Chapitre 39: La nuit du 7 mars (2)

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Joe était en train de percer des trous dans ses disques durs avec sa DeWalt électrique pendant que ces cartes SIMs se consumaient dans le vieux four à micro-ondes du kot. Son sac de sport, prêt, contenait un peu d’argent liquide et de quoi tenir deux jours. Le chauffeur de Dardan devait arriver d’une minute à l’autre. Quand on frappa à la porte, il se précipita pour ouvrir. Ce n’était pas son chauffeur. C’était Abdel. Son pull était trempé de sang, il tenait son bras droit contre son flanc, visiblement blessé. Son visage était livide.

— Joe… Il faut que tu m’aides.

Joe resta figé, incapable de dire un mot. Abdel entra sans attendre d’y être invité.

— Ferme la porte, mec. Ils me cherchent.

Joe ferma mécaniquement, le cerveau en surchauffe. Abdel s’écroula sur le canapé du salon.

— Mec, t’as pas idée… On les a eus. Ces fils de chien. On va rester dans l’histoire. On est éternels. Mais quelque chose a merdé… Des gars armés jusqu’aux dents. On nous a balancé. Il poussa un long soupir. Il avait du mal à parler.

— Passe moi ton téléphone, il faut que je les prévienne, ils viendront me chercher, tu viendras avec moi. Dit Abdel en enlevant son t-shirt, qu’il se préparait à utiliser comme bandage de fortune. Quand ils sauront que tu m’as sorti de là, ils te feront rentrer parmi les frères, c’est sûr.

Abdel baissa les yeux et remarqua le sac posé près de la porte. Il vit les composants électroniques et le micro-onde tourner à plein régime et sentit l’odeur de brûlé. Il regarda Joe d’un air inquisiteur, il remarqua qu’il portait son manteau et surtout ses regards insistants vers la porte.

— Y’a un problème? Tu t’en vas? Demanda-t-il Abdel

— Non non, je vais chercher mon téléphone, je crois qu’il charge en haut.

Abdel se leva et dégaina son arme. Il la braqua sur Joe qui leva doucement les mains.

— Qu’est-ce que tu trafiques?

— Rien, j’essaye de t’aider. Dit Joe.

Abdel remarqua enfin la bouteille de vodka et les deux verres posés sur la table du salon.

— T’es pas seul?

La chasse d’eau retentit dans l'appartement. Abdel tourna la tête.

Dardan sortit calmement des toilettes, l'œil dans la mire de son Glock. Abdel pivota pour faire face à la nouvelle menace, mais il n’eut pas le temps de réagir. Une balle le frappa en pleine tête. Joe regarda le corps d’Abdel s’effondrer au sol, atterré. Le leader des Musulmans Universels, Abou Souleymane, le cerveau des attentats du 7 mars, gisait dans une mare de sang sur le carrelage poisseux de son appartement, entre les poubelles et les casiers de bière vides.

— T’avais pas envie de te grouiller? Demanda Joe.

Le Serbe rangea son arme tranquillement et dit:

— Je ne me suis même pas lavé les mains. Le chauffeur vient d’appeler, il vient d’arriver. On s’occupe de lui, dit-il en pointant le cadavre, tu peux y aller.

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Joe était assis à l’arrière de la Mercedes, contemplant la nuit belge qu’il voyait pour la dernière fois. Il était deux heures du matin et il avait demandé au chauffeur de faire un dernier passage dans le centre de Bruxelles. Il ne vit pas la Grand’Place à son plus grand désespoir mais il pu s’imprégner une dernière fois de son paysage préféré. Son 3310 sonna.

— On les a eu. On a réussi à tous les buter. Mais pas avant qu’ils ne fassent un gros carnage au cesec et à la casa. Je suis désolé. Dit Dardan.

— Combien de morts? Demanda Joe

— Au moins cent . C’est ce qu’on a pu avoir avant de déguerpir. Les flics sont arrivés plus de trente minutes après le premier coup de feu, on espérait qu’ils arrivent avant.

— Et les terros?

— Tous morts. Le seul qui est sorti de l’Aula Magna c’était Abdel. Et tu sais ce qui lui est arrivé. On les attendait au ballet cachés dans les parkings de la Grand'Place, on n'imaginait pas qu’il commenceraient leur carnage dans les cercles étudiants. On a repéré le premier groupe dans le haut de la ville et on les a suivis. On a perdu du temps, on a essayé de les rejoindre pensant qu’ils avaient peut-être changé de plan.

— Vous ne pouviez pas le savoir, tu as fait le mieux possible avec les infos que je t’ai données. L’important c’est qu’ils soient hors d’état de nuire et qu’on ait tout de même réussi à sauver quelques personnes.

— Quelques personnes ?! Il y avait mille deux cents spectateurs dans la salle de spectacle, plus tous ceux qu’ils auraient zigouillé sur le chemin. On a fait du beau boulot, petit.

— Des pertes de ton côté?

— Abdel a réussi à tuer deux de mes hommes. On s’en remettra. C’est les risques du métier. On est pas des petites cailleras de rue qui mettent une cagoule et font sauter des pétards pour s’amuser. Ils n’avaient vraiment aucune chance. Ceux de la Casa se sont fait piéger comme des bleus, coincés dans le sous-sol. Les connards de la Aula Magna auraient connu le même sort sans tuer personne s’ils n’étaient pas passés au Cesec avant. Ils ont eu de la chance de mourir tout de suite. Si on avait eu plus de temps, on les aurait emmenés chez notre boucher.

— Ces salauds, j’en reviens pas. Ils auraient mérité qu’on leur arrache les couilles au fer blanc. En tout cas, deux mille euros par homme, c’était bon marché. Très bonne expérience, on mettra cinq étoiles sur Yelp. répondit Joe.

— T’es vraiment sûr de ce que tu fais? On pourrait avoir besoin d’un gars comme toi. Dit le Serbe.

— Je prends ma retraite, Dardan. Je ne peux pas rester. Les flics ou la presse finiront bien par me retrouver. Quand ils sauront que j’ai aidé les services chinois et participé au transports et à la logistique des attentats, même si je suis innocenté, ils me jetteront en prison pendant des années en attendant le procès. J’ai autre chose à foutre de ma jeunesse.

— C’est toi qui vois. On a pas dû être trop inventifs pour ta disparition, on a éparpillé ton portefeuille, tes cheveux, tes vêtements dans la Casa. Ils ne trouveront pas ton corps mais les flics ont autre chose à faire, ils penseront que tu as été pulvérisé. On s’est aussi occupé de tous tes appareils électroniques qui restaient, on les as défoncés à coup de marteau et semés dans le canal. Ton chauffeur a tes nouveaux papiers et j’ai fait acheter les billets d’avions comme tu me l’as demandé, je vous ai surclassés en première.

— Je crois que c’est un Adieu alors. Merci pour tout, Dardan.

— N’hésite surtout pas si tu as besoin de nos services à l'avenir, on se fera un plaisir de venir dérouiller de la racaille. Comme cadeau d’adieu, je t'offre une petite ristourne. Le chauffeur te donnera ton enveloppe tu en auras besoin jusqu’à ce que ta destination

— Encore un cadeau, décidément tu te ramollis Dardan. Merci.

— La route est longue; repose toi bien le voyage est loin d’être terminé.

Joe jeta un œil dans l’enveloppe, elle contenait un peu moins de dix mille euros, la somme limite pour éviter les contrôles aux frontières. Rusé comme un renard, ce Dardan. Joe inclina son siège, ferma les yeux et s’endormit bercé par le ronronnement du moteur allemand. La route serait longue en effet.

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