Chapitre 21: Intrusion (2)
Il avait été très facile pour Joe de se tenir à l’écart de Géraldine pendant ces quelques semaines. Elle avait été très stressée par la préparation de son mémoire qu’elle présentait en Juin. C’était le point culminant de ses études et, selon elle, le passeport vers une carrière à succès. Joe avait du mal à comprendre comment cent-vingt pages sur “LES EFFETS DES PRATIQUES DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES SUR LA PERFORMANCE ORGANISATIONNELLE DES PME AGROALIMENTAIRES BELGE: APPROCHE DE CONTINGENCE AXÉE SUR LA DIVERSITÉ CULTURELLE”, pouvait ouvrir les portes à quoi que ce soit d’intéressant. Quoi qu’il en était, Géraldine, aspirée par la préparation de son mémoire le laissait tranquille et ça tombait très bien. Elle aurait sûrement trouvé son bouc ridicule et de très mauvais goût. De toute façon, les sujets de conversations du moment tournaient autour de son mémoire ou bien de leur futur ensemble, conversations qu’il évitait avec le plus grand soin.
Joe arrêta de divaguer, Youtube diffusait les nouvelles dans la salle de réunion des musulmans universels;
Le conflit continue son escalade dans la province chinoise du Xinjiang. L’armée du Califat continue ses attentats terroristes de plus en plus meurtriers. Ce matin, un nouvel attentat à la voiture piégée a provoqué des centaines de morts dans le marché principal de Urumqi. Ce qui ramène le nombre de victimes du groupe à plus de deux mille depuis le début de l’année.
Au Xinjiang toujours, l’incendie des usines textiles de Colbitex, a été revendiquée par les dragons du Turkestan, un nouveau groupe rebelle maoiste. Aucun blessé n’est à déplorer mais les hangars incendiés représentent plusieurs centaines de millions de dollars de marchandise selon le porte-parole de Colbitex. Pour rappel, le grand conglomérat de la fast-fashion européen est accusé par de nombreuses associations d’utiliser le travail forcé des ouïghours.
Le gouvernement chinois dénonce les attaques terroristes et a annoncé des contrôles renforcés aux frontières de la province. Selon Human Rights Watch, plus d’un million et demi de ouïghours seraient détenus dans des camps de travail au Xinjiang.
Joe était assis dans un fauteuil trois places en consultant les différents comptes de l’association sur son téléphone et répondait aux messages. Il y avait dans la pièce trois autres habitués, qui très excités, célébraient l’annonce en se tenant les épaules. Aziz faisait des doigts d’honneurs en direction de l’écran.
— Allez niquer vos mères les kouffars! Joe ne put s’empêcher de sourire à l’agressivité gratuite et la stupidité de la remarque. Abdel, lui, était au téléphone. Joe lui fit signe, il avait oublié son laptop et avait besoin d’un plus grand écran pour créer un flyer sur Canva.
—J’ai oublié mon laptop, mima-t-il avec ses mains
— Oui oui, t’as qu’à utiliser le mien. Je vais pisser, j’ai une grande nouvelle à partager quand je reviendrai! dit Abdel après avoir raccroché.
C’était l’occasion inespérée. Des semaines maintenant que Joe faisait l’humanitaire, il avait maintenant une opportunité de s’introduire dans le PC d'Abdel et de subtiliser les renseignements convoités par les services Chinois. Dès que Abdel eut franchi le seuil de la porte, Joe sortit rapidement la clé USB de sa poche. Ses mains tremblaient alors qu'il tenta de la glisser dans la fente. Cette clé préalablement préparée avec les plus grands soins par dieu-sait-qui chez les services secrets chinois n’avait qu’un seul job, installer une backdoor, un programme qui permettrait à pirates d’avoir accès à l’ordinateur d’Abdel, à distance. Joe devait simplement connecter la clé et Madame Lune et son équipe pourraient fouiller le contenu du laptop ainsi que les activités d’Abdel. Une fois introduits dans l’ordinateur, ils trouveraient forcément les informations dont ils avaient besoin et libéreraient Joe de sa mission. Dans quelques secondes l’affaire serait dans le sac.
