Prologue
Les deux vans noirs aux vitres teintées glissaient dans la nuit fraîche de la province de Xinjiang. Éviter la surveillance constante du Parti n’avait pas été facile, mais les véhicules étaient officiels et l’alerte n’avait pas encore été donnée. Ils feraient le boulot, ensuite ils rouleraient probablement quelques heures vers le sud-ouest et s'immisceraient dans les montagnes du Kashmir. Après avoir brûlé les vans, personne ne le retrouverait. Des six membres du commando, trois possédaient la nationalité pakistanaise, un venait d’Afghanistan et les deux derniers étaient des Ouïghours chinois. Des années que leurs frères ouïghours étaient traités comme des chiens. L’énorme machine chinoise serait mise à genoux, ce n’était plus qu’une question de temps.
Les autoroutes chinoises étaient généralement en très bon état. Les vans ne tremblaient presque pas et le précieux cargo n’était pas trop secoué. Si une grande partie de la population chinoise vivait sous le seuil de pauvreté, les routes, elles, avaient tout d’une puissance mondiale Partis de Urumqi vers une heure du matin, Ils étaient maintenant en plein milieu du Taklamakan, sur l'autoroute du désert. Sous peu, ils bifurqueraient sur une route secondaire à travers les sables pendant une heure environ.
Ils leur fallait un endroit isolé, invisible de la route. L’Afghan, chargé de la réalisation, avait insisté pour voir des montagnes dans le décor. Après deux heures de route inconfortable, il avait décrété que cela suffisait comme ça. Les deux vans s'arrêtèrent et les hommes se mirent au travail. Ils sortirent les grilles d’un des coffres et, à trois, commencèrent à ériger la cage. Le générateur fut installé à une cinquantaine de mètres pour ne pas déranger la production. Il servait à alimenter trois spots de cinq cents Watts qui éclaireraient la scène. Deux poteaux en bois furent dressés et la grande bannière noire tendue entre eux. Le réalisateur fit quelques pas en arrière et estima que le décor était enfin prêt. Il ordonna à ses hommes de sortir le prisonnier.
Bo Liu, gouverneur de la province du Xinjiang, était avec ses subalternes au karaoké, la tête entre les seins d’une hôtesse quand ils l’avaient enlevé. Cela s’était passé très vite. Les membres du commando étaient entrés comme des clients, et s’étaient installés discrètement dans une salle privée jouxtant la pièce habituelle de Bo Liu et de son entourage. Le commando attendit ensuite une heure ou deux, en attendant que les effets de l'alcool agissent et il s'était ensuite glissé dans la salle privée du gouverneur sans frapper. Les six chinois en costume étaient tous complètement saoul, cinq prirent chacun une balle de silencieux dans la poitrine et une dans la tête. Ils n’avaient pas anticipé la présence des hôtesses. En quelques instants, la décision fut prise : témoins gênants, leurs cris risquaient d’alerter les autres: elles furent exécutées de la même manière. Les attaquants attrapèrent Liu qui n’avait même pas eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait. En quelques minutes seulement, il était couché à l’arrière du van, ligoté et bâillonné.
L’installation dans le désert était maintenant fin prête, l’un des deux ouïghours sortit la caméra et se mit à filmer. Dans l’angle de la caméra, on plaça le prisonnier dans la cage. Deux bidons d’essence furent déversés à travers les barreaux et trempèrent la salopette orange dont on avait affublé Bo Liu. On pouvait l’entendre supplier et se débattre à travers son bâillon, mais rien ne pouvait plus interrompre l'exécution du gouverneur chinois.
L’un des bourreaux sortit un briquet zippo qu’il alluma et lança à l’intérieur de la cage. Liu prit feu en un coup de vent. Il se mit d’abord à hurler de douleur et à bondir d’un bout à l’autre de la cage. On le voyait sauter et crier à la mort. Après quelque secondes, le cri se tu et Liu se mit à flotter dans les flammes. Il avait en réalité perdu sa voix, sa trachée ainsi que ses cordes vocales avait été carbonisée et ne pouvaient donc plus produire aucun son. Mais la douleur était bien là et il la ressentait comme à la première seconde. Quand il tomba enfin à genoux sa graisse enflammée dégoulinant sur le sable, la caméra bifurqua sur l’autre star de la vidéo, L’Afghan, qui déclama son monologue.
De Abdullah, le serviteur d’Allah, à Xi Jinping, le dirigeant des infidèles. J’ai exécuté un de tes chiens de l'enfer qui a osé rabaisser Muhammad, calme ses semblables avant qu’on ne vous inflige un dur châtiment. Nous avons fait allégeance au commandeur des croyants et émir des musulmans, le Cheikh Abou Hafs al-Hachemi al-Qourachi. Par Allah le tout puissant nos frères Ouïgoures ne souffriront plus de l’esclavagisme, des expérimentations médicales et de l’extermination par les mécréants rouges. Par cette exécution, nous déclarons l’indépendance de l’Etat Islamique du milieu, qui s’étendra de l’Himalaya au Tamaklan, Frères fidèles, rejoignez-nous et tuez les mécréants où qu’ils se cachent. Si Dieu le veut notre califat convertira le monde. Tremblez devant l’épée d'Allah.
Le réalisateur coupa la caméra. Une prise. En deux temps trois mouvements la vidéo était digitalisée et uploadée sur Telegram. Quand la réception fut confirmée sur le serveur, on enterra les uniformes et le matériel, puis les deux vans prirent des routes séparées pour ne jamais se retrouver. La mission avait été accomplie, c’était aux autres de faire le reste.
***********
Quand l’étudiant reçut la notification Telegram, il était encore à son cours de droit romain place Montesquieu en plein centre de la cité universitaire de Louvain-la-Neuve. Il attendait la vidéo depuis plusieurs heures avec anxiété. Il passerait la nuit à la monter. Il fallait être sûr que le discours soit intelligible et que l’intro et l'outro soient fidèles aux règles de diffusion du Califat. Surtout la bande son, il ajouterait les nashids et la posterait ensuite sur différentes chaînes publiques et privées sur X, Reddit, Discord et Telegram. Dans quelques heures sont travail serait diffusé sur les chaînes du monde entier et les infidèles à genoux.
Annotations