Chapitre 41: Retombées (2)

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Retranscription de l’audition de John McNeese, CEO de la plateforme de diffusion vidéo, FlexStream par la commission d’enquête parlementaire à la suite des attentats de Louvain-la-Neuve du 1er Avril mars 20XX – 390 jours après les attentats de Louvain.

Président de la Commission : Monsieur le Directeur Général, pouvez-vous expliquer comment il a été possible pour les terroristes d'utiliser votre plateforme pour diffuser en direct l'exécution de deux otages pendant l'attaque de Louvain-la-Neuve ? Pourquoi cela n'a-t-il pas été bloqué plus rapidement ?

John McNeese (JMcN): Nous condamnons fermement toute forme de violence, et la diffusion de ce type de contenu va à l’encontre de nos valeurs. Cependant, il est important de rappeler que nous sommes avant tout une plateforme de libre expression. Nos systèmes de modération sont conçus pour réagir, pas pour surveiller en temps réel chaque utilisateur. La diffusion a été bloquée dès que nos équipes ont pu intervenir, mais dans ce genre de situations d’urgence, il y a inévitablement un délai. Le direct, c’est la force de notre plateforme, mais cela présente également des défis dans la gestion des contenus illégaux.

Président de la Commission : Certains profils continuent à diffuser la vidéo de l’exécution, plusieurs jours après l'attentat. Pourquoi n'avez-vous pas réussi à empêcher cela plus rapidement ?

JMcN : Nous prenons ces incidents très au sérieux, mais il faut être clair : nous ne sommes qu’un diffuseur, pas des juges moraux de ce qui est bien ou mal. Nous obéissons aux lois, et nous faisons tout pour supprimer le contenu illégal en respectant les processus en place. Cependant, la réalité, c'est que chaque jour, des milliers de nouveaux contenus sont publiés. Nous avons supprimé des centaines de comptes liés à cette vidéo, mais certains parviennent à contourner nos systèmes. Nous améliorons constamment nos outils d'intelligence artificielle pour être plus réactifs, mais la perfection n'existe pas. Il faut aussi comprendre que ce genre de modération nécessite du temps.

Président de la Commission : L'Union européenne et la Belgique ont demandé la suppression de comptes liés à cet incident, mais il semble que cela ne soit pas toujours pris en compte de manière immédiate. Pourquoi ?

JMcN : C’est un sujet complexe. Nous recevons des demandes de différents gouvernements, dont l'Union européenne et la Belgique, pour supprimer certains profils. Mais qu'en est-il quand l'Iran nous demande de supprimer des comptes de dissidents ? Pourquoi devrions-nous répondre aux demandes de la Belgique et pas à celles de l'Iran ? Où place-t-on la limite ? Ce n'est pas à nous de jouer le rôle de censeur moral, ou de déterminer quel gouvernement a raison. Nous sommes une plateforme de libre expression, nous obéissons aux lois locales de chaque pays dans lequel nous opérons, et nous faisons de notre mieux pour équilibrer la sécurité des utilisateurs avec le respect de leurs droits fondamentaux.

Président de la Commission : Mais ne pensez-vous pas que cet argument de la liberté d'expression est utilisé comme une couverture pour permettre à des criminels d’exploiter votre plateforme pour diffuser de la violence et de la haine ?

JMcN : Absolument pas. Nous avons des politiques claires contre la diffusion de contenus illégaux, et nous agissons dès que nous sommes informés de telles violations. Mais la liberté d’expression n’est pas négociable. Si nous commençons à supprimer des comptes ou à censurer en fonction de la pression d’un gouvernement, où nous arrêtons-nous ? Nous avons des règles, et nous obéissons aux lois. Mais nous ne pouvons pas devenir un outil de censure qui s’adapte aux demandes de chaque pays. Ce serait dangereux pour la liberté de tous, y compris ici en Europe.

Président de la Commission : Que faites-vous concrètement pour éviter que cela ne se reproduise ? Vous semblez dire que vous ne pouvez rien faire pour prévenir ces situations ?

JMcN: Nous investissons énormément dans des technologies de détection et de modération, mais la réactivité instantanée est un défi pour toutes les plateformes. Nous renforçons nos équipes, nous collaborons avec des régulateurs, mais la clé est de trouver un équilibre entre sécurité et liberté. Ce n'est pas parce qu'un événement tragique a eu lieu que nous devons commencer à censurer à tout-va. Nous devons être vigilants, oui, mais également respectueux des libertés que nos utilisateurs défendent. Notre objectif est de protéger nos utilisateurs tout en préservant ce qui fait la force de notre plateforme : la liberté d'expression.

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Retranscription de l’audition de Son Excellence, Cheng Xiang, ambassadeur de Chine en Belgique par la commission d’enquête parlementaire à la suite des attentats de Louvain-la-Neuve du 15 Avril 20XX – 405 jours après les attentats de Louvain.

Président de la Commission : Monsieur l'Ambassadeur Cheng, nous avons reçu un rapport anonyme suggérant que les services chinois auraient été impliqués dans la mort de Wen Lin. Ce rapport lie également vos services à une complicité indirecte avec les attaques terroristes. Que répondez-vous à cela ?

