Le grand Chambellan
— Bien Piotr, Détaillez-moi le menu pour la rencontre ?
— Tout de suite Monsieur.
L’homme en livret se tenait à sa droite, assez en retrait pour ne pas le distraire de sa présence, mais assez prêt pour répondre à ces questions sans avoir à élever la voix. Son maitre d’hôtel était le genre d’homme que le Grand Chambellan apprécié ; sachant se rendre indispensable tout en gardant un sens aiguë de sa place sur l’échiquier.
— et ma place ? Se dit-il pour lui-même et laissant son regard s’arrêter sur le jeu d’échec au bord de son bureau.
Boris Godounov était peut-être celui qui avait le moins su rester à sa place, simple pion, il avait avec les années franchis chaque case pour atteindre l’autre bord du plateau, pour devenir la deuxième pièce la plus importante après le Tsar.
— Monsieur ?
— Continuez...
— Comme vous le savez la date acceptée par la famille Habsbourg pour le banquet correspond à la fête de la transfiguration. Il nous faut donc opter pour un repas de jeune afin que cette soirée soit sous les meilleurs auspices.
Auspices, bondieuserie, Boris ne se satisfaisait pas du mysticisme qui s’accroché à la peau des Russes. Ces actes de fois à géométrie variable, cette bigoterie l’avait toujours irrité. Si le mal s’est installé partout à quoi ont servie les prières de jadis ?
— Que dieu nous protège… lançât ironiquement le grand chambellan.
— Oui ! Monsieur… hésita Piotr. Le chef vous propose donc de commencer le repas par quelques mises en bouches, des tranches grillées de lard de phoque accompagné de pain d’épice ; des biscuits de la joie de Sainte Hildegarde ; il sait que Madame aime la cannelle ; Le tout accompagné d’anis et de gingembre au miel.
Il fit une pause, observant la réaction du maitre de maison. Boris releva son nez de ces papiers, aucune remarque ne lui venait à l’esprit. Il ne dit rien, juste un petit rond dessiné dans l’air du bout de son index. Cette rencontre était capitale, mais à son âge, les aliments avait perdu de leur attrait, ne laissant plus qu’une impression de gras dans sa bouche. Piotr repris son énumération.
— En second service le chef propose deux soupes, une porez de navets et pommes et une soupe à la bière. Il espérait pouvoir proposer une porez de courge, mais malgré un forçage sous cloche, les légumes n’ont pas atteint la taille adéquate.
On lui parlait jardinage, malgré le temps qu’il avait passé sur cette terre, il réalisait qu’il n’avait pas eu l’occasion de plonger ces mains dans la terre pour un plaisir aussi simple. Il reposa ces lunettes sur ces longues pages de chiffres. Lui seul savait encore ce que voulait dire cette comptabilité ; On y parlait parfois de rouble, mais le plus souvent d’âme humaine : Rapport de bataille et état des finances de l’empire allait souvent de pair.
— Tant pis pour les courges, elles grandiront et nous servirons plus tard. Continuez Piotr.
— Nous aurons en troisième service un ragout de viande de phoque, accompagné de betterave et de fenouils. Le chef propose de servir de l’hypocras en accompagnement.
Nous en étions au troisième service, seulement à mi-chemin de cette liste de victuaille
— Suivront des bernaches farcies au chou rouge et de rôtie de castor au quatrième. Enfin le chef vous propose d’achever le repas à la présentation d’un narval cuit sous la cendre, accompagné de coquille remplie d’œuf d’esturgeons et de lait d’amande pour le cinquième service
— Voilà qui devrait faire son effet sur l’assemblé germanique.
— C’est ce qu’espère le chef de cuisine, il a déjà fait aménager un trou à feu de la taille adéquate pour l’animal. Les desserts seront composés de beignet de fruit de vos jardins et de calisson. Enfin en septième service des orangeat et des pâtes de pomme épicées seront proposé avec un thé noir.
— Voilà en effet un repas de jeune ! Ironisa Boris
— Le chef a fait de son mieux pour se montrer imaginatif pour une telle occasion.
— C’est très bien, vous avez mon accord pour ce menu.
Le maître d’hôtel ne fit qu’une légère pause, mais Boris compris que l’ont passé à un sujet moins plaisant. Piotr manqué sur ce point de savoir-faire, Il ordonnait toujours ses exposés des questions les plus légères aux plus graves ; Faisait-il cela par couardise se demandait le Grand Chambellan ? Si lui-même avait fait cette erreur devant le Tsar, sa carrière de conseillé se serait achevé lors du premier conseil. Face à la frustration, la seule réaction des puissants était l’expression de leur colère.
