Chapitre 19: Croisade
Un ciel gris enveloppait Bruxelles, il avait plu ou il allait pleuvoir, on ne savait plus. Le mois de février était bien avancé mais le printemps tarderait encore à venir. L’obscurité des petites heures s’était doucement dissipée, et l’humidité de la nuit mouillait toujours les routes et les trottoirs de la capitale.
Pour une fois Joe arriva au point de rendez-vous à l’heure. Le rassemblement du jour avait été organisé par “Territoire & Identité, un parti d’extrême-droite, pour protester la délivrance des permis de séjour devant le parlement européen. C’était la première manif de Joe, Abdel lui avait parlé d'une manifestation pacifique pour supporter “l’accueil de leurs frères ouïghours”. Joe savait que la situation autour de ces permis s’était tendue. L’opinion publique demandait plus de contrôles mais voulait accueillir les réfugiés avec bienveillance. Les extrémistes religieux voulaient accepter tous les musulmans demandant l’asile sans exception et les réactionnaires de droite n’en voulaient simplement pas. Madame Lune l’avait prévenu, il y aurait sûrement du grabuge et il devait se tenir prêt à toute éventualité.
Les membres des Musulmans Universels avaient organisé une contre-manifestation et comptaient bien ridiculiser les représentants de l’organisation identitariste . Ils n'avaient bien sûr prévenu personne de leur présence, surtout pas la police, qui ne s’attendait pas à devoir gérer un clash des civilisations sur la place du Luxembourg.
Le groupe islamiste avait bien entendu ramené beaucoup de monde. Entre les membres réguliers, les réfugiés qu’ils assistaient, leurs propres familles et les associations jumelées, le groupe de contre-protestation comptait facilement une centaine de manifestants. Il s’étaient rassemblés, en petits groupes, patiemment attendant le feu vert de leur chef avant d’envahir la plaine de leurs slogans et leur banderoles.
Joe remarqua immédiatement que certains portaient des sacs de sport bien remplis. Apparemment la violence était au programme du rassemblement. Son estomac se noua lorsqu'il vit des casques de moto et des barres de fer parmi les drapeaux bleu et blanc ouighour.
Abdel se tourna vers lui, un sourire fin aux lèvres.
— C'est ce dont je te parlais, Joe. Parfois, pour se faire entendre, il faut être prêt à utiliser des moyens plus… convaincants. On n’utilisera les grands moyens que si c’est nécessaire.
Joe sentit une sueur froide glisser le long de son dos. Il ne savait pas se battre, il ne s’était jamais battu. Il n’avait jamais eu le cran d’utiliser ses poings pour sauver sa propre personne, il ne le ferait encore moins pour des idées. Il savait par contre se faire casser la gueule et plutôt bien, comme en témoignait encore les cicatrices de son altercation avec les Serbes.
Abdel sentit l’appréhension de Joe
— Ne t'inquiète pas, Joe. Reste avec nous et tout ira bien. Tu vas quand même pas avoir pitié des nazis?
Joe ne répondit rien. Il suivit le groupe jusqu'au lieu de la manifestation, une grande place où les manifestants d'extrême droite commençaient à se rassembler. Des banderoles hostiles aux réfugiés flottaient au vent, et la tension était palpable. Les premiers slogans étaient criés, des chants de haine, des insultes à peine subtiles. Joe sentit ses muscles se tendre alors qu'il tenait la barre de fer qu'Abdel lui avait glissée dans la main, “juste au cas où”, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.
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Il y avait quelque chose de réconfortant dans le poids familier de la batte de baseball cachée dans son sac. Laurent se tenait avec ses camarades des Combat 18 sur la place du Luxembourg. Aujourd’hui, il s’était réveillé avec la rage au cœur. Il ne croyait plus aux belles paroles ni aux compromis. Jadis, il avait cru le changement possible par la voie politique. Mais à chaque fois que le parti de droite passait, l'entièreté de la société faisait barrage et bloquait son ascension politique au pouvoir. “Faire barrage”, “ne pas faire d’amalgames”, “les périodes les plus sombres de notre histoire” et toute cette rhétorique islamo-gauchiste le faisait vomir. “Et nos libertés individuelles? Notre volonté de vivre en sécurité dans un pays prospère qui s’occupe de ses citoyens?” disait-il à qui voulait l’entendre. Mais personne n’écoutait Laurent, tout facho réactionnaire qu’il était.