Une fois la clé insérée dans le port droit après s’être trompé deux fois de sens, elle se mit à clignoter et en moins d’une seconde elle se mit à interagir avec le PC. Le programme ouvrit le terminal, cette fenêtre au fond noire et mystérieuse qui permettait aux experts de tout faire à travers une ligne de commande textuelle, et se mit à taper des requêtes sous les yeux de Joe. Il avait testé la manœuvre sur un vieux PC à lui et elle prenait à peu près une minute. Il estimait qu’il lui faudrait deux minutes dans le pire des cas. A peu près dix secondes s’étaient écoulées quand une fenêtre d’avertissement apparu à l’écran, accompagné d’un compte à rebours de soixante secondes.
“Vous avez inséré un périphérique USB inconnu, veuillez entrer le mot de passe avant le formatage du disque.”
Heureusement la clé continuait son travail en arrière-plan. Joe ne s’attendait pas à un tel protocole de sécurité sur le PC d’Abdel. Déstabilisé, il réalisa que, même si la clé USB était programmée pour effacer toute trace de l’intrusion, le système de sécurité pouvait tout de même alerter Abdel à tout moment. Peut-être même qu’un SMS lui avait déjà été envoyé, l’avertissant qu’un périphérique suspect avait été connecté à son ordinateur et qu’un logiciel malveillant s’y installait.
Joe était conscient qu’il venait peut-être de se faire démasquer. Mais ce n'était pas encore le moment de paniquer. Adbel reviendrait et il aviserait à ce moment. Ce qui était sûr par contre, c’est qu’un tel niveau de sécurité installé, prêt à effacer l’entièreté du disque en une minute, voulait dire qu'Abdel avait des choses à cacher sur son ordinateur et que les chinois les trouveraient. Son ticket de sortie était à portée de main, Il devait toutefois quitter l’immeuble vivant.
Joe jetait des regards anxieux vers la porte, son cœur battant la chamade. Il ouvrit Canva et se mit à créer une invitation sans intérêt, en cliquant ici et là et tout en surveillant discrètement la progression de la clé USB. L’algorithme tournait encore, le compte à rebours affichait maintenant dix-huit secondes.
Abdel revint plus tôt que prévu.
— Alors, ça se passe ? demanda-t-il en s'approchant. T’as réussi à y accéder, je sais qu’il déconne avec la sécurité de temps en temps. Douze secondes.
— Oui, j’ai presque fini, répondit Joe, Je regardais juste les détails de l'événement.
La lumière verte de la clé USB clignotait encore. Joe parlait, gagnant du temps, partageant ses idées sur l'événement, tout en priant intérieurement pour que la copie se termine. Sept secondes Abdel hochait la tête, visiblement intéressé, ou peut-être simplement distrait.
Trois secondes. Enfin, la lumière verte cessa de clignoter. Joe, soulagé mais ne laissant rien paraître, retira discrètement la clé USB et la glissa dans sa poche pile à temps.
— C’est bon j’ai fini, je vais maintenant m’envoyer l’invitation par mail pour l’utiliser plus tard, dit-il avec un sourire forcé. Personne n’objecta à son plan.
— T’as fait quoi là? S’écria Aziz depuis l’autre côté de la pièce.
— Comment ça? demanda Joe.
— Oui la clé USB, c’est quoi ça? T’as enlevé un truc du PC je t’ai vu.
Abdel se retourna, l’air suspicieux.
— Tu as connecté quelque chose au PC?
— Oui, admit Joe. J’avais sauvegardé quelques designs sur une clé, et je voulais les utiliser pour les flyers d’invitation.
— Sors-là et ouvre la, dit Aziz, je l’ai vue elle était rouge.
