La Kabylie outragée...
L'exilé, condamné à vivre loin de sa terre natale.
Il se prend parfois un souvenir en pleine face, sans qu'il s'y attende, comme un retour brutal de balancier.
Un brusque rappel d'une vie perdue à jamais. La mémoire, remplie de souvenirs, des souvenirs d'enfance qui le marquent pour le restant de sa vie. La mémoire, le seul lien qui attache le kabyle à sa terre qui l'a vu naître, la seule richesse qui reste au kabyle quand il a tout laissé derrière lui.
On ressent une angoisse devant la disparition des choses charmantes que l'on a vécues, que l'on a aimées et appréciées et qui ne riendront jamais. On appelle cela le progrès. Quand la poésie aura disparu, c'est que le progrès aura achevé l'homme et parachevé son imaginaire.
Je me souviens de ces chaudes nuits d'été, je revenais seul du café, c'était le mois du ramadan. Poils aux dents!
Après avoir frappé le domino pendant des heures, je me décidai enfin à rentrer à la maison, au grand dam de mes amis. Il faisait nuit noire. L’obscurité était dense. C'était une nuit sans lune. La voûte céleste offrait néanmoins son spectacle étoilé. Un ciel poudré d’étoiles comme seul le ciel de Kabylie peut offrir à un homme qui aime caresser la nuit, emmitouflé dans son burnous. Il est pauvre cet homme à qui on offre un spectacle dont il n’a que faire. C’est le spectacle qui vient au spectateur et non l’inverse. Des lucioles tourbillonnent au dessus de ma tête. Une féerie magique que je ne verrai peut être plus car l’homme est là pour polluer de sa merde ce conte de fée instantané qu’il m’est donné de savourer dans l’intimité de la nuit, un conte de fée voué à mourir inexorablement. Même le chant des cigales est condamné. L’homme est méprisable. Reste ce ciel étoilé inaccessible à l’homme, le bonheur pour un passionné d’astrologie. Ce qui n’était point mon cas. Je m’en foutais. Mon seul souci c’était mes pas que j’ajustais en fonction de la conformation du terrain. Je n'y voyais pas à un mètre. Je marchais seul, inquiet de ma solitude soudaine. L'âme inquiète, je montai au village en comptant mes pas, engoncé dans mon burnous qui me servait d'armure face à un ennemi aux milles facettes prêt à me pourfendre à la première occasion. J'étais cerné, mon imagination avait trouvé là un terrain de prédilection idéal. Quand on marche dans la nuit en Kabylie, on compte ses pas pour se distraire de l'esprit des fantômes. Le chemin rocailleux me faisait trébucher de temps à autre. Malgré tout, j'avançais, le regard fixé sur mes pas, ma lampe torche me servait de guide au milieu de cet espace nocturne dont je n'étais point le maître, j'étais sans repère. Je sentais l'hostilité de la nuit palpable. Un autre monde avait pris place. Le monde de la nuit. Autant ce monde peut être excitant, merveilleux et rassurant à Paris ou ailleurs, autant il peut être effrayant ici en milieu sauvage et montagnard. J'imaginais des tas de choses, mon esprit s'égarait dans les méandres infinis de mes réflexions farfelues sur l'existence d'esprits de la nuit qui venaient inspirer certaines vieilles femmes afin de répandre le mal autour d'elles.
La montagne jetait son ombre gigantesque autour de moi, ajoutant la crainte à l'angoisse.
Tel un monstre nocturne, cette montagne qui ne me lâchait pas d’un pouce était là derrière moi et qui semblait me suivre, imposante et sinistre.
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