2
— Disparue ?
Il fait un froid à vous briser les os (comme cette nuit de mars délirante). Le visage d'une fille apparaît sous la lumière d'un réverbère, blafard et grave. On jurerait qu'elle vient d'échapper à sa propre tombe.
— Ça fait deux nuits. J'ai compté.
Elle renifle bruyamment, les mains dans les poches. Frans fais un pas en arrière.
— Tu ne dis rien. (Quelque chose d'impitoyable dans sa voix.) Tu te souviens d'elle ?
— Je me souviens...
— Tu es le dernier à l'avoir vue. Elle est venue te chercher mais tu es remonté seul.
La haine au fond de ses yeux. Ça me frappe tout à coup. C'est à s'y perdre, à s'y confondre et s'y laisser consumer. Frans semble sous l'emprise de ce regard. Elle parle tout bas.
— Tu ne dis rien ?
— Je l'ai laissée au troisième étage. Elle n'arrivait plus à avancer.
— Tu l'as laissée seule ?
— C'est ce qu'elle m'a demandé. Elle m'a dit de monter, mot pour mot.
— Elle était complètement défoncée.
— Elle a insisté pour que j'y aille.
— Qu'est-ce que ça change ? (Elle commence à s'agiter.) Tu dis ça comme si ça changeait quelque chose.
Le silence est incommode. Frans se risque à poser la main sur son épaule.
— Elle a peut-être fugué...
— NE ME TOUCHE PAS.
Elle le repousse violemment. Frans trébuche et se cogne contre le pied du réverbère. Elle paraît gigantesque au-dessus de lui, les yeux exorbités, les cernes immenses.
— SI ON NE LA RETROUVE PAS, C'EST TOI, LE COUPABLE.
Elle se met à pousser des cris stridents.
— SI LA POLICE VIENT ME VOIR, JE DIRAI TON NOM, FRANS. ET JE DONNERAI TON ADRESSE.
D'un doigt rageur, elle montre son immeuble. Elle respire très fort, comme un buffle qui s'apprête à charger. Je me tourne vers Frans : blême, vidé de toute substance. Ses yeux oscillent tels la pendule d'un coucou. Réflexion subite : bien souvent, quand je l'observe, Frans n'est pas en lui-même. C'est un peu comme ausculter un mort.
— Dis-moi où elle est.
— Je ne sais pas. (Il répond machinalement.)
— Je ne te crois pas.
— Je suis désolé. Vraiment désolé.
— Va te faire foutre.
Elle tremble sur ses jambes.
— Crève.
Puis tourne les talons et disparaît.
Frans s'adosse au réverbère. Frotte ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer, regarde à gauche en direction de son immeuble, monstre de béton aux fenêtres étroites, à droite vers une rue déserte où les lampadaires s'érigent comme seuls noctambules. Il ne bouge pas. Le froid doit dévorer ses bras nus. Je décide de lui dire.
Tu devrais rentrer.
Il ne m'entend pas. Me plante devant lui.
Il fait tellement froid, tu devrais rentrer.
Mais Frans se recroqueville sur lui-même et enfouit la tête sous ses bras.
Se laisse saisir par le froid.
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