Olympe - première partie
À l’ONU, un projet de résolution déposé par la France suscite bien des remous. Charles Soudelier, ambassadeur français auprès de l’organisation, a déposé hier une proposition visant à exclure des traités internationaux ce qu’il nomme les « toponymes présentant de graves difficultés de prononciation pour le public mondial ». Soutenu par les États-Unis, le texte a aussitôt essuyé de vives critiques des représentants islandais, indonésiens et mexicains, selon lesquels…
Comme à son habitude depuis quatre semaines, Zoltan Nagy s’était installé devant sa vieille télévision dont l’écran bombé lui renvoyait la figure sévère de Constance Vermeyren, nouvelle star des journaux télévisés. Et comme à son habitude, il jubilait : derrière les petites lunettes et le chemisier à fleurs, il s’imaginait sans peine le supplice des spécialistes en communication mis à la torture par les flèches impitoyables qu’elle décochait dans leur cœur de cible. Mais elle était inattaquable : depuis ses débuts, elle avait déjà annoncé, sans le moindre accroc, les tornades du lac Opimekoskonewinik, les coulées de lave sur les pentes du Bolshoi-Kekuknaysky ou les éboulements d’Aitzpuntatxorrotx. D’après Yves, les lettres et courriels de félicitations avaient afflué de tout le pays. Et elle faisait des émules : sur toutes les chaînes, les présentateurs vedettes laissaient la place à des visages inconnus, les faux airs enjoués ou graves cédaient aux mines un peu effrayées et à la diction soutenue de logopèdes ou de linguistes. En fin de compte, cependant, c’était elle, et elle seule, que l’on retenait pour évoquer cette nouvelle façon de présenter à la ménagère de moins de cinquante ans les nouvelles du monde.
Sur l’écran, le visage ridé avait été remplacé par les images de délégués de toutes origines qui, de leurs pupitres onusiens, semblaient prendre autant de plaisir à écorcher le nom de l’ambassadeur français que de virulence à en condamner le projet. Zoltan afficha un instant un sourire distrait, puis se rappela aux délices d’une relecture d’article et perdit le fil du sujet en cours au moment même où le représentant américain venait assurer Mister Sewdleyai de sa plus parfaite compréhension.
- Et pour terminer ce bulletin, vous me permettrez de vous faire part d’une nouvelle que mes supérieurs jugeaient sans importance…
Zoltan dressa l’oreille et, quand il leva à nouveau les yeux, ne put réfréner un tic de surprise : sur le vieux visage familier venait de fleurir, inattendu au coin de la bouche, un sourire léger, orné d’une pincée d’ironie. Tout à coup, derrière cette provocation innocente, il lui sembla sentir à quel point cette vieille dame digne représentait l’antithèse parfaite de ceux dont elle avait pris la place : ce ton mesuré, ces traits froissés et, surtout, ce sourire esquissé ne présentaient rien d’ostentatoire mais, de ce fait même, ils avaient plus de force que tous les coups de gueule de théâtre…
Zoltan écouta, curieux.
- Le temps caniculaire qui sévit en Grèce depuis deux semaines, et dont nous vous avons abondamment informés, semble connaître une curieuse exception depuis ce matin. On signale en effet que le mont Olympe, siège légendaire des dieux de la mythologie, a vu son sommet entièrement recouvert d’une épaisse brume. Quand on sait que le reste de la région profite encore d’un ciel toujours aussi obstinément bleu, il y a de quoi laisser courir son imagination. Sur ces derniers mots, je vous souhaite à chacun une excellente soirée et vous fixe rendez-vous demain soir, à la même heure, pour notre rendez-vous quotidien.
En temps normal, Zoltan éteignait la télévision aussitôt le journal terminé. Mais les dernières phrases résonnaient encore dans son esprit, et il oublia pour cette fois de barrer la route à l’intrusion de la publicité. Il ne l’écoutait pas, d’ailleurs et, comme pour donner suite à la dernière invitation de l’institutrice, il laissa un long moment glisser dans son esprit des images du mont Olympe, majestueux, drapé dans son orgueil séculaire d’une brume mystérieuse tandis que le soleil brillait alentours.
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