Chapitre 27: Fermeture
Joe se réveilla, allégé. Les clés étaient remises, les voyageurs installés et le PC d’Abdel infiltré. Plus de risques, plus de mensonges. Les chinois lui avaient ordonné de rester en retrait. Sa carrière d’espion était terminée pour de bon. Il attendait le meeting avec Madame Lune avec impatience. Pour la première fois depuis des semaines, son anxiété avait presque totalement disparu.
Il allait pouvoir mettre son plan à exécution: acheter un billet d’avion, trouver un hôtel sur une plage paradisiaque et foutre le camp. Mais Il ferait ça plus tard, pour le moment il profitait de sa première grasse matinée d’homme libre. Il aurait aimé retrouver directement le sommeil, mais il ne pouvait s’empêcher de penser à Géraldine. Il avait pris la décision de rompre. Il ne pourrait pas lui offrir sa maison avec jardin. Son épisode d’espionnage lui avait donné, si non pas le goût de l’aventure, l’envie de profiter de chaque instant. Et surtout de vivre sa vie selon ses propres termes. Finie l’humiliation familiale et finis les mensonges sur un futur auquel il n’aspirait pas. La vie qui l’attendait, il se la choisirait lui-même. Même s’il aimait Géraldine, il ne pouvait pas se résoudre à prendre un chemin tracé par elle ou quelqu’un d'autre. Il allait continuer sans elle, sa décision était prise. Il lui devait bien ça. Elle qui l’avait soutenu et compris dans son entièreté, qui l’avait conforté à travers les défaites et les humiliations. Il devait maintenant lui rendre sa liberté pour qu’elle aille chercher ce qu’elle attendait réellement de la vie. Il lui expliquerait, et elle comprendrait.
Son nouveau départ se ferait dans l’honnêteté. Son histoire l’avait-elle vraiment fait mûrir? Ou était-ce simplement l’euphorie de la fin de son contrat avec les chinois qui le rendait optimiste ? Quelque part dans son esprit, l’ancien Joe lui hurlait de partir sans prévenir. De tout laisser en plan et de fuir une fois de plus sans affronter les problèmes. Puis, son téléphone le tira de sa rêverie, son regard se figea en lisant le message d’Abdel :
“Hey Joe, Je voulais te dire que les Musulmans Universels ferment leurs portes après l’aide apportée aux frères ouïghours. Je voulais te remercier de ton aide et de ton soutien. Les fonds ne suivent plus et cela fait un moment que nous n'arrivons plus à nouer les deux bouts. Nous t’avons quand même payé ce que tu avais avancé. Profite bien de ton séjour à l’étranger avec Géraldine. Merci pour tout mon frère.”
Le brûlant lui remonta jusque dans la gorge. Abdel et ses maudits apôtres allaient passer à l’action et plus vite que Joe ne l’avait redouté. Après des semaines d'infiltration, il n’avait de toute évidence pas pu rejoindre le cercle fermé des terroristes. Par contre, Abdel lui rendait la pareille, sans doute pour le remercier de lui avoir sauvé la vie place du Luxembourg. Il n’y avait pas de voyage prévu avec Géraldine, et encore moins à l’étranger. C’était une façon détournée de lui dire de se tenir à l’écart pour quelques jours. Impossible de savoir exactement quand, mais Joe comprit que l’attentat était imminent.
Il allait devoir remettre ses plans à plus tard. Il ne pouvait se résoudre à partir sans être sûr que l’attaque allait être déjouée. Il devait prévenir Madame Lune, il devait se rendre au locaux et visiter le sous-sol. Rassembler des indices et recevoir la confirmation de Madame Lune qu’ils allaient empêcher le pire de se produire. Alors seulement, il pourrait partir. Il voulait évidemment éviter la mort de belges innocents, mais il réalisait surtout qu’il était impliqué dans la conspiration jusqu’aux oreilles. Il avait fait partie de l’association, son nom était sur le bail de l'appartement de la rue Eggericx et sur la réservation du van à l’aéroport, il y avait même l’argent envoyé aujourd’hui même sur son compte. Si l’attaque avait lieu, il serait complice. Il ferait la une des journaux. Joseph Van Lier, le cancre devenu djihadiste. Une chose était d’être détesté par sa famille et ses amis. Il en était une autre de devenir l’ennemi public numéro un d’un pays tout entier.
Il s'habilla en vitesse et se rendit au local des Musulmans Universels. Sur la porte, une page A4 imprimée avait été placardée:
ANNONCE DE FERMETURE DES MUSULMANS UNIVERSELS FRERES UNIS, ASBL
Chers partenaires, bénévoles et sympathisants,
C’est avec une grande tristesse que nous vous annonçons la fermeture définitive de notre association caritative dédiée aux réfugiés issus du monde musulman. Cette décision n’a pas été prise à la légère, et nous souhaitons vous exposer les raisons qui nous ont conduits à cette conclusion difficile.
1. Manque de Financement
Malgré nos efforts constants pour lever des fonds, nous faisons face à un manque de ressources financières critique. Les dons ont considérablement diminué au fil du temps, et nos dépenses dépassent désormais largement nos revenus, rendant notre mission insoutenable.
2. Redéfinition de Notre Quête
Nous avons également pris conscience que notre quête, bien que noble, est devenue extrêmement difficile à poursuivre dans sa forme actuelle. Nous croyons fermement qu’il existe d’autres méthodes, plus efficaces, pour venir en aide aux réfugiés et leur offrir un avenir meilleur. Nous encourageons nos bénévoles et partenaires à explorer et soutenir ces nouvelles voies.
3. Poursuivre Notre Foi
Enfin, nous tenons à réaffirmer notre foi en la religion musulmane et le message de lutte et de détermination d’Allah. Nous restons convaincus que ces valeurs doivent continuer à guider nos actions, même si notre association ne peut plus être le vecteur de cette aide. Nous appelons chacun à trouver en lui la force de continuer à soutenir les plus démunis et à lutter contre l’injustice sous toutes ses formes. Le combat pour un monde meilleur ne s'arrête pas ici, et nous prions pour que tous les croyants s’engagent avec fermeté dans cette lutte.
Nous remercions du fond du cœur tous ceux qui nous ont soutenus durant ces années de service. Votre engagement et votre générosité ont été inestimables, et nous espérons que vous continuerez à œuvrer pour le bien-être de ceux qui en ont besoin.
Avec nos salutations les plus distinguées,
Le Président,
Abdel El Fatouaki
Il voulut pousser la porte, mais elle était fermée. Il fit une visière avec ses mains et couvrit son front pour regarder à travers la vitre, tous les meubles étaient toujours là. Il descendit au sous-sol par la porte dérobée à l’extérieur du bâtiment, là où tout avait commencé, là où le secret de Wen l’avait guidé.
Rien ne subsistait de la présence du groupe terroriste. Joe se tenait là, dans la pénombre, dans cet espace vidé de sa substance. Il ne pouvait faire autre chose que de contempler les conséquences de ses choix. Il avait participé à détruire son pays, à tuer ses compatriotes. Malgré lui, Il avait aidé à creuser la fosse commune et acheté les pelles. Il devrait trouver un moyen de la reboucher par tous les moyens.
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