— Monsieur, les 30 rosiers de Damas que vous désiriez pour décorer la salle de réception sont bien arrivé dans le train de chariot accompagnant la délégation diplomatique du Grand Turc. Mais…
— Ne tournais pas autour du pot, Piotr.
— Un janissaire, l’un des officiers de l’ambassadeur a bloqué la livraison des plantes. Prétextant que leur entretient depuis Istanbul aurait causé à ces hommes grand mal. Ils demandent paiement d’une compensation.
— Combien ?
— Mille roubles, soit un peu plus que le cout de la cargaison elle-même.
Serrant les dents devant l’affront ; S’imaginant la face de l’une de ces créatures sourire du raquette d’un bon chrétien ; Boris pris une profonde inspiration avant de répondre.
— Payé ! Lâchât-il sèchement.
— Mais monsieur, pour cela nous serions obligé d’ouvrir une nouvelle ligne auprès de l’un de vos bailleurs de fond. Vos finances et votre réputation risquent d’en souffrir.
— Faites le, cela n’aura bientôt plus d’importance. Vous n’êtes pas là discuter de mes décisions et je connais l’état des finances de cette maison.
— Pardonnez-moi, Grand Chambellan. Répondis blême Piotr
Être un conseillé intègre avais permis à Boris d’amasser du pouvoir, mais moins de richesses qu’il n’aurait cru. Toutefois, ceux qui avaient confondu le contenu du trésor impérial avec le fond de la bourse avait tous finis la tête dans un sac. Boris avait toujours gardé à l’esprit “Le plan” ; Et pour que ce dernier puisse advenir, il devait maitriser cette rencontre avec les Habsbourg.
— Et qu’en est-il de nos gens au sein de leur palais ?
— Nous avons quatre… Piotr s’interrompit en voyant l’indexe du Grand chambellan se lever.
Un bruit de pas se faisait entendre dans le couloir, des claquements secs et précipités qui s’arrêtèrent devant la double porte menant aux bureaux non un piétinement maladroit. Boris sourit, sachant par avance l’identité de son invité.
— Dedushka ! Fit une petite voie fluette. Puis-je entrer ?
— Entre donc Maria Fedorovitch. Piotr, faites-nous monter un thé, je vous prie.
La porte s'ouvrit à peine pour laisser la place à une jeune fille de se glisser entre les battants. Boris l’inspecte de bas en haut depuis son fauteuil. Ses petits souliers de cuir dont le bruit caractéristique l’avait avertie de son arrivée. Une robe aux couleurs estivales blanche, couverte de broderie jaune à sa base et rehausser de brocard doré autour du cou et des épaules. Un beau visage gracieux essentiellement animé par de grands yeux de biche noisette plein de vie surmonté d’un kokochnik au même couleur que les décorations de sa robe. Un beau brin de fille, capable de captiver un homme.
— Qu’est ce qui me vaut la visite de ma petite fille en ce milieu de matinée.
Boris aurait souhaité voir une descendance plus nombreuse peupler son palais, mais son fils Fedor n’avait pas eu le bonheur de voir tous ces enfants dépasser la petite enfance. Depuis la mort de sa mère Maria et son père restait ses seuls héritiers. Boris se remémorer ses discussions avec son fils, l’invitant à reprendre une épouse : elles finissaient toujours en invective et en menace ; son fils pouvait être vraiment buté.
— Nous organisons un banquet ? Demanda-t-elle, en se penchant en avant sur le bureau, le coude planté sur une pile de papier, la tête penché sur le côté appuyer sur le poing. Qu’allons-nous fêter dedushka ?
S’il n’y avait ces yeux brillants courant en tout sens, elle aurait eu l’air d’une poupée désarticulé. Une ombre passa sur le visage du Grand Boris Godounov, il avait trop vu lors de campagne des villages remplis de telle poupée mollement jeter à terre après une curée. Il chassa cette vision d’horreur au plus profond de sa mémoire. Prenant un air badin, il la regarda droit dans les yeux.
— Nous recevons une délégation des Habsbourg du Saint Empire Germanique. Nous recevons le dernier fils de feu l’empereur Ferdinand.
— Un prince cadet ! Il est donc destiné à devenir prince de l’église. Je ne vous savais pas sensible aux bondieuseries, dedushka.
— Il n’est pas du genre à ployer le genou, on le décrit plus apte sur un champ de bataille. S’il devait prendre l’habit, ce serait purement pour la forme même si c’est sa position au sein de l’ordre teutonique qui nous intéresse en premier lieu.
Le visage de Maria se figeât, son regard se fit froid et méprisant.