Ambassadeur Cheng : Ce rapport, vous le savez, a été produit vraisemblablement par Joseph Van Lier, un criminel notoire, impliqué dans les attentats. Selon nos informations, cet homme a été condamné dans des affaires de trafic de stupéfiants et d’association de malfaiteurs. Demandez donc à sa famille ou à ses amis ce qu’ils pensent de lui. Ce document est nul et non avenu, il ne mérite aucune considération sérieuse. Evidemment vos médias publics se jettent sur la première information venue sans faire les vérifications d’usage.

Président de la Commission : Et concernant les accusations d’ingérence chinoise en Belgique ? Les liens que vous pourriez avoir entretenus avec ces groupes terroristes ?

Ambassadeur Cheng : Ingérence ? Je ne suis pas certain de comprendre précisément ce dont vous nous accusez. À vrai dire, je pense que vous non plus vous ne savez pas. Une chose est certaine, nous vous avions prévenus. Dès le départ, nous avons signalé que la politique laxiste de distribution de permis de séjour était une erreur. Nous vous avons mis en garde contre les risques d’attentats. En novembre dernier, nous vous avons même transmis une note diplomatique officielle signalant la présence d’Abdelhamid El Fatouaki, un individu entraîné en Afghanistan, sur le territoire belge. Et qu’avez-vous fait de cette information ? Rien.

Président de la Commission : Donc, selon vous, la Belgique porte l'entière responsabilité des événements ?

Ambassadeur Cheng : Le singe qui tombe de l’arbre accuse les branches.

Président de la Commission : Une dernière question, Monsieur l’Ambassadeur. Comment expliquez-vous que vos diplomates aient quitté le théâtre juste avant l’attaque ? Une simple coïncidence ?

Ambassadeur Cheng : Une coïncidence heureuse, effectivement. Mais faut-il leur reprocher d’être partis à l’entracte pour rencontrer leurs homologues italiens ? Je vous rappelle qu’ils auraient pu être parmi les victimes. Heureusement pour eux, ils ont échappé au carnage. Que voulez-vous insinuer exactement ? Que nos diplomates auraient dû rester pour ajouter dix morts de plus à votre conscience ?

Président de la Commission : Donc, vous niez toute responsabilité dans ces événements ?

Ambassadeur Cheng : Absolument. Nous avons agi en toute transparence et en coopération avec vos services, malgré vos négligences manifestes. Maintenant, si vous n’avez plus d’autres accusations absurdes, je propose que nous en restions là.

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Communiqué de Presse;
Louvain-la-Neuve, 19 décembre 20XX, 652 jours après les attentats de L’aula Magna et du Cesec.

À la suite des attentats tragiques de Louvain-la-Neuve, où plusieurs centaines d’étudiants ont perdu la vie dans une attaque revendiquée par des groupes liés au terrorisme ouïghour, les gouvernements de la Belgique et de la Chine ont annoncé un renforcement sans précédent de leur coopération en matière de sécurité nationale. Dans le cadre de ce partenariat, des technologies de pointe, notamment des systèmes de reconnaissance faciale, seront déployées sur le territoire belge.

Ces technologies, déjà largement utilisées dans la province du Xinjiang en Chine pour surveiller les populations locales, ont fait leurs preuves en matière de prévention et de détection des comportements à risque. Le gouvernement belge a confirmé que des réseaux de caméras dotées de reconnaissance faciale seront progressivement installés dans les zones sensibles du pays, notamment dans les grandes villes et aux frontières. Cette mesure vise à mieux identifier et suivre les individus considérés comme potentiellement dangereux.

La mise en place de ces dispositifs s’inscrit dans un cadre plus large de surveillance renforcée des mouvements de population. Les demandeurs d'asile, les réfugiés, ainsi que certaines minorités, seront particulièrement ciblés par ces nouveaux systèmes. La Belgique et la Chine partageront également leurs bases de données respectives afin de mieux coordonner leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme international.

Si les autorités belges soulignent que cette technologie est nécessaire pour prévenir de nouvelles attaques et garantir la sécurité des citoyens, des inquiétudes émergent quant à la portée de ces mesures. Plusieurs organisations de défense des droits de l'homme ont exprimé leurs réserves, pointant du doigt les répercussions sur les libertés individuelles et les risques de dérives. La surveillance généralisée, initialement mise en place pour les communautés vulnérables, pourrait rapidement s'étendre à l’ensemble de la population belge.

La reconnaissance faciale, utilisée en Chine dans des contextes de surveillance extrême, est maintenant au cœur des stratégies de sécurité en Europe. Cette adoption rapide de technologies de contrôle soulève des questions quant à la ligne fine entre sécurité publique et libertés fondamentales.

Les autorités belges n'ont pas encore précisé combien de temps ces mesures resteront en vigueur, mais elles assurent qu'elles seront réévaluées en fonction de l'évolution de la menace terroriste. Le pays, encore sous le choc des attentats, traverse des bouleversements qui dépassent largement la tragédie humaine. La peur omniprésente ouvre la voie à des mesures de sécurité qui, sous couvert de protection, pourraient bien franchir les limites constitutionnelles.

