PROLOGUE
Un flash aveuglant. Puis, le sentiment d’une urgence capitale, d’une crainte viscérale.
— Professeur ? Professeur ? Vous vous sentez bien ?
Orlanda Legrand émergea du brouillard dense de ses pensées.
Désorientée, elle dévisagea un instant l’étudiante, penchée vers elle, qui paraissait tout aussi perplexe. Orlanda plissa les yeux, sa tête semblait sur le point d’imploser. Elle ne parvenait même pas à se souvenir du prénom de cette jeune femme.
— Oui, oui… bien sûr ! répondit-elle.
— Voici le bilan du protocole d’analyse que vous avez demandé.
— Parfait. Vous pouvez y aller, merci.
L’assistante déposa une épaisse chemise cartonnée sur la surface cirée du bureau en acajou, puis sortit de la vaste pièce. Quand la porte se referma, les doigts tremblants d’Orlanda se saisirent des feuillets. Elle parcourut à toute vitesse les dernières pages et se figea d’horreur.
Son pouls s’accéléra, une chaleur intense se répandit dans ses veines, telle une coulée de lave incandescente. Un liquide amer lui remonta dans la gorge. Orlanda se jeta sur le combiné pour composer le numéro de téléphone.
— Cabinet du Dr Latour, bonjour ?
— Madame Legrand à l’appareil. Je dois m’entretenir avec le Docteur, je vous prie !
— Il est actuellement en consultation, je vous invite à…
— Dans ce cas, interrompez-le !
— Madame Legrand, je viens de vous dire…
— Et je vous le répèterai qu’une seule fois : passez-le-moi immédiatement !
La secrétaire baragouina un « veuillez patienter » peu affable et sa voix nasillarde fut remplacée par la douce mélodie d’un quartet à cordes. Les secondes lui parurent interminables. Enfin, ledit médecin s’annonça au bout de fil.
— Il faut que je vous parle, c’est urgent. Je…
— Orlanda, nous pouvons convenir d’un rendez-vous dès demain, à onze heures.
— Vous ne comprenez pas, demain il sera trop tard !
— Je regrette, il n’y a rien que je puisse faire. Nous avions passé un marché, vous vous souvenez ? Malheureusement, vous n’avez pas rempli vos obligations et je n’ai pas l’intention de vous accorder le moindre traitement de faveur, ce soir. Je vous verrai donc demain.
Orlanda resta interdite lorsque l’homme raccrocha sans autre forme de politesse. Une larme s’échappa de sa paupière. Elle l’essuya d’un geste lent, résigné. S’extirpant de son fauteuil, elle se dirigea à pas chancelants vers la baie vitrée et demeura un instant les yeux rivés dans le vague. À l’extérieur, le monde fourmillait de vie.
Elle fouilla la poche de sa blouse et déverrouilla son portable. Elle fit défiler ses derniers messages et porta la main à sa bouche pour s’empêcher de pleurer. Elle respira un grand coup et appuya sur la touche d’appel du contact maison. Une voix enjouée lui répondit tandis qu’Orlanda ravalait un sanglot.
— Coucou, c’est moi…
— Ça n’a vraiment pas l’air d’aller, Maman.
— Si, si, Trésor, mentit-elle. Alors, tu as passé une bonne journée, si j’en crois ce texto de pur bonheur que tu m’as envoyé, tout à l’heure.
— C’était une journée pleine de surprises et, pour finir en beauté, Papa a…
« Raccroche ce téléphone, Orlanda ! »
L’appareil faillit lui échapper des mains quand l’homme lui cracha cet ordre. Sa voix puissante résonna jusque dans les tréfonds de son âme. Inutile de se retourner, elle connaissait parfaitement celui qui s’adressait à elle.
— Maman ?
— Désolée, Lena… Je vais devoir me remettre au travail. As-tu pris ta tisane ?
— Oui, ne t’inquiète pas, répondit-elle. Au fait, Stan a récupéré tes dossiers. Il paraissait encore plus stressé que d’habitude. Essaie de ne pas le tuer à la tâche, quand même !
Orlanda émit un petit rire sans joie.
— Je te laisse maintenant. Lena ? Tu sais combien je t’aime, n’est-ce pas ?
— Moi aussi, Maman. Tu me manques ! Il faut que tu te reposes…
— Tout ira très bien, la coupa Orlanda. Obéis à ton père, comme d’habitude. Bonne nuit, Trésor.
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