La kabylie outragée
Une chaleur pesante régnait ce jour-là. Le soleil à son zénith dardait ses rayons implacables sur tout ce qui bougeait. Toute vie semblait rayée de la surface du sol. Un sol rocailleux et dénudé. Par ci, par là quelques touffes d’herbe encore vertes résistaient tant bien que mal à la fournaise qui embrasait comme l’enfer tout ce qui pointait du sol. Seules, les cigales semblaient insensibles à la chaleur du diable et chantaient, infatigables.
Bestioles agrippées toute la journée au figuier, à l’olivier, au frêne, elles semblaient exister comme pour rendre encore plus palpable cette chaleur insupportable pour les hommes, mais indispensable comme l’est également la nuit pour le grillon dont le chant répand à travers l’épaisse obscurité son appel chargé de mystères.
Haut, très haut dans le ciel bleu azur, des corbeaux formaient des cercles de leur vols clairs et limpides. Ils formaient de gracieux va-et-vient. De là ou j’étais, ce n’était que minuscules points noirs à peine perceptibles comme leur cris qui se perdaient dans l’immense espace du Djudjura.
Au bas de la montagne, un petit ruisseau s’écoulait sagement discrètement à l’abri des regards. Autrefois, la pureté de son eau ne faisait aucun doute. Mais la consommation à outrance a entamé les villages kabyles environnants les uns après les autres générant de ce fait une pollution qui a eu raison des chardonnerets aux couleurs chatoyantes qui venaient se désaltérer, des pinsons ainsi que d’une foule autochtone de crustacés.
Le village de Aït hidja est à l’image de la Kabylie. Un concentré de pauvreté. Aujourd’hui dimanche c’est jour de souk. Les hommes vont et viennent engoncés dans leur burnous. Ceux qui reviennent chargés de provision pour la semaine et ceux qui partent et font le pied de grue depuis tôt le matin, attendant un taxi, un fourgon qui les emmènerait à la ville de Bohgni, situé plus bas dans la vallée.
Il n’a pas changé le village de Aït hidja. Depuis des lustres, toujours le même aspect, le même rituel, les mêmes visages, la même misère.
La place du village. C’est là que tous les habitants se mêlent venant des autres villages alentour. Des jeunes, des vieux, ou plus rarement une femme seule ou avec sa fille. Une femme ne se déplace pas seule, ou c’est qu’elle est veuve, et pour un but bien précis. Quand une mère voyage avec sa fille, il y a de grande chance que c’est pour la marier. Une façon de la montrer en public, la sortir de l’anonymat, attirer d’éventuels prétendants.
Comme toutes les femmes, la femme kabyle est un réservoir de sagesse, de résilience face à la souffrance infligée par les hommes. Comme partout ailleurs en Algérie, ce qui frappe un étranger ou un expatrié comme moi en terre kabyle c’est bien sûr, le dénuement, la dureté des codes, mais au delà, la fierté de la terre kabyle et la bienveillance des ancêtres. Malgré le mépris du pouvoir arabo-musulman, le kabyle est toujours debout, toujours rebelle à tout ce qui peut le faire plier.
La galette, l’huile d’olive et un peu de piment et le voilà retapé pour la lutte.
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