Olympe - deuxième partie

2 minutes de lecture

« Salut ! Grande nouvelle : pars pour Stettin au sommet ONU sur les langues ! Et toi, t’es où ? Fait longtemps sans nouvelles ! Yves »

Zoltan éteignit son gsm, un ancien et lourd modèle qu’un neveu bien intentionné lui avait offert cinq ans plus tôt : il aurait assez de temps à perdre à tenter de répondre un peu plus tard. Et il faudrait qu’il signale au passage à cet animal qu’il avait plutôt intérêt à employer l’orthographe polonaise de sa destination plutôt que l’allemande, s’il ne voulait pas froisser la susceptibilité des habitants de Szczecin. « Le sommet sur les langues »… Il avait entendu parler de l’événement au petit hôtel de Litochoro, le soir de son arrivée : une grand-messe comme les décideurs du monde les affectionnent, avec « photos de famille » et rencontres bilatérales médiatisées. Officiellement, les dirigeants des grandes puissances avaient décidé d’apaiser les tensions nées de la proposition de résolution sur les toponymes imprononçables en mettant sur pied cette conférence chargée de trouver des solutions communes à la question de l’apprentissage des langues et des idiomes menacés. Zoltan étouffa un ricanement, que seules quelques cigales entendirent peut-être, à la pensée des trésors de diplomatie qu’il avait ainsi fallu déployer pour rassembler sans vexer personne autant de chefs d’état et de gouvernement autour de ce que les journalistes appelaient maintenant la « crise du volcan islandais ». Car la question était bien là : trouver le moyen d’apaiser les tensions nées de l’incapacité à prononcer les noms des lieus où sévissaient depuis deux mois les dernières catastrophes. C’était le but, mais il était tellement grotesque qu’il avait bien fallu l’emballer dans un paquet de bons sentiments interculturels. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, on aurait presque pu accorder aux délégations réunies sur la Baltique le crédit de la sincérité : des rumeurs persistantes évoquaient des engagements fermes et concrets sur l’enseignement et la propagation de langues menacées, plusieurs grandes puissances votaient d’initiative des lois introduisant des signalisations bilingues dans les régions peuplées de minorités linguistiques… À croire que deux éruptions et trois secousses dans des lieux un peu plus exotiques avaient, seules, suffi à forcer ce que des années de militantisme culturel ou le simple bon sens n’avaient pu obtenir.

Un gros insecte passa devant le visage de Zoltan et le ramena à la conscience de ce qui l’entourait. Le petit sentier caillouteux sur lequel il esquintait ses semelles depuis quatre heures s’était soudain assombri, l’incitant à lever les yeux : il venait de passer juste sous la limite du nuage. Derrière lui, le paysage de buissons et de champs baignait toujours dans une triomphante lumière estivale. Mais il ne se retournait plus : au-dessus, un tout autre sommet l’appelait à un rendez-vous plus intime. D’un pas à nouveau résolu, il se remit en marche et traversa les premiers lambeaux de brumes, vers la sombre cime du mont Olympe.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jean-François Chaussier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0