Chapitre 3 - Le Lac

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Pas à pas, Camille foulait le sol de l'université à grandes enjambées. Il était 7 heures du matin. Son souffle poussait un nuage de buée à chaque fois qu'elle expirait. Sa queue de cheval brinquebalant au rythme de ses pas. Elle était partie de son kot* (belgicisme: chambre d’étudiant) rue de l'Hocaille. Il faisait froid ce matin de janvier, mais elle adorait le calme de la ville à cette heure. Les étudiants, surtout en période de vacances, ne s'activaient que tard et il était rare de croiser quelqu’un avant 10 heures du matin. Elle descendait vers la Grand-Place où les chalets en bois du marché de Noël venaient d'être enlevés. Il restait quelques traces de neige ici et là qui s’obstinaient et refuseraient de fondre pendant encore quelques semaines. Elle traversa la place, et passa sous la galerie devant le Goldway, restaurant ouvert 24/24 où les étudiants allaient manger des burgers après la fête. Elle continuait sa course en montant vers la place des Wallons, puis la place des Sciences, fief des ingénieurs. C'était aussi là que la fête battait généralement son plein dès 22h. La rue empestait toujours la bière et le vomi. Elle devait s'empêcher de respirer pendant quelques foulées jusqu’à la Salmigondis. Les employés de la ville déblayaient les verres en plastique éparpillés sur la place. Cette ville était chaque jour une fête géante à ciel ouvert, des milliers d’étudiants, souvent en costumes folkloriques se réunissaient et guindaillaient sans lendemain. Chaque faculté avait son comité de cercles étudiants. Une ville qui attachait à l’alcool une valeur traditionnelle et qui était une excuse à la beuverie et à tous les excès. L'état de la ville était toujours le pire à la rentrée, en septembre, quand les étudiants n'avaient pas la pression des examens et que les bleus et bleuettes débarquaient fraîchement de leur village pour commencer leur cursus universitaire, souvent pour la première fois loin des parents. Camille se rappelait avoir assisté au roi des bleus du CESEC à son arrivée il y a 2 ans. Lors de la grande finale, les deux champions se partagaient 160 bières à descendre le plus vite possible ; les candidats finissaient généralement par vomir des lances de bières encore froides dans le public en liesse.

Elle fit le tour des Sciences et redescendit par l'arrière de la place des Wallons. La descente était plus facile et elle se retrouva vite au lac dans le bas de la ville. L'eau grise reflétait le ciel de janvier. Elle commença son premier tour. C'est au bord de la fontaine, là où le passage du viol tournait à droite et passait en direction de l'autoroute, qu'elle aperçut une chose flottante près des roseaux. Elle n'y prêta pas tout de suite attention mais finit par faire marche arrière. Un corps gisait dans l'eau, face dans le liquide presque visqueux du lac. Les cheveux noirs et courts se confondaient presque avec l'eau sale du lac. Il portait des vêtements classiques, un jeans, une chemise à manches longues.

***********

  • Gera, j’arrive pas à croire que j’ai encore tout raté. Dit Joe à sa petite amie qui conduisait la voiture.
  • Tu t’attendais à autre chose? Tu n’en fous pas une. Et tu oses encore faire le déçu. répondit-elle.
  • Oui je sais. Je sais pas trop quoi faire, dit Joe dépité.
  • Termine ton bac et puis tu feras ce que tu veux. Je t’en prie arrête de tremper dans tes affaires là avec les Serbes.
  • Albanais, corrigea Joe.
  • Rho je m’en fous tu m’as comprise. J’ai visité l’appart à Flagey, je pense qu’il est très bien. On pourrait emménager en mai quand je commencerai mon nouveau boulot.
  • Oui, d’accord on verra. Attends. Joe fut distrait par la radio, il augmenta le volume.