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Retranscription de l’interview télévisée de Georges Van Lier, père de Joseph Van Lier, émission “27 minutes” du 28 décembre 20XX 661 jours après l’attaque.

La rédaction : Parlez-nous de votre garçon.

Georges Van Lier : Joe n'a jamais aimé les règles ni l'autorité. Depuis tout petit, il se rebellait contre tout ce qu'on lui imposait, qu'il s'agisse de l'école, des règles familiales, ou même des conventions sociales. Mais au fond, c’était un garçon brillant, plein de ressources… juste incapable de se plier à la discipline.

La rédaction : Il ne pourra pas être jugé, comme tous les autres terroristes qui sont morts ce jour-là ? Vous maintenez son innocence?

Georges Van Lier : On ne saura jamais ce qu’il a vraiment vécu ou ce qu’il est devenu. C’est une absence de vérité qui me hante. Il y a tellement de zones d’ombre… Joe a été retrouvé mort parmi les étudiants, c’est tout ce qu’on sait.

La rédaction : Mais il était aussi le colocataire de Wen, cet étudiant chinois prétendument assassiné par les services secrets chinois, et il a loué les vans et les planques des terroristes. Si on suit les miettes, on pourrait conclure qu’il jouait un rôle central dans cette affaire.

Georges Van Lier : Mon fils s’est toujours retrouvé dans des affaires à la limite de la légalité, je ne vais pas prétendre le contraire. Il aimait flirter avec le danger, c’est certain. Mais de là à dire qu’il était un terroriste, non. Je suis convaincu qu’il a été manipulé, qu’on lui a fait du chantage. Joe, malgré son intelligence, était naïf sur certains points, et il s'est sûrement laissé entraîner.

La rédaction : Mais il a bien participé activement aux "Musulmans Universels", il organisait leurs conférences, son nom apparaît partout dans leurs documents. Vous ne pensez pas qu’il ait pu se détourner de notre société et rejoindre leur cause ? Ça s’est vu dans d’autres cas...

Georges Van Lier : Écoutez, mon Joe n’a jamais été un idéaliste. Il n’a jamais cru en une cause ou en une idéologie, que ce soit religieuse ou politique. S’il a participé, c’était pour une raison autre, peut-être l’appât du gain, mais certainement pas par conviction. Et puis, il y a ce point essentiel : on n’a pas retrouvé son corps. On me parle d’une veste explosive, mais il n’y a aucune preuve tangible de sa mort. Tous les autres cadavres ont été identifiés, alors pourquoi pas le sien ?

La rédaction : Vous pensez qu’il est toujours vivant quelque part ?

Georges Van Lier : (il prend une pause, sa voix se brise légèrement) Je ne peux que l’espérer. Vous savez, la dernière chose que je lui ai dite, c’était… que ses choix de vie nous faisaient honte. Ça me hante. Si c’est vraiment la dernière chose qu’il a entendue de moi… Je ne peux pas vivre avec ça.

La rédaction: Et quelle est votre version des faits, alors ?

Georges Van Lier : (il soupire profondément) Je pense qu’il a été forcé de jouer un rôle dans cette affaire, qu’il a été pris au piège. Peut-être qu’il était trop effrayé ou trop isolé pour en sortir. Chaque nuit, je m’endors en me disant qu’il a peut-être aidé, qu’il a tenté de stopper l’attaque. Sans cette pensée, je ne dormirais pas.

La rédaction : Vous avez décidé de raconter cette histoire dans un livre, "Le départ du fils prodigue", publié aux éditions "Poing Levé". Pourquoi ?

Georges Van Lier : Oui, c’est vrai. J’ai écrit ce livre pour raconter son enfance, pour essayer de comprendre, pour donner ma version de qui il était vraiment. Vous savez, en tant que parents, on impose parfois notre vision du monde, nos espoirs, à nos enfants, sans vraiment les écouter. J’ai essayé de faire de mon mieux, mais mon fils ne voulait pas d’une vie traditionnelle, et je ne l’ai pas entendu. Il était brillant en informatique, j’aurais dû l’encourager dans cette voie au lieu d’insister sur d’autres chemins. Il était très créatif et se fourrait toujours dans des situations pas possibles, mais il avait aussi un certain talent pour en sortir. Écrire ce livre, c’est une façon d’exorciser mes regrets, de parler à d’autres parents qui pourraient vivre une situation semblable, une rupture, un éloignement. Je donnerais tout pour avoir encore une chance de lui parler, de le comprendre. À la place, je me retrouve à contempler mon échec sur tous les journaux, et ça me ronge.

Journaliste : Merci de nous avoir rencontrés. On rappelle donc votre livre, Le départ du fils prodigue, disponible aux éditions "Poing Levé".

Georges Van Lier : Merci à vous de m’avoir écouté. J’espère que ce livre pourra, au moins, ouvrir les yeux à d’autres parents dans le besoin.

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