Chapitre 30: Cellule
Abdel
En rentrant en Belgique, Abdel n’alla pas voir ses parents. Ils n’avaient rien su des mois passés à Tora Bora. Pour eux, Abdel suivait son cursus universitaire en Egypte et avait simplement arrêté de donner des nouvelles. Abdel aurait pu faire un détour par Tubize et frapper à leur porte, mais il n’en fit rien. Le Cheikh lui avait ordonné le respect envers ses géniteurs, mais il n’avait rien dit à propos de l’obligation de visite. Écouter leurs leçons de morale, supporter leurs regards déçus, tout cela l’exaspérait à l’avance. Sa famille désormais, c’était ses frères de sang. Moktar et Fatima ne comprendraient jamais son choix, sa mission, la profondeur de sa foi. Il avait décidé qu’il ne les reverrait plus jamais.
Quelques jours après son retour, un messager le contacta et lui remit des instructions précises pour établir une couverture crédible. Il fallait recruter les membres méthodiquement, et, surtout, garder profil bas. Abdel n’avait pas à tout inventer : on lui fournissait le mode d’emploi. Il s’avérait que créer une cellule terroriste dormante était à la portée de n’importe qui.
Abdel voulut se réinstaller dans son ancien quartier de Tubize, pour exploiter son ancien réseau. Mais rapidement, il comprit qu’il devait établir son QG ailleurs. Tubize qui ne s’était pas améliorée était sous la surveillance constante des autorités, et les policiers n’étaient pas ravis d’apprendre son retour. Il lui fallait un endroit où il pourrait opérer sans attirer les regards. Louvain-la-Neuve, ville universitaire avec ses innombrables associations et sa population estudiantine en perpétuelle effervescence, était idéale. Un nid d’organisations caritatives où une ASBL de plus ne ferait que se fondre dans le décor.
Les instructions étaient claires. Abdel devait former différents cercles et compartimentaliser son réseau. Le noyau dur, celui des fidèles absolus, se composait de quelques hommes qu’il avait soigneusement choisis. Il fit de Aziz, son bras droit, en vétéran de Tubize, Il savait mieux que personne ce qu’Abdel avait vécu et partageait la même soif de sang que lui. Ces hommes étaient prêts à tout, convaincus et endurcis, et portaient en eux la haine nécessaire pour passer à l’action. Ce sont eux qui se réunissaient dans la mosquée clandestine, au sous-sol pour conspirer contre une société qu’ils haïssaient.
Autour d’eux gravitaient une masse de sympathisants radicalisés, des jeunes frustrés, souvent en colère contre une société qu’ils percevaient comme oppressante. Ils parlaient beaucoup, partageaient des idées violentes, mais la plupart n’auraient jamais franchi la ligne. Ils avaient des parents aimants, une petite amie, ou une passion quelconque qui les rattachait au monde des vivants.
Enfin, il y avait les humanitaires. Ces derniers, innocents et sincères, étaient le visage public de l’association. Ils collectaient des dons, organisaient des activités et maintenaient l’illusion d’une organisation bienveillante.
Les "Musulmans Universels Frères Unis”, comme toutes les autres associations du réseau, était officiellement une association caritative. Le local, gracieusement prêté par la ville de Louvain-la-Neuve, était modeste, décoré de posters prônant l’unité et la solidarité. Une petite bibliothèque offrait des livres sur l’histoire islamique et des brochures d’assistance sociale. Mais derrière cette façade respectable se cachait une machine de financement du terrorisme. Sous couvert de projets humanitaires, l’association recevait de nombreux dons de particuliers, d’entreprises, mais surtout des subventions publiques. En plus d’une source de revenus, ces associations étaient un formidable outil de blanchiment d’argent pour le Califat. En camouflant l’argent sale en dons, l’organisation terroriste rendait son capital accessible
En parallèle, Abdel alimentait le pôle médiatique du Califat. Il s’assurait que les vidéos de propagande, les appels à la guerre sainte, et les discours incendiaires contre les "mécréants" circulent efficacement. Ces messages n’étaient pas seulement des outils de recrutement, mais des armes psychologiques visant à semer la peur et la division. Cette fonction lui permettait également de garder un lien avec le Califat et de se tenir au courant des derniers avancements dans la lutte pour la liberté du Turkestan.
C’est dans ce contexte que Wen fit son apparition. Taupe pour les services secrets chinois, Wen s’était fait passer pour un étudiant d’échange venu de Chine. Son histoire de mère enlevée lui attira rapidement la sympathie d’Abdel. De plus, Wen maîtrisait parfaitement le mandarin et avait des liens avec la diaspora ouïghoure. Wen pu financer certains projets d’aides et poster certaines vérités sur les réseaux sociaux chinois, inaccessibles au commun des mortels. Wen avait rejoint le cercles des humanitaires en espérant grimper dans la hiérarchie du groupe. La mission de Wen était double : infiltrer les réseaux islamistes pour récolter des informations sur les moujahidines, et manipuler les données qu’il partageait. Il fournissait de fausses cibles, des plans d’attaque fictifs, tout en documentant chaque mouvement du réseau.
Wen jouait son rôle à la perfection, enregistrant chaque conversation et dessinant peu à peu l’organigramme de l'association, pour les transmettre à ses supérieurs. Tout se déroulait comme prévu, avant qu’une joggeuse ne retrouve son cadavre flottant dans le lac de Louvain-la-Neuve un matin de Janvier.
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