Chapitre 38: La nuit du 7 mars (1)
L’attaque se produisit un mardi soir aux alentours de minuit. Une foule considérable d’étudiants était rassemblée aux alentours du bâtiment en briques beiges du la rue du Buret. Le Cercle des Etudiants de Sciences Économiques, le CESEC, était l’un des endroits nocturnes les plus populaires du mardi. Des centaines d’étudiants s’y rassemblaient, discutant, buvant des bières et profitant joyeusement de la soirée. L’ambiance y était généralement très bonne, sans bagarre et beaucoup de rires. La masse humaine louvaniste avait une odeur bien particulière. Habitués à se salir, les étudiants portaient des vêtements prévus pour la fête, ils ressemblaient bien souvent à des clochards, arborant des chaussures et des pantalons troués et s’emmitouflaient dans plusieurs couches de pull à capuche. Les étudiants portaient souvent les mêmes vêtements couverts de bière séchée et de boue toute la même semaine pour sortir, ce qui donnait une note florale particulière à toute interaction sociale après vingt et une heure dans les rues de la ville.
A vingt-trois heures le mardi, la fête battait déjà son plein depuis au moins une heure. Une dizaine de nouveaux couples s'étaient déjà formés, les barmans avaient déjà remplacé quatre fûts de bière et servi une bonne dizaine de litres de pastis. La playlist “chanson française” de Spotify arrivait bientôt au bout de sa première boucle, on entendait à peine chanter Joe Dassin au-dessus du brouhaha. La petite place autour du bâtiment, noire de monde, était éclairée par plusieurs lampes puissantes placées en hauteur, accrochées sur les pans du bâtiment universitaire juste à côté et qui diffusaient une lumière orangée et éblouissante. Il était difficile de distinguer les visages dissimulés par des capuches mais aussi à cause du contre jour orangé. La foule n’était qu’une mer d’ombres noires flottant dans les ombres jaunâtres des lampes au sodium.
Quand les premiers coups de feux retentirent, on crut d’abord à un feu d’artifice. Après tout, le Cercle avait habitué aux excès festifs en tous genres, et tous les prétextes étaient bons pour ajouter du spectacle et de l’excitation à la fête. C’est au moment où les premières victimes tombèrent que l’ont compris que ce n’était pas une bonne surprise organisée par le comité. Les six terroristes étaient arrivés par les trois issues convergeant vers le Cercle. Les premières rafales firent immédiatement une cinquantaine de morts. Les kalashnikovs tiraient dix balles par seconde; l’imprécision grandissante à chaque seconde. Mais la masse d'étudiants était impossible à rater. Le sang se mêla à la bière et au pastis et la fumée de chaleur humaine fut remplacée par celle des fusils d'assauts.
Une dizaine d’étudiants plus rapides se sauvèrent en direction du lac et évitèrent le massacre. D’autres moins chanceux et attirés par le bruit de feux d’artifice furent abattus sur place. La porte du Cercle qui s’ouvrait vers l’extérieur avait été directement bloquée par la foule essayant d’échapper à l’attaque et qui voulaient se réfugier à l'intérieur. Lorsque la première vague de l’attaque, celle qui avait surpris tout le monde, s'arrêta, une cinquantaine de cadavres jonchait le parvis du cercle étudiant.
Il restait encore quatre-vingt-trois personnes à l’intérieur. Le silence retomba et les cris de douleur recouvrirent les cris des assaillants. Le commando n’avait pas l’intention de laisser de quartier. L’un d'eux se dirigea vers la porte l’ouvrit, dégoupilla deux grenades l’une après l’autre et les lança aussi loin qu’il put dans le bar qui empestait la bière et la pisse.
Alors que le premier groupe se dirigeait vers la salle de spectacle, six des autres combattants du Califat firent irruption dans la Casa, autre lieu de rassemblement et de vie étudiante emblématique située à la Place des Sciences à environ un kilomètre de là. Ce cloaque bibitif était une boîte de nuit en souterrain, une cible idéale pour qui voulait faire un maximum de dégâts. Comme au Cercle de Sciences-Éco on ne comprit pas toute de suite qu’il s’agissait d’une attaque terroriste. Quand six gars tout de noir vétus débarquèrent place de sciences, on ne distingua pas leur armes automatiques. On les prit pour un groupe d'étudiants qui préparaient une blague.