"Un corps a été découvert dans le lac de Louvain—la—Neuve ce matin. Il s'agirait de Wen Lin, un étudiant chinois en échange à l'Université catholique de Louvain. Le commissaire Goossens déclara pendant la conférence de presse : “ D’après les premiers éléments de l’enquête, nous pensons que Monsieur Lin Wen s'est aventuré, en état d'ébriété, aux abords du lac où il serait tombé et aurait succombé à un choc thermique”. Cette mort relance le débat sur l'alcool à l'université et la réputation des institutions universitaires en Belgique. Le recteur, au micro de Simon Breem, déclare : “Nous avons mis en place des tonnes de règles pour protéger nos étudiants. La mort de Wen Lin aurait pu être évitée, mais nous déclinons notre responsabilité. Les étudiants sont adultes et, malheureusement, font parfois de mauvais choix. Nous rappelons qu'il est conseillé d'être toujours accompagné, surtout lorsqu'on a bu. Nous allons renforcer les barrières autour du lac. Nous sommes évidemment attristés pour sa famille, cet évènement tragique…"

—T’as entendu Géra? C’est mon coloc!!

— Le chinois?

— Oui! C’est pas possible, pensa Joe. Il est mort? Mais on discutait encore il y a quelques jours. J’avais à peine pris le temps de le connaître. Joe était sous le choc. Il répétait

— Je n’arrive pas à le croire. Si ça se trouve ça aurait pu être moi.

— T’es sûr que ça va ? lui demanda Gera

— Combien de fois je suis passé par le lac, surtout complètement bourré.

— Oui, c’est surtout ça. Dit-elle en ricanant.

— Arrête, c’est pas drôle! Répondit Joe. Puis il se tut pendant quelques minutes, en regardant par la fenêtre les champs passer devant lui.

— Ca doit faire un choc, mais c’était pas non plus ton meilleur pote. Je sais que tu dois être secoué mais tu sais les accidents arrivent. Prends-le comme une leçon de prendre plus soin de toi, dit Géraldine.

Joe l’interrompit.

– Mais, Wen n'était pas du tout un fêtard. Je doute même qu’il sache où aller pour se bourrer la gueule. Je l’ai jamais vu boire une bière. Il serait tombé dans le lac de Louvain? À une heure pareille? C’est même pas sur le chemin du kot. Ça n'a aucun sens. On a parlé l’autre jour, il avait plein d’ambitions. Ce n'est pas possible, je n’y crois pas.

Géraldine, contrariée d’avoir vu son argument balayé d’un revers de la main se tut jusqu’à la destination quatre minutes plus loin.
La voiture dépassa le Blocry et Géraldine se mit en double file. Joe sortit les courses du coffre.

— Tu ne veux pas que je reste? T’es sûr? Ne fais pas de bêtises d’accord je peux rester si tu veux.

— Non non, va à ton cours, on se retrouve après. On est pas à deux heures près.

Il claqua le coffre et se mit à marcher en direction de son kot.

*******

Joe posa ses sacs de courses dans la cuisine et fila dans la chambre de Wen mais avant qu’il ait pu inspecter quoi que ce soit, on tambourina à la porte.

— Police ouvrez!!

— MERDE. Toutes les traces de ses méfaits étaient étalées au vu de tous dans sa chambre. Il traversa le couloir et vida les cendriers, dissimula les différentes caisses de contrefaçons et ses quelques paxons de beuh dans ses tiroirs.

— Oui oui j’arrive. Joe en sueur finit par ouvrir la porte aux deux agents en uniforme bleu et képi.

— Bonjour, vous êtes monsieur Van Lier domicilié à cette adresse? Joe aquiesca

— Nous avons une terrible nouvelle à vous annoncer, nous n’allons pas y aller par quatre chemins. Votre colocataire, Li Wen, a été retrouvé mort noyé dans le lac. Je suis désolé de vous l’apprendre.

— Oui j’ai entendu à la radio ce matin. Comment c’est arrivé?

— A première vue, il s'agirait d'un accident. Il faudrait que vous nous suiviez au poste on doit prendre votre déposition.

— Oui bien sûr je comprends, j’arrive tout de suite. Joe pensa à sa petite victoire, il avait réussi à les éloigner de l’appart sans même forcer. Ces imbéciles n’allaient même pas inspecter la chambre de Wen?

Le commissariat de Louvain se situait en plein centre-ville, à une quinzaine de minutes de marche de l'appartement. Heureusement, les agents de police étaient venus en voiture, ce qui avait considérablement raccourci le trajet. Cependant, Joe avait dû s'asseoir à l'arrière, éprouvant un sentiment très inconfortable. "Deuxième fois en six mois, ce n'était vraiment pas l’achèvement d’une vie. Allez, réponds aux questions et déguerpit le plus vite possible.” pensa-t-il.

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