Chapitre 33: Interrogatoire
Joe
Joe entendait le bruit familier du néon vibrer à travers la vidéo qu’il venait de lancer de son ordinateur. Madame Lune recroisa les jambes et la voix, hors-champ, continua
— Parlez-moi de votre mission en Belgique.
— Nos analystes ont découvert des liens avec le Califat en décortiquant les métadonnées des vidéos postées sur les réseaux sociaux. On avait également l’intuition que certains de leurs membres avaient été entraînés par le Cheikh Rahimullah en Afghanistan. Nous espérons rassembler des informations sur le réseau clandestin Ouighour en Chine mais aussi sur le fonctionnement de réseau en Europe et au-delà. Expliqua Madame Lune.
— Comment comptiez-vous vous y prendre?
— Protocole standard. On a envoyé un agent sous couverture pour tâter le terrain et infiltrer les groupes suspects.
— L’agent Wen Li.
— L’agent Wen Li.
— Et que s’est-il passé?
— Pendant les premiers mois, pas grand chose. Wen allait aux cours, il a pris un certain temps pour se fondre dans la masse. Il allait de conférence en conférence pour dénicher des infos. Il finit par trouver un groupe suspect, les musulmans universels. Ils semblaient avoir beaucoup de moyens pour une petite association de quartier et c’est là que son travail d’infiltration a commencé.
— Qu’avez-vous découvert?
— En faisant des recherches sur le leader, nous nous sommes aperçu qu’il avait disparu pendant quelques mois. On l’a retrouvé au Caire et puis en Afghanistan. Il ne nous restait plus qu'à le berner et voler ses infos.
— Et?
— Et tout ne s’est pas passé comme prévu. Notre agent, Wen, a décidé de déserter. Nous l’avons retrouvé au moment où il s'apprêtait à foutre le camp. On s’est débarrassés de lui et on a fait croire à un accident avec l’aide de la police locale.
— Vous n’aviez rien vu venir?
— Non. Je sentais qu’il était de moins en moins confortable à l’idée de faire copain-copain avec les djihadistes. Je n’avais aucune idée qu’il comptait se sauver.
— Comment vous l’expliquez?
— Wen a été enlevé dans notre institution depuis l’orphelinat. Son cerveau a été programmé malgré lui. Nous n’avons pas su dominer sa conscience jusqu'au bout. Une leçon à retenir pour les recruteurs.
— Il croyait vous berner.
— J’ai eu de la sympathie pour lui. J’aurais dû être plus dure. Il a dû prendre mon égard pour de la faiblesse.
— Et l’argent?
— Je dois reconnaître qu'il a été plus malin que nous sur ce coup. Il a récolté des subsides de l’Etat à l’insu des djihadistes et il détournait nos fonds et ceux des musulmans universels. Il a bien failli réussir son coup. Si on ne l’avait pas pris en filature, il nous aurait échappé.
— Votre agent a failli déserter sous votre nez, vous voulez une médaille?
— Quand tout sera terminé, je l’aurai ma médaille faites moi confiance.
— La mission n’est pas terminée. Vous êtes dans une position délicate….
— J’ai connu pire.
— Pékin veut vous remplacer.
— Il faudra plus qu’un gratte papier comme vous pour me déloger.
— Vous avez un plan?
— Bien entendu. Et j’ai déjà trouvé un candidat pour remplacer Wen.
— Son colocataire.
— Oui. Pleutre et manipulable à merci. Il nous obéira au doigt et à l'œil. Nous obtiendrons ce que nous voulons, je vous le garantis.
— Pékin n’a pas du tout apprécié la perte de notre agent. Vous marchez sur des œufs. Bien, j’ai ce qu’il me faut. Je transmettrai votre dossier au comité central. Vous savez ce qui vous attend si vous échouez.
— Allez vous faire foutre.
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Le visionnage de la vidéo l’avait profondément déprimé. Joe n'était qu’un pion dans ce jeu qu’il comprenait des années lumières après tout le monde. Il avait été manipulé par Madame Lune, ce qui avait été loin de le surprendre. Mais elle avait ordonné la mort de Wen. Sans aucun scrupules, ni remords. Vous avez joué et vous avez perdu. Joe était terrifié à l’idée de la revoir un jour.
Un autre fait marquant que Joe avait découvert dans la vidéo était l’implication de la police dans la dissimulation de la mort de Wen. Cela expliquait pourquoi l’inspecteur Goossens avait été tellement réticent à l’idée de faire son job. Cela confortait aussi Joe dans l’idée qu’il ne pouvait pas aller à la Police. Dieu sait ce que Madame Lune leur avait dit.
Il était vingt-deux heures trente, Chez George, l’épicerie du coin allait bientôt fermer. Il avait besoin de carburant pour continuer ses recherches. Il mit son manteau et partit s’acheter des grandes feuilles, du tabac et des blocs entiers de chocolat. L’esprit embrumé par ses joints et la panique il erra dans l’épicerie en se parlant pendant ce qui sembla une éternité.
Il choisit finalement une pizza surgelée, deux tablettes de chocolats et il pria l’épicier de lui donner un paquet de Camels bleues et des grandes feuilles. Il sortit sa carte qu’il plaça sur la borne pour régler le montant affiché sur la caisse enregistreuse et il se dirigea vers la porte de sortie.
Une affiche était placardée sur la porte de l’épicerie. Le ballet de Shangaï faisait une représentation unique de “In the mood For Love”, le lendemain soir à la Aula Magna de Louvain-la-neuve. Joe saisit son téléphone et composa le numéro. C’était l’appel de la dernière chance.
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