Chapitre 1 - Bulletin

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Joe rafraîchit la page de son navigateur web pour la cinquième fois en quelques secondes. C'était la fin janvier et les résultats de ses examens universitaires devaient tomber, un événement inévitable, marquant la fin d'une énième série d'échecs prévisibles. Joe savait qu'il avait probablement tout raté. Comment, en effet, réussir un examen de statistique multivariée sans avoir daigné ouvrir le syllabus ? Il était dans sa troisième année de bachelier en communications, qu'il avait déjà redoublée deux fois. Cette fois, c'était sa dernière chance, un terme qu'il trouvait aussi vide de sens que son aspiration à obtenir ce diplôme. En vérité, il y avait toujours la possibilité de se rattraper en juin, puis en septembre, cycle qui dominait sa vie depuis près de cinq ans.

Joe, dans une quête absurde, s'était accroché à cette idée d'obtenir un diplôme, un bout de papier censé valider son existence auprès de son entourage. Mais que valait un diplôme obtenu en six ans au lieu de trois? Ses parents étaient diplômés, sa mère directrice d’hôpital et son père contrôleur de gestion, alors son palmarès faisait tache. Le cancre faisait jaser dans les repas de famille. Tout son petit monde était diplômé et rêvait de grandes aventures professionnelles. Alors, il croyait qu'il lui fallait ce diplôme pour au moins garder la face,garder l’illusion de progrès, que finalement tout tout irait bien, que si tout n’allait pas bien, c’est que ce n’était pas la fin. Mais la réalité n’est pas comme une chanson de John Lennon. Et puis, on déconnait bien à l'université, c'était surtout ça finalement.

Ses quelques petites affaires lui permettaient de gagner décemment sa vie. A force de passer sa vie derrière son écran, il avait tout de même réussi à trouver un moyen d’en faire commerce. Son activité principale était la revente de contrefaçons venues de Chine, commerce qui lui permettait de subvenir à ses addictions, ses sorties et amener Géraldine, sa petite amie au restaurant de temps en temps. Dernièrement, c’était en revendant des iptv, des boîtiers de télévision pirate, que Joe gagnait le mieux sa vie. Il achetait les composants électroniques en Chine et les licences d’accès pirate sur le dark web, finalement ses clients, le plus souvent des “grossistes” albanais, se chargeaient de les revendre. Il fallait bien ça depuis que ses parents lui avaient coupé les vivres. Ils l’avaient mis à la porte après son deuxième redoublement.

Alors il vivait là, sur le campus de Louvain-la-Neuve, université moyennement cotée en Belgique, dans sa chambre de deux mètres sur trois. Il était assis à son bureau Ikea, son visage éclairé par la lumière bleue de son écran. Après le dernier clic fatidique, la sentence tomba. Il avait tout raté sauf économie politique, 13/20 et psychologie 12/20. Les deux cours les plus faciles.Il aurait déjà quatre examens à repasser en août, sans compter ceux de juin. La réussite de sa troisième et dernière année de baccalauréat s’annonçait compliquée.

Son téléphone portable “commercial” se mit à sonner. C’était un vieux 3310 qu’il avait récupéré chez ses parents. Il n’utilisait pas son smartphone pour dealer ses produits, il avait une carte pré-payée qui ne lui servait qu’à ça. C’était le numéro de Dardan, qui clignotait sur l’écran vert, son acheteur principal de boîtiers d’iptv.

– Alors, petit, où est ma commande? dit le Serbe avec son gros accent.

– Oui, ça arrive, c’est en route. Je suis le tracking DHL et elles viennent d’arriver en Belgique, mentit Joe.

– J’ai des clients qui ont commandé leur service y’a des mois. Si je n’ai rien d’ici deux jours je t’envoie mes chiens pour chercher le fric, tu sais ce que ça veut dire? dit l’Albanais

– Je te jure que ça ira. Tu les auras demain. dit Joe.

– T’as intérêt, tu n’as vraiment pas envie de me devoir de l’argent. Il raccrocha.

Enculés de Chinois, pensa Joe, sa commande devrait être arrivée depuis 2 semaines déjà. Il ouvrit un nouvel onglet et se rua sur Alibaba.com. Il trouva la page de commande et lança le chat pour discuter avec son fournisseur. Après quelques secondes d’attente, “Sharon”, l’agent qui ne s’appelait définitivement pas Sharon, se connecta. Et après quelques va-et-vient électroniques, Joe n’en savait toujours pas plus sur son colis. Sharon était probablement en train de le tourner en bourrique. Peut-être n'avaient-ils pas envoyé le colis, peut-être n’allaient-ils jamais l’envoyer, c’était le risque de bosser avec des produits illégaux et avec les Chinois. Elle finit par lui envoyer un numéro de téléphone, alors avec ses crédits Skype, il appela. Après cinq sonneries quelqu’un décrocha, mais c’était un système vocal électronique en chinois qui ne proposait pas d’option d’anglais.

— Putain! rugit-il
Il jeta son casque sur son bureau et alla chercher Wen, son colocataire qui habitait la chambre juste en face.
— Eh Wen, t’es occupé?
— Non. répondit le jeune homme à travers la porte.
— Tu peux me rendre service et parler à mes fournisseurs, ils ne parlent pas anglais.
— Oui, D’accord. La porte s’ouvrit et il apparut sur le pas de la porte. Wen était maigre comme un clou. Il portait un jean et une chemise à manches longues d’une coupe assez singulière très large en bas avec les manches très serrées. Il remit ses lunettes sur son front sous sa tignasse noire. Wen s’assit au bureau, clairement dérangé par le cendrier plein de pétards écrasés et le bol de nouilles instantanées froides et laissée à l’abandon manifestement depuis plusieurs heures. Après quelques touches du clavier, Wen pu finalement discuter avec une personne à l’autre bout du monde à l’autre bout du fil.

— Elle dit que tu n’as pas payé les frais de livraisons, donc il n’ont rien envoyé.

— Quoi?! Putain ça va mette des semaines à arriver. Les albanais vont me tuer. Son téléphone, le “vrai” se mit à sonner. Putain maintenant c’est ma mère, quelle journée de merde. — Dis-leur que je leur verse leur tune par Western Union aujourd’hui même.

Joe souffla un grand coup et glissa son doigt sur l’écran pour décrocher.

— Alors t’as eu tes points? Demanda sa mère

— Non pas encore.

— Tu crois que ça a été cette fois? Demanda-t-elle

— Oui je crois, on verra. dit-il

— Quand est-ce que tu vas te prendre en main? Tout le monde avance sauf toi. Tu sais papa et moi on sera pas là pour toujours et on s’inquiète pour toi. Tu files vraiment un mauvais coton.

Joe ne dit rien et elle poursuivit

— Elle en dit quoi Géraldine? Hein? Tu crois qu’elle va rester avec un fainéant, une fille brillante comme ça. Elle m’a parlé de l’appartement. Tu es un adulte maintenant, tu n’es plus un ado quand même.

— Écoute maman je gagne ma vie, et suis mes cours et je suis sur que j’ai réussi mes examens. Il serait temps que vous me fassiez confiance.

— Tu gagnes ta vie, les mafieux aussi ils gagnent leur vie. Et ils finissent morts ou en prison. Je ne sais pas exactement ce que tu fais mais c’est clair que c’est pas tout net.

— Maman s’il te plait. Je suis occupé.

— Oui je me demande bien à quoi, à étudier certainement. Elle raccrocha.

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