Chapitre 32: FlixBus
Wen - Douze heures avant la découverte du corps
Wen se trouvait dans les toilettes étroites et mal éclairées de la gare du Nord, l’esprit en ébullition. Il était à quelques minutes de son départ pour l’Espagne, première étape d’une fuite soigneusement planifiée. Le faux passeport dans sa poche lui pesait par tout ce qu’il symbolisait : sa liberté retrouvée, l’abandon de tout ce qu’il avait été. Il jeta un dernier regard à son téléphone. Il avait effacé tout ce qui pouvait le compromettre. Avec son couteau de poche, il forçat le boîtier métallique de son smartphone et se mit à le démonter en plusieurs morceaux. Il s’en débarasserait au fur et à mesure dans des poubelles publiques.
Wen avait mémorisé sa clé bitcoin, les douze mots qui donnaient accès au pactole, mais Il avait aussi gardé une sauvegarde dans son appartement à Louvain-la-Neuve, avec quelques documents confidentiels, son ultime garantie en cas d’imprévu. Quelqu’un pourrait les récupérer en personne si son plan venait à foirer. En réalité, il n’en avait pas vraiment besoin mais ses années d’entraînement rigoureux lui avaient appris à minimiser les risques.
Cet argent, il l’avait détourné avec patience et discrétion, une opération minutieuse qui lui avait pris des mois. Cela avait commencé par de petites sommes. Lorsqu’il gérait les fonds des Musulmans Universels pour leurs collectes et leurs activités, il avait redirigé des fractions de paiements vers des portefeuilles anonymes. Ce n’était pas grand-chose, mais avec le temps, cela s’était accumulé. La plus grosse somme était venue d’un "subside" de l’Etat Belge, sans rien dire, Wen avait postulé pour un subside généreux du gouvernement belge pour financer leurs activités humanitaires. En un rien de temps, il avait siphonné suffisamment d’argent pour sponsoriser son nouveau départ.
Pourquoi fuir maintenant ? La réponse était la même depuis un bon moment : vingt ans de loyauté envers un système qui l’avait réduit en esclavage. Il avait été recruté à l’âge de dix ans directement depuis l’orphelinat. Acheté comme un vulgaire outil au Brico market. De toute sa vie, Il n’avait connu que la solitude de la pension miséreuse dans laquelle il avait grandi et les ordres et la discipline militaire de ses supérieurs. Il en avait assez. Assez de tuer, assez de mentir, assez d’être un pion dans un jeu dont il ne comprenait même plus les règles. Assez de traîner avec les ces fanatiques illettrés assoiffés de sang qui tuent leurs frères au nom d’un dieu injuste et intolérant. Il voulait retrouver une vie normale, trouver une femme, fonder une famille, ces projets qui lui étaient refusés depuis sa naissance.
En Belgique, il avait découvert quelque chose qu’il n’avait jamais connu auparavant : l’envie d’être libre. Il voyait des types comme Joe, irresponsables, insouciants, et pourtant libres de faire ce qu’ils voulaient. Pourquoi pas lui ? Pourquoi devait-il porter la responsabilité de protéger son pays ? Qu’avait-il fait pour mériter un tel fardeau ? On ne le payait même pas à sa juste valeur, comme tout fonctionnaire qui se respectait, la reconnaissance du Parti était son unique récompense.
Il rêvait de recommencer ailleurs, d’ouvrir des entreprises, peut-être en Afrique, là où il serait un investisseur anonyme. C’est ça qu’il était né pour faire, où ses talents pourraient réellement servir à construire quelque chose. Une centrale électrique, une usine, un hôtel de luxe. Lui qui avait passé tant de nuits dans les palaces du monde voulait, cette fois, être maître de son propre destin.
Un bruit, un éclat de voix au loin le ramena à la réalité. Il se lava les mains et jeta un coup d’œil rapide à son reflet dans le miroir fêlé. Deux hommes en vêtements de sport stationnaient à quelques mètres, près de l’entrée. Il détourna les yeux. Mais il savait. Ils étaient là pour lui.
Il quitta les toilettes d’un pas rapide, se dirigeant vers la gare routière au sous-sol de la gare où son FlixBus l’attendait. Le plan était simple : traverser l’Espagne, prendre un ferry pour le Maroc, et disparaître.
Les deux silhouettes lui collaient toujours au basques. Le cœur battant, Wen accéléra le pas. La foule de la gare devint son refuge, mais il savait que ce ne serait qu’une question de temps avant qu’ils ne le rattrapent. Il bifurqua dans une allée latérale et sortit de la gare en espérant semer ses poursuivants. Mais cela ne suffit pas, un autre binôme à l’attendait à la sortie.
Wen tenta de prendre une autre direction, à l’opposé des deux gaillards qui se précipitaient vers lui. Wen se retourna, prêt à sprinter, mais il n’eut pas le temps de réagir. Une femme se tenait devant lui, surgissant de nulle part. Avant qu’il ne puisse bouger, elle lui souffla une poudre fine au visage.
La brûlure fut immédiate. Sa gorge se serra, ses muscles se tétanisèrent. Wen reconnut les symptômes tout de suite : un agent neurotoxique. Son souffle devint court, sa vision se brouilla. Ses jambes cédèrent. Il s’effondra sur le sol froid et humide, incapable de bouger. Il se mit à convulser et à vomir du sang. Le novichok est conçu pour tuer en quelques minutes. Il fallut au poison seulement quatre-vingt-six secondes pour venir à bout de Wen Li. Ce furent les plus longues de sa courte vie d’espion.
Les deux hommes le rejoignirent rapidement. Ils fouillèrent son corps, récupérant les parties de son téléphone et son faux passeport. L’ambulance factice attendait déjà au coin de la rue, elle arriva pour emporter Wen, comme si un simple badaud avait souffert d’un malaise.
Quelques heures plus tard, son corps fut jeté dans le lac de Louvain-la-Neuve. Pour les passants, pour la police, ce serait un simple accident, un homme ivre tombé au mauvais endroit au mauvais moment. Mais Wen Li, espion chinois, et détourneur de fonds, avait signé sa fin le jour où il avait choisi de démissioner. Les Chinois ne pardonnaient jamais.
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