— Joe sortir une clé rouge et la tendit à Abdel,
— Je sais pas c’est quoi cette parano à deux balles. Tiens la voilà ta clé. dit Joe, visiblement contrarié.
Abdel la connecta au PC, Il introduit le mot de passe lorsque le pop-up apparut et il se mit a cliquer. Bientôt, il écarquilla les yeux et tourna la laptop vers l’assemblée d’un air grave.
— Je crois que Joe nous cache des choses, nous allons devoir sévir.
L’estomac de Joe lui tomba dans les talons, il était tout d’un coup pâle comme un cadavre.
— C’est quoi cette invitation de merde, Joe? Tout le monde rit. Il n’y a qu’un pdf, et il est vraiment moche.
— Haha ok je vais le retravailler désolé, dit Joe. Soulagé, Joe reprit des couleurs
— Tu m’as fait peur!
Joe savait qu'il risquait d'être repéré. Il avait anticipé cette possibilité et s'était préparé en conséquence, conscient que quelqu'un pouvait le surprendre en pleine action. Alors il avait acheté des répliques de la clé usb que les chinois lui avaient donné et il en avait toujours plusieurs sur lui. La vraie dans la poche avant droite de son pantalon, les répliques dans toutes les autres. Une vraie dans la poche avant de son sac à dos, une fausse sur le côté. Il était fier d’avoir pensé à ce truc qu’il avait vu dans une série d’espionnage. Il avait également dupliqué la clé originale au cas où il venait à la perdre. Comme ça il était sûr d’en avoir une sur lui si une bonne occasion se présentait.
Une chose était sûre, Abdel ne se doutait de rien. “Mon laptop déconne avec la sécurité”, lui avait-il dit. Un haut responsable de l’organisation lui avait sûrement donné ce laptop préparé et bien sécurisé, et cet imbécile n’avait pas écouté ou n’avait rien compris. Joe venait de réussir son coup. La clé avait marché, et avait déjà envoyé les informations à Madame Lune.
Les chinois devaient déjà être en train d’analyser l’ordinateur d’Abdel, avec un peu de chance, ils avaient même déjà trouvé la liste des dissidents. Combien de terroristes ou de rebelles son action avait-elle compromise? Venait-il d’empêcher des attentats de se produire? Ou avait-il condamné des familles innocentes à l'emprisonnement et la torture? Enfin, tout cela était derrière lui. Il retrouverait sa vie normale dans quelques heures. Quel soulagement!
— Je vous avais dit que j’avais une annonce à faire, dit Abdel. Je viens de parler avec nos partenaires, différentes associations pour la défense des Ouïghours et on nous a chargé d’aller chercher et d’héberger quelques-uns de nos frères en partance de Chine! Ils ont réussi à s’enfuir du camp dans lequel ils étaient emprisonnés. Ils ont engagé des passeurs et devraient arriver en Turquie d’ici peu. Comme vous le savez tous, arriver jusqu’en Belgique n’est pas chose facile, il faut éviter les contrôles de frontières au risque de devoir faire une demande d’asile dans les autres pays européens et de se faire emprisonner dans les centres fermés. J’ai donc proposé que nous allions les chercher dès qu’ils arriveront dans les Balkans. Plus de détails suivront, je vous en ferai part dès que j’en saurai plus.
Joe remarqua que tous se réjouirent et célébrèrent la venue de ses migrants comme s’il s’agissait d’une victoire sportive. Les membres s’empoignaient et se tapaient dans les mains à coups d’”Allah Ouakbar” et de “Allah est grand”. Joe compris que cette histoire ne présageait rien de bon. Il était grand temps de filer. Heureusement il allait pouvoir dégager avant qu’il ne se passe quelque chose de trop grave. Il espérait de tout coeur que les chinois obtiennent leur renseignement et mettent un terme au plans macabre des Musulmans Universels.
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