Frustré, il ne comptait plus que sur sa force brute. Force qu’il avait développé grâce aux cours de Systema dispensés par les vétérans des Combat 18 lors de leur réunion entre les cours théoriques. Selon ses principes, le vivre ensemble n’avait rien d’une aubaine. Toutes les statistiques du ministère de l'intérieur indiquaient que les crimes violents commis par des étrangers étaient en constante augmentation. En Belgique seulement, on comptait au moins dix viols par jour. Ces barbares s’en prenaient à nos sœurs, à nos femmes, à nos filles. Il était hors de question d’accueillir plus de parasites sauvages et incontrôlables. La Halalisation de l’Europe s'arrêtait aujourd'hui. Ces pensées tournaient en boucle dans sa tête, marquant le début de la spirale de colère qui s’apprêtait à tout emporter. Aujourd’hui, ils allaient montrer à ces traîtres de Bruxelles qu’il en fallait plus pour faire de leur pays une terre d’asile pour les bouffeurs de kebabs. Ils profiteraient de la manifestation pour envoyer un sandwich de phalanges dans la gueule des eurocrates et leur maudite tour d’ivoire qui surplombait la place du Luxembourg.
La fine pluie glaciale commença à tomber et contribua à rendre les manifestants encore plus nerveux. Autour de lui, les autres participants s’organisaient. Ils venaient de tout le pays, même de l’étranger et ils se tenaient là pour défendre leurs terres, leur sang. Des banderoles flottaient, des slogans se mêlaient aux insultes. Les identitaires criaient : « On est chez nous, la Sharia pas pour nous ! ». Les forces de l'ordre, en nombre réduit, avaient l’habitude de gérer les foules d’énergumènes qui venaient vociférer sur la place du Parlamentarium. Laurent était encore calme. Il savait comment ces manifestations se déroulaient : un peu de brouhaha, quelques bousculades, et tout rentrait dans l’ordre. Mais aujourd’hui serait différent.
Laurent aperçut un groupe en retrait, de l’autre côté de la place. Leur présence n’avait rien d’amical. Il reconnût immédiatement les drapeaux et la ”diversité” apparente des jeunes qui s’approchaient d’eux. Un sourire en coin, il sortit la batte de son sac et la serra dans sa paume, sentant le métal froid contre sa peau. Au lieu de casser du flic, dieu lui avait envoyé de vrais ennemis à occire. Son sang commençait à bouillonner. Cette sensation familière qui montait en lui chaque fois qu’un affrontement était imminent.
Tout se déroula en quelques secondes. Ce qui avait commencé comme un rassemblement dégénéra en chaos. Les slogans se transformèrent en cris de guerre, et très vite, la place devint un champ de bataille. Laurent fonça avec sa batte, ses camarades à ses côtés. Ils balayaient tout sur leur passage, frappant quiconque portait un keffieh ou ressemblait de près ou de loin à un arabe. C’était le combat pour son Histoire, pour sa survie. Laurent était un guerrier en croisade prêt à tout pour bouter les infidèles hors de son pays.
Dans la mêlée, il aperçut un homme, Laurent reconnut son visage. Abdel El Fatouaki, leader des musulmans universels, était bien connu des Combat 18. Ils faisaient venir les réfugiés, recevaient des centaines de milliers d'euros du gouvernement pour accueillir les face d’essuies de vaisselle. C'était lui qu'il devait abattre, si toute sa vie devait se résoudre à un acte, ce serait celui-ci. Il mettrait les Musulmans Universels hors d’état de nuire. Il agrippa son couteau dissimulé sous sa veste, prêt à en finir. Le jeune homme, occupé à donner des ordres, ne l’avait pas vu arriver. Laurent se faufila entre les corps en mouvement, prêt à frapper.
Mais à la dernière seconde, une ombre surgit à sa droite. Un autre homme, blanc, armé d’une barre de fer. Laurent se tourna trop tard. Le choc fut brutal, le bruit sourd résonna dans sa tête avant qu’il ne sente la douleur fulgurante à l’arrière de son crâne et la chaleur de son propre sang dans son cou. Il s’effondra au sol, lâchant sa lame. Le monde autour de lui devint flou. Il ne savait plus qui était l’ennemi. Tout ce qu’il voyait avant de sombrer, c’était cet homme qu’il n’avait jamais vu auparavant, mais qui venait de lui ôter la victoire.
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Joe et Abdel se frayèrent un chemin hors de la foule avant que la police ne les encercle. Les sirènes se faisaient déjà entendre au loin, signe que les renforts étaient en route pour disperser le chaos. Joe, les mains endolories, le cœur battant encore à tout rompre, se sentait étrangement vide.
Lorsqu'ils furent suffisamment loin du tumulte, Abdel posa une main sur l'épaule de Joe.
— Tu m’as sauvé la vie, Joe. Sans toi je me faisais poignarder par ce nazi. J’ai une dette envers toi. Tu as montré aujourd'hui que tu es prêt à faire ce qu'il faut, dit Abdel. Je suis fier de toi.
Joe hocha la tête, mais son esprit était ailleurs. Il se demanda ce qu'il venait réellement de prouver aujourd'hui, et à qui. Mais une chose était certaine : il savait que les conséquences de ce jour le suivraient longtemps. Il n’avait pas tué aujourd’hui mais il s’en était fallu de peu. Jusqu’où devrait-il aller?
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