Chapitre 26: Tôle Ondulée
Abdel
Après plusieurs mois d’entraînement intense, Abdel avait prouvé sa valeur. Ses instructeurs voyaient en lui un homme prêt, un soldat d’Allah, déterminé et obéissant. Il n'était plus seulement une recrue parmi d'autres, il était devenu un frère. Il avait troqué son nom terrien par un nom de guerrier, il avait choisi Abou Souleymane, le nom de combat de son frère, comme un talisman de protection. En plus d’être loyal et convaincu, il était un ressortissant européen, ce qui représentait une valeur additionnelle pour les dirigeants. De grandes choses attendaient Abou Souleymane, mais avant de lui confier sa mission finale, il devrait montrer s’il avait les tripes d’un vrai moujahidine. Maulvi et les autres leaders lui offrirent une chance de faire ses preuves. Une mission spéciale lui fut confiée : faire couler le sang des mécréants chinois au cœur du Xinjiang et venger ses frères Ouïghours. L’heure était venue pour Abdel de passer son baptême du feu. Ce serait la première fois que l’ennemi aurait un visage. Ce n’étaient plus des histoires racontées par Rahimullah, ou des mannequins inanimés, pour la première fois, il aurait la chance de regarder ses bourreaux dans les yeux avant de leur trancher la tête, si dieu le voulait.
Abdel et un petit groupe de combattants traversèrent les montagnes de l’Afghanistan et du Tadjikistan jusqu'à la frontière chinoise, où ils rejoignirent une cellule clandestine ouïghoure. Leur cible était un petit village chinois, habité en grande partie par des familles de fonctionnaires locaux et de policiers. Ce village, selon leurs informations, abritait des travailleurs chinois, haut gradés au cœur de la surveillance et de la répression. Les fonctionnaires organisaient la persécution, organisaient le transport et la gestion logistique des prisonniers ouïghours, les policiers l’exécutaient avec zèle. Ce village résidentiel n’abritait que les haut responsables des camps, leurs subalternes vivant eux, directement dans les camps avec les prisonniers.
Après des jours de voyage à l’arrière d’un camion, les douze guerriers arrivèrent au village en pleine nuit. Abdel avait les jambes engourdies et le dos endolori par le long trajet passé assis sur une banquette en bois, les jambes recroquevillées pour laisser place au caisses de munitions qu’ils apportaient de bon cœur aux résistants Ouïghours. Abdel et ses complices marchaient en silence, brisé seulement par les craquement de leurs bottes sur la neige. L’obscurité leur offrait une couverture parfaite. La mission était simple : frapper fort, sans pitié, pour envoyer un message au gouvernement chinois. Ce ne serait pas une embuscade ciblée, mais une extermination totale. Le but n’était pas seulement de tuer, mais de semer la terreur, de laisser derrière eux un village saccagé et totalement rasé.
L’escadron se dispersa rapidement, préparant les premières charges explosives près des maisons de la périphérie. Le village n’était pas très grand, à peine une cinquantaine de chalets en bois surplombés de tôle ondulée. Il était clair que même les tortionnaires chinois ne vivaient pas dans l’opulence. Il se posta devant une maison dont les rideaux étaient fermés, mais dont il distinguait les ombres à l’intérieur. Une famille, probablement sur le point de se coucher, ignorait ce qui allait arriver.
La première charge explosa et fit sauter le poste de police. Les rafales de fusils mitrailleurs retentirent. C’était le signal, Abdel alluma un de ses cocktail molotov qu’il avait confectionnés pendant le trajet. Il jeta la bouteille en verre à travers la fenêtre. Le verre se brisa, et presque aussitôt, les flammes commencèrent à dévorer les rideaux et les meubles. À l’intérieur, des cris étouffés se firent entendre. Abdel, figé, observait la scène. Les hurlements s’intensifièrent alors que les flammes gagnaient du terrain. Il entendit les battements sur la porte qu’ils avaient bloquée avant de mettre le feu. Elle finit par s’ouvrir violemment, un homme portrait un petit enfant dans ses bras, sa femme en robe de nuit le suivait, les hommes postés à l’extérieur tiraient en rafale sur ceux qui tentaient de s’échapper du brasier.
Des maisons entières prenaient feu, des familles enfermées à l’intérieur, condamnées à mourir dans les flammes. Celles qui trouvaient des issues rencontraient les balles des moudjahidines à l’extérieur. Abdel observait le spectacle, partagé entre le dégoût et la satisfaction de la vengeance. Le sang s’étalait sur la neige, les cadavres des familles s'éparpillaient sur le sol et les flammes brillaient sur le visage de Abdel. Malgré l’horreur et le raffut insupportables de la scène, la cause avait gagné ce soir. Pour les opprimés du monde, pour la justice, pour Dieu.
À mesure que le village se consumait, la fumée s'élevait dans le ciel nocturne, et la chair brûlée emplissait les narines. Abdel sentit la victoire l’envahir. Il avait nettoyé la terre de ses tortionnaires qui ne feraient plus de mal. Ils seraient remplacés, oui, mais leurs successeurs devraient reconstruire le village, enterrer les morts, ils continueraient l'oppression mais sur les cendres de leur semblables.
Abdel était l’envoyé de Dieu qui réalisait sa mission. Le sang avait coulé, mais il en réclamait plus. Par le sacrifice de sa propre morale et de sa compassion, il acceptait son fardeau. Allah venait de lui montrer la voie du guerrier. La miséricorde lui avait été donnée, celle attribuée uniquement aux justes. Par delà les horreurs, il ferait triompher le Califat. Quoi qu’on demande de lui, il était dorénavant près à accomplir son devoir. Des innocents n’étaient pas morts aujourd’hui. Ceux qui avaient perdu la vie étaient des pions dans un jeu macabre que lui et ses semblables perdaient depuis des siècles. Il était temps de piper les dés, de reprendre le contrôle, il irait jusqu’au bout et l’on gagnerait un paradis terrestre où règnerait la loi suprême loi de Dieu.
Alors que l'aube approchait et que les flammes mouraient doucement, Abdel et ses hommes se regroupèrent à l'extérieur du village, observant le carnage qu'ils avaient laissé derrière eux. Il ne restait que des silhouettes calcinées et des cendres là où vivaient autrefois des familles de bureaucrates. Il n’y avait aucun survivant, même le bétail et les animaux de compagnies avaient été exécutés. Sur le chemin du retour, Abdel restait silencieux en remerciant Dieu de lui avoir donné le courage d'accomplir sa tâche sans faillir. Les discours de Maulvi Rahimullah résonnaient dans son esprit : « Le sang des infidèles est le seul prix qui peut apaiser notre colère. » Abdel avait laissé cours à sa colère et il ne voulait plus l'apaiser. Plus jamais.
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