Chapitre 31: Angoisse

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Joe

Il avait placé la gousse verte au creux de sa main. Ses reflets violets et oranges étincelaient dans la pénombre de sa chambre. Joe se mit à l'effriter consciencieusement entre son index et son pouce. Elle n’était pas facile à briser, un peu trop fraîche à son goût, mais son parfum était tellement puissant. Ses mains devenaient de plus en plus moites à l’idée d’allumer son pétard. Il lécha le point de colle le long de la cigarette qu’il défit d’une main experte. Il mélangea le tabac doucement avec la substance verte qu’il venait d'effriter. Il recouvrit son petit tas d’une grande feuille et retourna sa main pour transférer son mélange sur la feuille à rouler. Il glissa le bout de carton qui lui servait de filtre du côté gauche et se mit à rouler le papier doucement qui émirent de petits crissements si familiers. Lorsque le tout fut bien tassé, il lécha la feuille et ferma le cylindre qui formait son joint. Il utilisa le filtre de sa cigarette pour tasser le et ferma le dessus comme un petit bonbon. Au moment de saisir le briquet, une crampe lui tordit l’estomac. Le cannabis avait cet effet sur lui, surtout quand il en consommait trop. Après un rapide détour par les toilettes, il reprit son rituel.

Alors que le joint brûlait lentement entre ses doigts, une phrase de Madame Lune lui revint en tête : “Wen avait oublié ce que nous sommes” Cette pensée le glaça. Les Chinois avaient-ils tué Wen? Pourquoi ? Ils avaient affirmé n’avoir rien trouvé sur le PC d’Abdel, mais Joe ne leur faisait pas confiance.

Il se mit à faire les cent pas en se posant mille et une fois les mêmes questions. La spirale de paranoïa, décuplée par la transe cannabinoïde, commença doucement à se former. Comment arrêter Abdel et sa bande? Ils pouvaient frapper n’importe quand. Demain, aujourd'hui, dans une heure, dans la prochaine seconde.

La réponse évidente était d’appeler la police immédiatement. Mais Joe était complètement impliqué dans l'organisation terroriste. Son nom était partout sur les réseaux sociaux, il avait participé aux événements, il avait aidé les réfugiés. Il avait loué les bagnoles et les appartements. Son nom et sa carte d’identité se trouvaient sur le bail. Il serait forcément arrêté sur le champ. S’il l'était, il passerait des mois voire des années en détention préventive. Et puis il serait jugé. Sa vie serait totalement détruite, et même s’ il était innocenté, son nom serait traîné dans la boue. Du cancre, il deviendrait le cliché de ces paumés qui se font embrigader, la honte la plus totale. Et s’il allait chez les flics, il n’avait pas d’autre choix que de balancer Madame Lune, qui venait de le menacer de mort, excusez du peu.

La deuxième solution qui s’offrait à lui était de prévenir la presse. Il pouvait le faire oui, mais ça leur prendrait au moins un jour ou deux pour publier l’histoire. Ils devraient vérifier ses dires. Pour que ça marche, il fallait qu’on le croie et vite. Et cette solution n’éliminait pas la police, loin de là. Retour à la case départ. Il y aurait peut-être un peu plus de temps entre la publication de l’histoire dans les médias et son arrestation. De toutes les manières pour s’innocenter il allait devoir parler des services secrets chinois, qui le trouveraient et s’occuperaient de lui, même en prison. Échec et mat. Joe était acculé et ne voyait pas de solution à son problème.

La crise d’angoisse le pétrifia sur place. Ses mains se contractèrent en griffes hideuses tandis qu’un tremblement incontrôlable envahit son corps,sa vision se brouilla. Il s'effondra au sol, incapable de tenir debout, un gémissement étranglé s’échappant de sa gorge. Les images s’entrechoquaient dans son esprit : les murs gris d’une cellule qui se refermaient sur lui, Abdel armé d’un pistolet, le sourire cruel de Madame Lune, son père le dévisageant avec dégoût, et Géraldine… Géraldine, la gorge tranchée par Aziz. Sa poitrine se serra si violemment qu’il crut étouffer. Il se recroquevilla, le visage enfoui dans ses mains, des sanglots rauques secouant son torse. L’étau de la situation ne faisait que se resserrer. Il n’y avait aucune issue, aucun salut. Il pensa à se suicider mais ce ne serait qu’un aveu de faiblesse de plus, une tache indélébile de lâcheté qu’il laisserait derrière lui.

Il prit son téléphone, résolu à passer le reste de sa vie en prison. Cela ne pouvait pas être pire que d’avoir des morts sur la conscience. Il composa le 112, il y eu deux sonneries, et une femme déccrocha. Il avait arrêté de trembler et il respirait déjà plus calmement.

— 112, j’écoute dit la voix au bout du fil.

Joe reprenait peu à peu ses esprits. Il ne fallait pas exagérer. Le monde entier pouvait le penser coupable, lui connaissait la vérité. Il avait été complice malgré lui. Ceux qui devaient avoir les morts sur la conscience c’était les espions chinois, c’était les musulmans universels et ceux qui les avaient transformés et poussés à bout. On ne pouvait pas lui mettre tous les maux de la terre sur le dos. Lui, petit grain de sable dans la machine qui avait été manipulé. Il pouvait se reprocher certains choix, mais certainement pas la mort d’innocents. Il ferait tout pour empêcher l’attaque, oui. Mais il ne pouvait pas se résoudre à sacrifier sa vie, ni à la passer en prison. Les victimes de l’attentat, si attentat il y avait, n’auraient pas de chance, comme lui n’avait pas eu de chance de tomber sur Wen et Madame Lune, comme des milliers d’innocents qui mourraient à travers le monde, à chaque instant. Il y avait encore du temps, il pouvait encore déjouer l’attaque et trouver des indices. Il ferait de son mieux et cela suffirait à l’absoudre. Il se pardonnerait lui-même, quoi qu’il arrivait, il aurait la conscience tranquille.