Ils ouvrirent le feu, transformant instantanément la joie en chaos, la musique et les rires cédant la place aux cris d’effroi. L’écho provoqué par les fusil mitrailleurs rendait l’assaut encore plus effrayant. Par chance, le Casa n’était pas très fréquentée au moment de l’attaque. Le mardi le haut de la ville était plutôt calme et le cercle d’agronomie avait fermé pour une raison ou une autre.
Quand le silence retomba dans le souterrain, on comptait une trentaine de morts. La Casa qui d’habitude était déjà d’un sordide à peine supportable était devenu un tombeau obscène, les colonnes en béton bardées d’éclats de balles, le sol collant et recouvert de cervelle et de sang. Une fois leur besogne accomplie, ils se mirent en route. Il fallait rejoindre les autres dans le sud. Le parcours entre la place des sciences et la salle de concert ne durerait que quelques minutes, cinq, six tout au plus en courant de toutes leurs forces. Une fois rassemblés, il passeraient au clou du spectacle sanguinaire qu’ils avaient planifié depuis si longtemps.
Ils remontèrent les escaliers quatre à quatre et au moment de sortir du vestibule au rez-de-chaussée, une pluie de balles s’abattit sur eux. Pris par surprise, les membres du commando terroriste furent forcés de se replier dans la cage d’escalier plongée dans l’obscurité. Le groupe armé qui les prenait pour cible semblait parfaitement organisé, les tirs précis les maintenaient coincés, rendant impossible toute tentative de fuite.
Le flux de balles continuait sans relâche. Dans un ultime effort, les terroristes tentèrent une manœuvre désespérée : ils lancèrent des fumigènes pour dissimuler leur évasion. Mais les grenades roulèrent trop loin, sans offrir la couverture espérée. L’un des hommes, essayant de franchir le vestibule, fut touché à la jambe par un tir et s’effondra. Il se vidait lentement de son sang dans l’obscurité du hall.
Les cinq autres survivants étaient coincés. Il n’arriveraient pas à descendre dans le bas de la ville à temps. On se serra dans les bras, on se dit au revoir et on se mit à prier. Cela dura à peu près une minute. Puis les tirs cessèrent soudainement. Un silence lourd envahit les lieux, bientôt brisé par des pas rapides et des cris lointains. Leurs ennemis donnaient l’assaut final. Les terroristes se préparèrent à une dernière défense, braquant leurs armes en direction de la porte. Mais ils ne purent rien faire contre les cinq grenades qui furent projetées dans leur refuge.
C’en était fini du second commando des Musulmans Universels. Bilan de l’attaque de la Casa: vingt-sept morts ainsi que les six membres du commando. Comme le premier escadron, il était composé à moitié de voyageurs ouïghours et belges radicalisés par les Musulmans Universels. Aziz, le ketje de Ganshoren, était parmi ceux-ci.
Le premier commando, après avoir massacré les étudiants du CESEC se dirigea vers la grand place. Le spectacle venait de se terminer à la Aula Magna. Le ballet de Shanghaï avait rendu une performance exceptionnelle qui avait bluffé le public belge. Le commando arriva juste avant la fin du dernier acte. Il se glissèrent dans la salle des pas perdus en ayant pris soin de cadenasser les portes derrière eux. Ils bloquèrent ensuite les sorties de secours et executèrent les employés de la salle de spectacle dans un claquement effrayant. Les applaudissements cessèrent immédiatement et les spectateurs apeurés se mirent à hurler et essayèrent de fuir vers la sortie. Les places de l’Aula Magna étaient accessibles par des long escaliers suspendus au-dessus de la grande salle. Il était très facile pour les assaillants d’atteindre les spectateurs avec leur fusils d'assauts depuis le rez-de-chaussée.
