'égratigner. Il me repousse d'un coup de pied. J'atterris au sol violemment, lâchant mon arme sous le choc. J'essaie de me lever mais ma jambe me met au supplice. Je n'ai plus de force... Mon corps me fait comprendre qu'il en a assez...

L'homme en armure se tient au-dessus de moi. Il me fixe, moi, son adversaire bien inférieur. J'ignore ce à quoi il pense. Est-il satisfait de son combat ? De sa victoire ?

La foule réclame ma tête. Je les entends hurler.

Je le regarde droit dans les yeux.

-Fais ce que tu as à faire !

Il lève alors sa claymore et me la plante dans la poitrine. J'ai du mal à respirer, ma vision se trouble, la douleur m'envahit pendant que le sang et ma vie quitte mon corps...

Je n'ai pas de regrets. J'ai eu une belle mort...

Compagnons...

Attendez-moi...

Je vous rejoins...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Conteur_Idaky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0