La dame au téléphone répéta

— 112, vous-êtes là?

D'ailleurs en y réfléchissant bien, personne n’allait arrêter l’attaque à temps sauf lui. En fait, le seul et dernier espoir résidait dans sa propre capacité à se montrer plus malin qu’une bande de bras cassés islamistes. Joe les connaissait, il savait que la plupart n’avait pas fini leur école secondaire, sans parler des six combattants ouïghours, tout justes bons à enculer des chèvres. Il n’allait tout de même pas se faire devancer par des bandits en trainings-claquettes incapables de lire un mode d’emploi. Il raccrocha au nez de l'opératrice et se précipita sur son laptop.

Où pourrait bien avoir lieu une attaque de grande envergure ? Bruxelles, bien sûr, était un choix évident. Le match amical Belgique-Pays-Bas au Stade Roi Baudouin du lendemain semblait une cible plausible. Les grands stades avaient déjà été visés par le passé, mais il y avait un hic : ni la Belgique ni les Pays-Bas ne représentaient des symboles particulièrement hostiles au Califat. Trop prévisible. Joe connaissait Abdel, et un stade ça ne lui ressemblait pas, cela demandait trop d’efforts logistiques.

Joe passa mentalement en revue d’autres villes, d’autres scénarios. Il consultat les différents agendas sur internet. Il y avait trop d’options, trop de variables. Impossible de deviner. Il mit sa tête entre ses mains et sentit les larmes monter. Un sanglot étouffé s’échappa, tandis que la spirale reprenait son emprise.

C’est à ce moment-là qu’il aperçut, sur son bureau, une copie de la clé USB qu’il avait utilisée pour infiltrer le PC d’Abdel. Une idée jaillit de son cerveau embrumé. Cette clé ne contenait rien d’exploitable en apparence, mais elle avait transmis les informations quelque part. Ce quelque part était forcément inscrit dans le programme de la clé. Tout était là, il suffisait de chercher.

Joe brancha la clé et examina son contenu. En fouillant les fichiers, il tomba sur le code de la porte dérobée. C’était limpide : la clé avait copié les données du PC d’Abdel et les avait transférées sur un serveur via un accès SSH. L’adresse IP, le nom d’utilisateur et le mot de passe étaient inscrits dans le code, en clair. Les espions chinois avaient commis une erreur, il avait trouvé une faille et il s’y précipita à tombeau ouvert.

Joe ouvrit son invite de commande et saisit les informations nécessaires pour se connecter au serveur étranger. Avec l'adresse IP, le nom d'utilisateur, et le mot de passe qu'il avait trouvés sur la clé USB, il lança la connexion.

Après quelques secondes, une nouvelle ligne apparut à l’écran :

red_star004@212.71.233.57 ~ $

Une simple ligne de commande, clignotant doucement. Joe sentit une bouffée d’excitation. Il venait de pénétrer un serveur secret utilisé par les espions chinois. C'était la plus grande intrusion de sa carrière d'amateur. Mais entrer par effraction n'était que la première étape. Maintenant, il devait se retrousser les manches et trouver des indices et vite.

Il tapota une commande pour afficher les dossiers disponibles. Une liste apparut à l'écran : une douzaine de noms, chacun désignant un répertoire. Il commença par explorer un dossier nommé "mu_uni_leader". Les mêmes fichiers qu'il avait déjà vus sur le Google drive des musulmans universels apparurent à l’écran. Des photos d’événements, des brochures, rien de particulièrement intéressant.

Il continua de fouiller et tomba sur un dossier intitulé "lln_agent_001". Là, il trouva des informations plus curieuses : des photos et des vidéos des membres des Musulmans Universels, des listes d’adresses, des relevés bancaires. Rien d’utile mais assez pour se rendre compte que l'association gérait une somme d'argent considérable – près de trois cent mille euros sur leur compte courant. Une somme bien trop importante pour une petite organisation humanitaire.

Puis un nom attira son attention : "mum_lln_termination". Ce dossier semblait différent, il semblait contenir des fichiers vidéos beaucoup plus volumineux. Joe les sur son ordinateur et cliqua sur le triangle pour démarrer la lecture de la première vidéo.

La pièce étroite était éclairée uniquement par un néon blanc. Madame Lune était assise sur une chaise métallique, les jambes croisées, son regard froid fixé droit sur la caméra. Il reconnut l’endroit où il avait fait la rencontre Madame Lune pour la première fois. Elle portait une chemise blanche sur son tailleur bleu marine impeccable, elle tenait une cigarette au filtre doré du bout des doigts.

— Identifiez-vous, ordonna une voix masculine, hors champ.

— Matricule 6436753, Nom de code Lune, Division Opérations Extérieures, répondit-elle d’une voix glaciale.

— Vous savez pourquoi vous êtes ici? Demanda la voix

— Vous voulez savoir ce qui est arrivé à Wen Li. Répondit-elle en levant les yeux au ciel.

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