Les guerriers du califat se mirent en joue, et commencèrent à canarder. Les premières victimes furent projetées dans le vide, dévalant les escaliers avant de s’écraser lourdement deux étages plus bas. Quelques courageux tentèrent de se jeter ou d’esquiver les tirs, mais aucun n’atteignit le sol en vie. Terrifiés, les autres battirent en retraite, se réfugiant dans les rangées de sièges de la salle de spectacle, en priant pour que le cauchemar se finisse et qu’on vienne les sauver.
C’est par le sous-sol que la contre-offensive démarra. La milice n’avait pas anticipé la fermeture des portes et ils durent s’introduire dans l’immeuble par les caves qui n’avaient pas été bloquées. Ils avaient tenté d’anticiper les plans des djihadistes mais n’avaient pas prévu qu’ils bloqueraient leur propre sortie. Cela ne pouvait vouloir dire qu’une seule chose: Ils allaient aller jusqu’au bout. Ils ne comptaient pas sortir vivants de leur attaque. Ils entendaient les détonations qui se déroulaient un étage plus haut. Ils sprintaient aussi vite que possible, leur bottines claquant sur le sol en béton lissé du cube moderniste qu’était la salle de spectacle. Ils arriveraient trop tard c’était certain. Ils ne pourraient pas tous les sauver, mais ils empêcheraient le pire d’arriver.
Les corps jonchaient déjà les escaliers suspendus de la salle. Le sang dégoulinait des étages pour s’écraser sur le faux marbre noir du sol. Il fallait verser du sang d’infidèle, mais le véritable but était de prendre des otages et de faire durer l’épisode le plus longtemps possible. Le commando passa à la seconde phase de leur plan. Ils maintiendraient la prise d’otage le plus longtemps possible et à la dernière minutes, avant l’assaut des forces de l’ordre, ils activeraient leurs vestes explosives et ils feraient tout sauter. Mais avant, on donnerait au public un dernier show.
Les quatres assaillants cherchèrent les diplomates chinois dans les loges mais n’en trouvèrent aucun. Le tuyau du messager s’était avéré bidon. A leur place, ils saisirent cinq otages au hasard et les amenèrent sur scène. Il les assirent sur des chaises et les tinrent en joue. Ensuite ils ordonnèrent aux otages dans les gradins de sortir leur téléphones et de diffuser en direct ce qui allait suivre.
L’un des terroristes sur scène retira sa cagoule, c’était Abdel et il déclara:
— Les chiens mourront sous l’épée d’Allah. Il tira une balle dans la tête d’un des prisonniers sur la scène qui s’écroula sur le sol. L’assemblée poussa un hurlement mais on les força à diffuser la suite,
Abdel poursuivit:
— Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, Aujourd'hui, vous assistez à la réponse de la communauté des croyants, face aux crimes commis contre nos frères et sœurs. Cette terre d'injustice où nous vivons, cette Europe corrompue par ses pactes avec les tyrans, a ignoré trop longtemps les souffrances des musulmans persécutés. Nous ne pouvons plus rester silencieux alors que des millions de nos frères Ouïghours sont torturés, emprisonnés, effacés par la main infâme du régime chinois.
Nous sommes le bras armé de la justice divine, et nous frappons au nom de tous ceux qui n'ont plus de voix. Allah nous a ordonné de combattre les oppresseurs et de venger les innocents. Vous, spectateurs de ce monde pourri, regardez bien ce qui arrive quand vous ignorez nos frères en souffrance.
Aujourd'hui, la Chine paiera pour ses crimes, et l'Europe, qui ferme les yeux, sera tenue responsable. Chaque vie prise ici est une réponse à un million de vies musulmanes volées. Nous continuerons à frapper jusqu'à ce que justice soit faite. Que le sang de nos martyrs soit vengé, et que nos ennemis tremblent. Allahu Akbar !
