Chapitre 24: Abdel - Tora Bora
ABDEL
Le camp d'entraînement était situé dans un petit village dans les hautes montagnes à l’extrême Est de l’Afghanistan. Les moudjahidines avaient aménagé une école primaire abandonnée, un bâtiment en ruines pour en faire leur “académie militaire”. Des dessins d’enfants de paysages idylliques, des rivières et des vallées luxuriantes, ornaient les murs fissurés, les arcs-en-ciel peints sur les murs de la cour de récréation semblaient cruellement ironiques dans cet endroit voué à la formation des futurs martyrs du Califat.
Dès son arrivée, Abdel fut plongé dans une routine stricte. Les journées commençaient avant l'aube avec les prières du tahajjud, suivies de la récitation du Coran jusqu'aux prières du matin. Il trouvait difficile de s'adapter à ce rythme austère. Le froid mordant des montagnes pendant les mois d'hiver rendait chaque mouvement douloureux et chaque prière un acte de soumission qui le rapprochait de son Dieu.
Les repas étaient frugaux mais suffisants. Les instructeurs insistaient sur la discipline :
— Vous êtes ici pour devenir des guerriers d'Allah, pas des enfants gâtés, répétait souvent le Cheikh Maulvi Rahimullah.
Les premières semaines furent les plus difficiles. Abdel était constamment courbaturé, ses muscles endoloris par les exercices physiques. Les levers à l’aube, les marches interminables, les nuits blanches à veiller, les bains d’eau glacée. La première partie de l’entraînement djihadiste consistait à rendre son corps pur, et solide comme le cèdre.
Il tomba malade presque immédiatement. L’acclimatation à l’altitude, l’eau croupie et le manque de sommeil furent une dure épreuve sur son système immunitaire. Mais comme tout dans sa vie, Abdel finit par s’y habituer. En fait, il commençait à ressentir une étrange satisfaction. La discipline rigide, les prières répétitives: tout cela le plongeait dans une plénitude qu’il n’avait jamais ressentie auparavant. Il passa son premier mois au camp avec succès. Grâce à son statut spécial de citoyen européen, on le dispensa du cursus de martyr et on l’envoya rejoindre l’académie des combattants.
Son emploi du temps, bien que très exigeant, fut beaucoup plus allégé que le premier mois. Le matin, après le petit-déjeuner, Abdel et les autres recrues recevaient une formation de conduite de véhicules. Ils apprenaient à manœuvrer des voitures et des motos, préparation essentielle pour les futures missions de sune ouuicide ainsi que l’entraînement au combat.
Les après-midi étaient dédiés à l'étude du Coran et à la mémorisation de versets spécifiques. Abdel fut jumelé avec un membre plus ancien qui l'aidait à apprendre les prières et les enseignements religieux. Le soir, après les prières du coucher de soleil, les recrues se rassemblaient autour des discours enflammés du Cheikh. Ces discours étaient conçus pour renforcer la détermination des candidats que l’on voulait à toute épreuve.
Les semaines s’écoulaient paisiblement à l’école d’apprentis terroristes. Après la conduite, ce fut le maniement des armes et le combat rapproché qui fut enseigné. Le matin, avant même que le soleil ne se lève, Abdel s’agenouillait sur son tapis, un fusil AK-47 entre les mains. Les instructeurs lui apprenaient à démonter et remonter l’arme dans l’obscurité, jusqu’à ce que ses doigts connaissent chaque pièce par cœur. Chaque erreur était punie d’une corvée, mais Abdel prenait chaque reproche comme une leçon, chaque sanction comme un service à la cause. Ils lui enseignèrent aussi la visée, la posture, la maîtrise de la respiration, la moindre hésitation, le moindre millimètre pouvait coûter la victoire. Abdel fut particulièrement doué pour le combat au couteau, enfoncer la lame dans les points vitaux de ses ennemis avait quelque chose d'enivrant et L'adrénaline du face à face propulsait son ego à des niveaux stratosphériques.
Après avoir réussi ses épreuves de combat, Abdel se retrouva autour de tables improvisées, couvertes de composants électroniques : câbles, détonateurs, fioles d’acides et boîtiers métalliques. On leur apprenait l’art des bombes artisanales. Sous les ordres de leurs formateurs, ils assemblaient, calculaient les charges, connectaient les fils. Chaque détail comptait, une erreur minime pouvait être fatale. Cette violence méthodique, cette discipline qu’on exigeait de lui dans ce climat brutal, le plongeaient dans une détermination féroce, une soif d’apprendre qui ne laissait plus aucune place à la peur.
— Les martyrs vont directement au paradis," disait Rahimullah. Ils peuvent y recommander soixante-dix personnes pour les rejoindre. Quel autre sacrifice est aussi noble ?
Avec le temps, Abdel achevait sa transformation intérieure. La haine et la colère qui bouillonnaient en lui trouvaient une direction, un but. Il se sentait de plus en plus détaché des préoccupations mondaines, embrassant l'idée de donner sa vie pour une cause qu'il croyait juste. Il voyait ses camarades non pas comme des compagnons d'armes, mais comme des frères partageant une destinée commune.
Le camp était un univers clos, coupé du monde extérieur. Les nouvelles de l'extérieur filtraient à travers les discours des leaders, peignant un tableau de décadence et d'injustice. Les recrues étaient convaincues que leur sacrifice était nécessaire pour rétablir l'ordre divin.
Le départ des aspirants martyrs se déroulait selon un rituel solennel. Après une prière commune, ces jeunes hommes, soigneusement choisis pour leur dévotion et leur abnégation, faisaient leurs adieux à leurs compagnons de camp. Les autres recrues les entouraient, les embrassant et leur demandant de prier pour eux une fois dans l’au-delà, leur demandant la bénédiction du Paradis. La cérémonie restait discrète et presque silencieuse, respectant la gravité de leur mission imminente. Les hommes partaient sans jamais connaître précisément la cible de leur attaque : seuls leur guide et le Cheikh Rahimahullah savaient où leur sacrifice se produirait. Ce n’était qu’après leur mort que leurs frères apprenaient le lieu de l’explosion – un marché bondé ici, une mosquée chiite là.
Abdel ressentait la satisfaction d’apprendre, de se former, de devenir un guerrier au service d’Allah. Mais il bénissait chaque jour où son nom n’était pas inscrit pour une mission de sacrifice ultime. Il sentait que son destin ne serait pas celui de se faire exploser dans une foule aveugle, loin de sa terre natale qui l’avait trahi et qu’il considérait comme ses ennemis personnels. Non, il était convaincu d'être destiné à quelque chose de plus grand, une mission où son talent pour le combat et son intelligence trouveraient leur pleine mesure.
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