— Votre unique petite fille, c’est ce que je suis, je ne suis pas une caisse de pacotille que l’on échangera pour améliorer les relations diplomatiques avec un empire d’occident qui aurait été balayer sans notre soutien. Alors que des écervelés, des fin de race ont pu faire leur entré dans le monde, choisissant parmi des princes et de bon boyard russe ; Moi votre seule héritière, je serais proposé comme épouse cachée d’un futur évêque, ma descendance réduite à l’état de bâtard.
Boris admirer sa petite fille pour la maitrise dont elle faisait preuve, pas un mot ne trahissait le désespoir ou la colère. En cet instant, elle était froide, dure et capable d’entendre ces arguments.
— Ta descendance sera Habsbourg, reconnu comme héritière de titre et de privilège sur les terres du Saint Empire ; Tu recevras des terres russes en apanage du Tsar pour sceller ce mariage d’alliance ; Sans parler du fait qu’il soit assez beau garçon et qu’il soit sensible au charme des jeunes femmes russes.
— Un coureur de jupon ?
— Non, un cœur tendre qui a dû apprendre de manière bien amère qu’on ne choisit pas avec qui l’ont créé des liens quand on porte un nom.
Boris penchât sa tête en avant pour se donner l’air plus menaçant ; il était sûr de la sagacité de Maria, impossible qu’elle ne comprenne pas. Elle se redressa le menton relevé prenant la pose d’une souveraine.
— Je ne suis pas insensible à vos arguments, dedushka. Mais si ce prince mangeur de choux à ne serais ce que mauvaise haleine, vous m’excuserez par avance de l’avoir laissé choir d’un balcon du palais.
— Bien évidement ! Laissa échappé le Grand chambellan sur un air de plaisanterie, même s’il savait la menace réelle. Maria avait aussi des Skouratov par sa mamochka, une forme de fureur qui avait fait toute la renommée du premier l'Opritchniki.
— Nous nous voyons au diné de ce soir. Fit-elle en se dirigeant vers la porte sans se retourner ni attendre une réponse.
Alors qu’elle sortait, Piotr pénétrait avec un service à thé et quelques confiseries. Elle ne sembla pas y faire la moindre attention. Reposant son regard sur le jeu d’échec, Boris se demanda si nous avions là un fou ou un cavalier.
Il attendit que le maitre d’hôtel lui serve une tasse d’un thé au reflet vermillon pour poursuivre leur discutions interrompu.
— Continuez.
— Monsieur, nous avons quatre femmes de chambre dans la maison qui vienne de prendre leur service et deux garçons d’écuries déjà en place depuis un mois.
— La famille, c'est-elle bien installée ?
— Oui, monsieur, L’impératrice douairière est ravie de ce palais qui lui est prêté par le Tsar. Elle a commencé à recevoir des invités, essentiellement d’autre diplomate étranger d’importance mineur. Toutefois, une femme de chambre nous à signaler le passage d’un messager demandant audience pour la famille Cheremetiev.
Le grand chambellan eu tout le mal du monde à déglutir son thé. Il posa la tasse en réfrénant la quinte de toux qui lui serré la gorge.
— Comment osent-t-ils ? Comment une famille en disgrâce peux se présenter devant l’impératrice.
— Ils souhaitaient présenter leur princesse puinée, leur ainée étant au service du Tsar, ils ont présenté un portrait de leur seconde fille… Il semblerait d’après les commentaires de l’impératrice qu’elle ressemble fort à sa sœur.
— Laissez-moi, j’ai matière à réflexion.
— bien monsieur.
Regardant Piotr sortir, Boris sentait la rage montée, l’envie de faire voler la pile de document recouvrant son bureau. Mais lui seul aurait l’embarra de ranger ce qui était pour ces yeux seuls ;
— N’allons pas nous punir en perdant toute maîtrise de soi.
Il fallait résoudre le problème : les Cheremetiev avaient un lignage plus prestigieux qu’aucune manipulation de filiation ne pouvait effacer à la différence des Godounov. Malgré leur chute avec le prince Vladimir, le Tsar estimé qu’il avait fait pénitence, ou plutôt qu’Ania Cheremetiev avait fait pénitence. Il connaissait si bien son maitre : trouvant des justifications bibliques dans le moindre événement à la cour. Pire, il pourrait trouver la chose drôle, instructive pour Ania et pour son Grand Chambellan.
Il fallait écarter les Cheremetiev avec vigueur, salir leur réputation au-delà de toute rédemption que leur seule option soit d’aller se terrer au fin fond de l’empire. Boris avait en tête un moyen de laver l’affront, mais pas les gens pour y parvenir. Il fallait quelqu’un qu’une sale besogne ne ferrait pas reculer. Un homme dont la ruse et la cruauté été légendaire s’imposa a son esprit. Son prix sera certainement exorbitant, mais il saura faire un petit miracle. Transformer un ange en démon, lui qui de prince était devenu dragon.
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