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Les Serbes avaient émergé du sous-sol quelques minutes auparavant. Nombre d’entre eux avaient vécu la guerre, la vraie. Celle du Kosovo des années quatre-vingt-dix. Tous anciens membres de l’armée nationale, ils avaient cru dans la grandeur de leur pays. Ils avaient voulu le protéger malgré tout, ne pas le laisser se morceler. Finalement, pour eux, ce fut une défaite totale. Défaite morale, ils avaient été qualifiés de nouveaux nazis et le monde entier s'était dressé contre eux. Défaite militaire lorsque leur armée dû accepter la reddition. Alors ils avaient fui. Comment retrouver une vie normale après un tel échec? Les plus féroces étaient devenus mercenaires dans le monde entier. Le cynisme de la défaite en avait fait non plus des patriotes, mais des capitalistes vendant leur talents au plus offrants. D'autres, fatigués de la lutte armée, se tournèrent vers le crime organisé. Tous avaient répondu présent quand Dardan avait appelé.
Les Serbes étaient en supériorité numérique et en d’autres circonstances il aurait été un jeu d’enfant de déloger les terroristes. Malheureusement, les otages ainsi que les vestes explosives des djihadistes rendaient la tâche plus difficile.
Pris par surprise, les Musulmans Universels perdirent immédiatement un des deux guerriers qui étaient resté au niveau inférieur. L’autre se réfugia derrière le bar et se mit à tirer en direction du groupe armé, ils leur fallut seulement quelques instants pour lancer une grenade dans sa direction. Il sortit de sa planque et évita l’explosion de justesse. Il se mit à courir entre les colonnes mais il périt sous les feux ennemis avant d’atteindre l’escalier.
Les Serbes prirent d’assaut les marches et pénétrèrent dans la salle de spectacle. Abdel écarquilla les yeux en voyant surgir un groupe de quinze armoires à glace lourdement armées. Rien à voir avec les renforts qu’il espérait encore.
La surprise paralysa Abdel une fraction de seconde, juste assez pour que les Serbes ouvrent le feu. Abdel réagit en hurlant un ordre, abattant froidement un autre otage pour tenter de reprendre la main. Mais la milice ne perdit pas de temps. Les tirs fusèrent, remplissant la salle d’un fracas assourdissant, les impacts éclatant contre les fauteuils et les murs. Les spectateurs accroupis sous leurs sièges, leurs mains sur leurs oreilles hurlaient de terreur.
Les terroristes, bien que formés, n’étaient pas de taille. Malgré leur entraînement, ils manquaient de l’expérience et de la coordination de ces combattants aguerris. Ils ripostaient à l’aveugle. Abdel sentit la panique s’emparer de ses hommes. Deux d’entre eux, mal positionnés, furent rapidement neutralisés par des tirs précis.
Le streaming, qui continuait à retransmettre en direct l’exécution et le chaos, s’interrompit soudainement après sept longues minutes d’horreur.
Acculé, Abdel ne se laissa pas prendre facilement. Tandis que les Serbes progressaient en colonne serrée, il utilisa le chaos pour tirer à travers les sièges, fauchant deux Serbes d’un tir en rafale. Leur chute créa une ouverture, un moment d’hésitation dans les rangs de la milice. Abdel saisit sa chance. Il bondit par-dessus les sièges et se dirigea vers la scène, esquivant les balles qui sifflaient autour de lui.
Pendant ce temps, les deux derniers membres de son groupe, complètement dépassés, prirent une décision désespérée. Ils enclenchèrent leurs gilets explosifs. Deux détonations retentirent, secouant la structure de la salle. Heureusement, les explosions ne firent pas d’autres victimes que leurs porteurs.
Abdel, lui, s’enfuit par l’arrière-scène. Il trouva une sortie de secours laissée ouverte et s’y précipita. Haletant, blessé mais vivant, il sortit du bâtiment en direction du Lac, en boitant, laissant derrière lui son accomplissement macabre.
Le travail terminé; les Serbes sortirent par là où ils étaient arrivés, ramassèrent leurs deux morts, sautèrent dans leur camionnette et repartirent comme ils étaient venus. La police fédérale qui était arrivée dix minutes plus tôt parvint enfin à s’introduire dans le bâtiment pour découvrir le massacre que les journaux allaient désormais appeler “la nuit du 7 mars”.
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